«
Je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la Terre. » Voici certainement l’héritage le plus connu légué par sainte Thérèse à son prochain. Un vœu qui semble être formulé dès son plus jeune âge, lorsqu’elle guérit d’un mal mystérieux par le sourire de la Vierge Marie. En effet, née le 2 janvier 1873 à Alençon, la jeune enfant évolue dans un contexte de foi fervente, jusqu’à ce qu’un drame vienne changer son «
heureux caractère », pour reprendre ses propres mots. À la mort de sa mère, alors qu’elle n’a que quatre ans et demi, elle devient «
timide, douce et sensible à l’excès ». Les années qui suivent sont marquées par une maladie que personne ne nomme. Qualifiée,
a posteriori, de profonde dépression accompagnée de symptômes étranges ressemblant à des crises d’épilepsie, elle est tenue pour mourante en 1883. Mais alors que ses sœurs prient Marie au chevet de son lit, la petite Thérèse se tourne vers sa «
Mère du Ciel, [la priant]
de tout son cœur d’avoir enfin pitié d’elle ». Elle écrit alors dans son autobiographie : «
Tout à coup, la Sainte Vierge me parut belle, si belle que jamais je n’avais rien vu de si beau, son visage respirait une bonté et une tendresse ineffable, mais ce qui me pénétra jusqu’au fond de l’âme ce fut le ravissant sourire de la Sainte Vierge. » C’est à ce moment précis que la nouvelle vie de Thérèse commence.
Elle répond alors à un appel qui ne cesse de croître et «
cinq ans après, elle s’épanouissait sur la montagne fertile du Carmel ». Une vie courte – puisqu’elle décède à 24 ans de tuberculose – tout entière tournée vers la foi. Mais si ses quelques années sur Terre restent discrètes, à sa mort et après la publication de son autobiographie, elle deviendra le refuge de millions de chrétiens, mais aussi de fidèles d’autres religions.
Ses écrits : transports de son amour
Durant sa vie terrestre, Thérèse a pris soin d’écrire ses mémoires, publiées à titre posthume sous la forme d’une autobiographie. Des écrits traduits en 50 langues et vendus à plus de 500 millions d’exemplaires. Et c’est précisément par ce livre que sainte Thérèse deviendra, en quelques décennies, connue sur tous les continents. Des prières sont formulées à son endroit, et les premiers miracles se produisent après sa mort. Elle qui, durant toute l’écriture de son ouvrage, rappelle le bienfait d’une vie humble, tout en exprimant le souhait audacieux de devenir sainte, propose de «
faire de sa
petitesse sa grandeur », explique le père François-Marie Léthel, docteur en théologie, spécialiste de sainte Thérèse et professeur à la faculté pontificale de théologie Teresianum à Rome. Une pensée qui n’est pas sans rappeler une autre sainte. «
Marie est la plus grande dans le royaume des Cieux, parce qu’elle était la plus petite durant sa vie terrestre. La petitesse dont parle Thérèse doit être comprise ainsi, avec l’idée de laisser la place aux autres ; c’est un chemin de l’amour du prochain », précise le père Léthel. Et son autobiographie consacre de nombreuses lignes à exprimer ce don d’humilité, si bien qu’il est rythmé par les allégories de « petites fleurs », auxquelles Thérèse identifie l’humanité, ainsi qu’elle-même. «
Le grand symbole de Thérèse pour l’humanité, ce sont les fleurs. Elle parle du monde des âmes, qui est le jardin de Jésus », ajoute le théologien. Un amour sans limite et sans condition se manifeste dans ses écrits.
À l’aube de sa mort, celle qui sent que sa «
mission va commencer, ma mission de faire
aimer le bon Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes » attend les prières de ses « frères » et « sœurs » depuis son ciel. Et ceux qui la prient seront exaucés, si l’on en croit les milliers de miracles consignés dans les archives du Carmel.
Une pluie de roses : de guérisons en miracles
Camille Burette, archiviste du Carmel de Lisieux, explique que pas moins de 13 500 récits de miracles ont été référencés dans les archives depuis 1899. On y trouve des guérisons de maladies incurables, mais pas seulement. Des vœux plus ordinaires ont été exaucés. «
On parle également de faveurs, de grâces ou encore d’interventions », précise Camille Burette. Très représentative de la présence de sainte Thérèse, l’aide qu’elle aurait apportée aux combattants de la Première Guerre mondiale nourrit de nombreux récits de miracles. On la prie tant du côté français que du côté allemand. Les poilus parlent d’elle dans leur correspondance en des termes évocateurs. Elle est « la petite sœur des tranchées », leur
« marraine de guerre », « la sainte du poilu », ou encore « l’ange des batailles », rapporte l’archiviste du Carmel de Lisieux. Quantité de soldats rescapés racontent avoir prié sainte Thérèse dans des situations désespérées, et avoir été sauvés par sa grâce.
«
Le Carmel reçoit également nombre d’ex-voto, c’est-à-dire des objets offerts en remerciement de grâces obtenues », écrit Camille Burette. Outre sa présence au côté des soldats, sainte Thérèse est également connue pour ses guérisons. Deux d’entre elles vont être retenues pour sa béatification. Sœur Louise de Saint-Germain, atteinte d’un grave ulcère hémorragique au duodénum, voit apparaître, à l’agonie, sainte Thérèse dans sa chambre. La sainte lui donne des instructions quant aux prières qu’elle doit adresser chaque jour. Après de longs mois de souffrance, alors qu’elle est accablée par une énième hémorragie, elle s’endort un 21 septembre et se réveille le
lendemain totalement guérie et affamée, elle qui ne pouvait presque plus manger. Le deuxième miracle retenu est celui du séminariste Charles Anne, guéri d’une phtisie pulmonaire à forme galopante. Mais les témoins des grâces de sainte Thérèse vivent sur tous les continents, à travers les missions. «
Thérèse porte secours aux missionnaires […]
dans des situations périlleuses sur le terrain (accidents, naufrages, attaques, etc.) », précise Camille Burette avant d’ajouter qu’«
elle apporte également son aide aux habitants des missions au travers de guérisons, épidémies ou famines ». Aussi, le pape François écrit que sainte Thérèse «
ne concevait pas sa consécration à Dieu en dehors de la recherche du bien de ses frères ». Un amour du prochain qui dépasse sa mort et qui propose à l’Église du XX
e siècle une vision nouvelle de la rédemption.
C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour.
La rédemption repensée par sainte Thérèse
«
Au temps de Thérèse, il y avait une conception janséniste de la justice de Dieu. L’homme doit être puni et condamné sans miséricorde. Or, Thérèse ouvre une nouvelle voie. Elle ne tombe pas dans l’extrême inverse qui serait une miséricorde sans justice. Elle ouvre la porte au salut éternel », explique le père François-Marie Léthel. En outre, alors qu’elle n’a que quatorze ans, sainte Thérèse propose sa proximité spirituelle à un criminel du nom de Henri Pranzini, condamné à mort pour un triple assassinat et impénitent. Elle l’appelle «
mon premier enfant ».
«
Bien qu’il refuse de demander pardon aux victimes et à Dieu, Thérèse ne désespère pas et nourrit la certitude qu’il finira par ouvrir son cœur à la miséricorde », commente le père Léthel. Mais alors qu’il monte sur l’échafaud, le criminel «
saisit un crucifix que lui présentait le prêtre et baise par trois fois ses plaies sacrées ». Cette expérience est fondamentale pour sainte Thérèse. «
Elle ne pourra plus jamais désespérer de toute sa vie. Elle pénètre la miséricorde de façon nouvelle et, comme le pape le dit justement, c’est la source de son espérance », ajoute le théologien. Le pape François expose l’idée que Thérèse est introduite dans le mystère du Christ avec la certitude que «
là où le péché a abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5:20). Elle écrit d’ailleurs dans son autobiographie, toujours animée de la parabole des fleurs, «
je chanterai, même lorsqu’il me faudra cueillir mes fleurs au milieu des épines et mon chant sera d’autant plus mélodieux que les épines seront longues et piquantes ». Enfin, Thérèse fait face, en son temps, à l’âge d’or de l’athéisme moderne. Jamais elle ne jugera « ses frères » et elle continuera, dans ce contexte qui lui paraît singulier, à développer le don d’elle-même. Un don d’amour qu’elle formule explicitement :
«
Oh Jésus mon Amour… ma vocation enfin je l’ai trouvée, ma vocation c’est l’Amour ! »
Experte en amoris scientia
«
Il y a des docteurs de l’Église de type intellectuel comme saint Thomas et saint Augustin, et puis il y a également des docteurs de type mystique comme sainte Thérèse de Lisieux, sainte Thérèse d’Avila ou Catherine de Sienne », explique le père François-Marie Léthel. «
J’ai eu le bonheur de travailler avec le pape Jean-Paul II pour que sainte Thérèse soit justement nommée docteure de l’Église en raison de la profondeur de sa vie mystique. Nous avions vraiment le souhait de mettre en lumière l’originalité et le génie de sa spiritualité », ajoute le théologien. Elle est alors élevée au rang de docteure de l’Église en sa qualité de
divini amoris scientia, soit docteure en science de l’amour divin. Un titre qui reconnaît l’apport de son «
enseignement extrêmement précieux sur toutes les vérités de la foi et les vérités de la vie chrétienne », précise le père Léthel. Une contribution déjà valorisée par sa béatification et sa canonisation, le 17 mai 1925. En effet, peu après sa mort, saint Pie X avait reconnu son immense stature spirituelle et avait affirmé qu’elle serait la plus grande sainte des temps modernes. Dans la continuité de cette reconnaissance, le pape François publie en 2023 une exhortation apostolique sur sainte Thérèse qu’il intitulera
C’est la confiance, en référence à la portée de son enseignement sur l’amour divin. Il rappelle les mots de Thérèse : «
C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour. »
«
Elles [ses paroles]
résument le génie de sa spiritualité et suffiraient à justifier qu’on l’ait déclarée docteure de l’Église », commente le pape François.
«
Depuis 1997 a lieu le pèlerinage des reliques de Thérèse dans le monde entier. J’ai pu voir à quel point son rayonnement augmente ; elle attire à elle quantité de fidèles. Au Caire, en Égypte, je me suis rendu dans une église consacrée à sainte Thérèse. Des musulmans viennent y prier. Thérèse est pour moi une des plus belles démonstrations de Dieu, elle est une figure d’espérance », conclut le père François-Marie Léthel qui voit dans cette ferveur sans cesse renouvelée la présence rayonnante de sainte Thérèse pour l’humanité.
La basilique Sainte-Thérèse de Lisieux
Érigée peu après la canonisation de Thérèse, sa construction débute en 1929. Situé à Lisieux, en Normandie, le monument romano-byzantin accueille 600 000 visiteurs chaque année. Parfois comparée au Sacré-Cœur de Montmartre, la basilique est l’un des plus grands édifices cultuels bâtis au cours du XXe siècle.