Où en est le couple aujourd’hui, à l’heure où les relations amoureuses constituent un marché lucratif à travers les applications mais aussi l’industrie du cinéma et la publicité ? Comment passer de relations virtuelles et désincarnées à un chemin authentique à deux ?
Alors que les moyens de communication et de rencontres amoureuses n’ont jamais été si nombreux et innovants, que signifie le verbe « se rencontrer » lorsque les occasions se multiplient ? La valeur que nous accordons à nos relations en dit long sur qui nous sommes. Courtes, fugaces ou d’un soir, certaines rencontres nous évitent soigneusement la confrontation à l’autre en tant que personne faite d’ombres et de qualités purement humaines. En délaissant cette dimension, nous laissons de côté l’opportunité d’approfondir notre humanité, de grandir et d’évoluer ensemble.
Eva Illouz est sociologue des émotions et auteure du livre
La fin de l’amour, enquête sur un désarroi contemporain paru en 2020. Dans cet ouvrage, elle démontre que nos émotions et notre sexualité sont devenues, pour les sociétés modernes, un marché. Sur France Culture, elle analysait notre rapport à l’amour : «
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’amour était vécu comme une transcendance. Puis la possibilité de vivre l’amour comme une transcendance fut remise en cause. Les applications telles que Tinder qui permettent des relations avec beaucoup de gens, la possibilité de relations sexuelles rapides et géolocalisées, contribuent à la séparation du régime sexuel et du régime émotionnel, et la renforcent. »
D’après elle, la liberté sexuelle à partir des années soixante-dix fut un moment clé de l’histoire des pratiques amoureuses. Car ce mouvement a provoqué la possibilité d’une séparation radicale entre d’une part la rencontre sexuelle, dont la conséquence est la rencontre d’un soir, et d’autre part, les relations mettant en jeu les émotions qui, elles, s’inscrivent sur le long terme. «
Cette séparation fait naître de nombreuses incertitudes et le chaos dans les relations amoureuses », note la sociologue. Car ce mode éphémère de relation repose sur nos insatisfactions, sur la comparaison, et exclut la vulnérabilité et l’attachement. Par ailleurs, cette liberté sexuelle est aussi ambivalente, car elle est source d’angoisses. Redouter d’être remplacé par un ou une autre avec la facilité qu’offre une application n’aide pas à construire une confiance mutuelle. Alors que la vraie rencontre implique notre être entier, elle tend dans sa version éphémère à nous fragmenter.
Les virtualités démultipliées à travers les écrans influencent nos projections sur l’autre et donc nos relations.
La séduction est un business
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La liberté sexuelle a été récupérée par des forces qui, au départ, lui étaient étrangères comme le “capitalisme scopique”. C’est-à-dire que des industries comme le cinéma, la publicité, la télévision qui sont en plein essor transforment le corps en une unité visuelle qui sera exploitée, en particulier le corps de la femme », explique Eva Illouz. Ces virtualités démultipliées à travers les écrans influencent nos projections sur l’autre et donc nos relations. De ce fait, les relations peuvent s’en retrouver de plus en plus formatées, que ce soit sur le plan relationnel, intime ou sexuel. Il peut en découler une certaine pression pour les femmes quant au physique. D’ailleurs, aujourd’hui, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le fait que la libération sexuelle des années soixante-dix aurait d’abord servi les hommes. La conséquence serait que les femmes soient tentées de se conformer à des relations peu satisfaisantes. «
Les femmes se retrouvent engagées dans une culture sexualisée où le corps est valorisé quand il est monnayable. Mais il est dévalorisé quand les corps deviennent interchangeables : ce sont alors des corps qui ne sont plus attachés à des personnes morales », analyse la sociologue.(...)