La Vierge Marie, bénie entre toutes les femmes ! C’est «
une figure centrale, voire unique, de la présence des femmes dans la sphère religieuse chrétienne », commente Christine Pedotti, auteure, directrice de rédaction du journal
Témoignage chrétien. De nombreux titres lui ont été attribués : Étoile du matin, Sainte Vierge, mère de Dieu, Notre-Dame, Madone... Suscitant la dévotion, la Vierge Marie est célébrée pour avoir accepté sa destinée unique : être choisie par Dieu pour être la mère de son fils Jésus. Véritable intermédiaire auprès du divin, à laquelle tout chrétien dans un moment de détresse a pu un jour adresser des prières, faisant appel à son amour maternel et à la bienveillance du Père. Et si nous levions le voile sur le mystère qui entoure la femme dont personne n’ignore le nom, Marie, Miryem de Nazareth, née en Galilée, révélant bien plus qu’une figure immaculée, une souveraine inspiratrice du christianisme ?
De l’Immaculée Conception à Notre-Dame
Traditionnellement, la Vierge est indissociable du Christ, comme en témoigne l’iconographie du Moyen Âge, avec ses innombrables Vierges à l’Enfant ; les autres thèmes le plus souvent représentés étant la Nativité et la fuite en Égypte. Quant au dogme de l’Immaculée Conception qui lui est rattaché, il date du XIX
e siècle, suite à la déclaration faite par le pape Pie IX, le 8 décembre 1854 exactement. Une appellation signifiant que Marie mère de Dieu fut conçue exempte du péché originel, ce qui ne fait aucunement allusion à la conception virginale de Jésus. La Vierge est également considérée comme une médiatrice entre le Ciel et la Terre, une consolatrice. Ainsi, elle intercède pour nous auprès du Christ pour exaucer nos prières. De nombreuses églises et cathédrales lui sont consacrées sous le vocable de Notre-Dame, tandis que
des lieux de culte et nombre de pèlerinages lui sont dédiés. Depuis la naissance du christianisme, ses apparitions s’accompagnent de miracles ; le plus souvent, elles incluent une vision de la Sainte Vierge doublée de messages. Parmi celles reconnues, on compte Notre-Dame de Guadalupe, Notre-Dame de Lourdes, ou encore Notre-Dame de Fatima. S’y ajoutent également celles de Garabandal en Espagne, et de Medjugorje dans l’ex-Yougoslavie...
La Vierge est considérée comme une médiatrice entre le Ciel et la Terre, une consolatrice.
Marie : la grande absente des Écritures
Qui était la Vierge ? Pour répondre à cette question, nous pouvons consulter les Évangiles, propose Christine Pedotti : «
C’est avant tout une présence furtive ! » Dans l’Évangile de Luc, le plus prolixe à son égard, Marie occupe tout d’abord une place centrale dans l’Annonciation (chapitre 1, 26-38) où l’ange lui dit : «
Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Voici que vous concevrez, et vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus. » Un événement biblique qui fut une source d’inspiration dans l’histoire de l’art chrétien byzantin, jusqu’à nos jours. Puis, l’auteure a retracé ses apparitions devenues plutôt « discrètes » dans les textes : «
On la retrouve à l’occasion de la Visitation, épisode incontournable où Marie entonne le célèbre chant de louanges Magnificat.
Elle est présente également à la naissance de Jésus à Bethléem, puis lorsque l’enfant est amené au Temple, quarante jours après, où elle reçoit les prédictions de la prophétesse Anne et de Syméon. » Dans les évangiles dits synoptiques, en revanche, Marie n’a plus ni place ni rôle. Chez Matthieu, c’est la figure de Joseph qui prime, Marie est « muette » et sans la moindre initiative. Dans l’Évangile de Jean, elle ne porte pas de prénom, elle est la « Mère » de Jésus, quant à celui de Marc, il faut la chercher à la loupe...
Le Magnificat, et les Noces de Cana
Le constat de ses apparitions furtives la reléguant au dernier plan s’avère d’autant plus choquant que deux événements auxquels elle est associée sont révélateurs de son rôle primordial dans l’émergence du christianisme. Lors de la visite à sa cousine Élisabeth, enceinte de Jean le Baptiste qui annoncera la venue du Christ, elle entonne le célèbre
Magnificat. «
Le texte le plus révolutionnaire de l’Évangile, qui renverse les puissants de leur trône, et glorifie les humbles », commente Christine Pedotti avec ferveur. Une preuve criante que cette femme proférant des paroles fortes faisait figure d’autorité, radicalement éloignée de la
version du catholicisme la décrivant comme protectrice et maternelle. «
C’est avant tout un chef de clan, animé par un projet divin, comme le révèle l’autre épisode fondateur où elle est présente : les célèbres Noces de Cana », poursuit l’auteure.
Dans les grandes lignes, Marie, invitée à un banquet de noces, ainsi que Jésus et ses disciples, va solliciter de son fils un signe, auquel il va répondre en transformant l’eau en vin. «
Et du très bon ! », précise l’auteure qui traduit : «
C’est un signe de fête, un signe de banquet, d’abondance, une sainte ivresse offerte... » En réalité, Marie initie cette flexion du temps, là où l’histoire du salut commence. Dans cet acquiescement de Jésus à sa demande, l’Histoire se met en route. Marie incarne alors une figure forte du peuple d’Israël, en attente du Messie. Cela lui vaudra le titre de la nouvelle Ève ; alors que la première porte la faute du péché originel, Marie offre un messie à l’humanité et la sauve...
Depuis la naissance du christianisme, ses apparitions s’accompagnent de miracles.
Marie : révolutionnaire et inspiratrice du christianisme
«
Quand je songe à Marie, je pense aux crucifixions romaines, non seulement à celle de son fils premier-né qui s’est déroulée sous ses yeux, mais aussi à toutes celles auxquelles elle a assisté à l’âge de quinze ans. C’était pendant l’été de l’an 4 av. J.-C. », écrit James D. Tabor, auteur et directeur du département des études religieuses de l’université de Caroline du Nord. Le contexte historique est déterminant pour faire revivre la jeune femme juive, mère de Jésus. Une recherche également menée par le romancier Marek Halter, spécialiste des trois grandes religions monothéistes, parti lui aussi sur ses traces. «
Nous sommes en Galilée dans le chaotique royaume d’Israël, en butte à l’occupation romaine », rappelle ce dernier. Un pays habité par un peuple rebelle, comme le nommait le philosophe Friedrich Nietzsche, «
à la nuque raide », qui n’acceptait pas le joug des légionnaires, et qui croulait sous les taxes. Depuis la mort d’Hérode le Grand, puis la prise de contrôle directe de la Judée par les Romains, la Galilée, et parfois la Samarie, sont traversées de révoltes, menées par de nombreux groupes rebelles.
Dans ce contexte, Marie apparaît sous la plume de Marek Halter, révoltée par un pouvoir injuste et d’une grande violence, une militante préoccupée par la situation dans son pays, et qui prend position... alors que l’époque ne s’y prête pas. «
Elle se trouva bien prétentieuse de porter le moindre jugement sur des choses, pouvoir, politique ou justice qui étaient depuis toujours l’affaire des hommes. D’où tenait-elle son assurance ? Eux possédaient l’expérience. Elle n’avait que son intuition », écrit le romancier. «
Si elle était née aujourd’hui, ce serait une Gisèle Halimi, ou une Simone Veil... », ajoute celui-ci. Toutefois, il semblerait que l’intuition ne soit pas son seul héritage, comme le soulève Christine Pedotti, à propos du
Magnificat : «
Le plus long texte qui est mis dans la bouche de Marie témoigne d’une grande érudition ; ça ne peut être que celui d’une femme pétrie par les écritures juives, la Bible, les psaumes, les prophètes. » De son côté, James D. Tabor s’est concentré sur le caractère « deux fois royal » du lignage de Marie, mettant en lumière à la fois son érudition et son implication politique. «
En tant que matriarche d’une famille qui pouvait se revendiquer à la fois de la lignée royale de David et de la lignée sacerdotale des Hasmonéens, elle devait se sentir solidaire des espoirs et des rêves de son peuple, mais selon une vision renouvelée de la révolution messianique. » D’après l’auteur, le rôle qu’elle a joué dans la formation d’un messie en la personne de son fils aîné ainsi que son implication politique révolutionnaire trouveraient leur origine à la fois dans les effroyables scènes de carnages auxquels elle assiste alors que Jésus n’a pas même un an et dans sa double ascendance royale. En d’autres termes : «
Marie n’est pas que l’instrument ayant permis la naissance de Jésus, mais bien le fondement de toute sa vie. »
Ainsi, la figure mariale transmise par la piété catholique, douce, silencieuse, obéissante, maternelle, protectrice, déesse tutélaire auprès de laquelle on se réfugie, se révèle une cheffe de famille et de clan à la parole inspirée, déterminée et courageuse. Balayée, l’image d’une jeune femme à la pureté virginale, aux allures de moniale ! Marie renaît sous les traits d’une femme puissante, inspiratrice d’un mouvement religieux qui va bouleverser le monde. Comme on peut en voir les prémisses dans l’Évangile de Jean, «
le disciple qui avait un autre regard, qui la décrit au pied de la Croix non en mater dolorosa,
mais en stabat mater,
une femme debout, qui fait face », rappelle en point d’orgue Christine Pedotti. En cela, elle est un modèle et une inspiration pour les temps troublés qui sont les nôtres.
Historique de l’évolution du culte de Marie
- Après plusieurs siècles d’oubli, c’est seulement en l’an 431, lors du concile d’Éphèse, qu’est défini le rôle de Marie de Nazareth, mère de Jésus, comme mère de Dieu.
- L’institution de fêtes mariales, comme la solennité de l’Assomption le 15 août, apparaît au VIe siècle.
- Célèbre adorateur, saint Bernard de Clairvaux (1090-1153) l’appelait Stella maris, l’étoile de la mer guidant les marins à bon port et nous aidant lors de nos épreuves.
- Au XIIIe siècle, nommé le « siècle marial », la Vierge Marie est associée au pouvoir temporel des rois, son effigie apparaît sur les sceaux royaux.
- Le roi de France Louis XIII (1610-1643) lui consacrera son royaume pour avoir répondu à ses prières d’avoir un héritier.