Il est une voie spirituelle dans l’islam qui prône l’amour et l’élévation de l’esprit. Il s’agit du soufisme, pratiqué par le muqaddam Abd el-Hafid Benchouk dans la branche naqshbandi. Rencontre avec un pratiquant du cœur qui nous raconte son chemin.
C’est une voie de connaissance de soi, par le chant, la danse, les pratiques intimes ou collectives, avec comme pilier
l’amour. À l’heure où les intégrismes occupent tristement le devant de la scène, il semble essentiel de montrer une autre facette de l’islam : le soufisme, ce chemin de sagesse. Abd el-Hafid Benchouk est maître soufi, représentant de la voie naqshbandi en France. Directeur du centre culturel La maison soufie, organisateur du Festival soufi de Paris et représentant de l’islam au sein des Artisans de paix, une association interreligieuse, il œuvre pour l’élévation spirituelle, «
afin que la beauté et la poésie soient à la portée de tous ». Rencontre.
Vous êtes muqaddam, représentant de la voie soufie naqshbandi. Qu’est-ce qui vous
a amené sur ce chemin ?
La recherche d’un sens à la vie est quelque chose qui m’habite depuis l’enfance. Je n’ai reçu à cette période que des bribes d’éducation religieuse, et très jeune, je réfléchissais à cette idée courante qu’il n’y aurait plus rien après la mort. C’était pour moi une impossibilité. À l’adolescence, je me suis intéressé à Dieu, puis j’ai lu des livres de philosophie grecque et extrême-orientale. Tout cela faisait écho sur le fond, mais pas sur la forme... Il y eut un moment clé lorsque j’avais 25 ans. Cette période de ma vie fut extraordinaire, riche d’expériences métaphysiques.
Je passais l’hiver sur l’île d’Ouessant, et à l’époque je pratiquais la photographie comme loisir. Un jour, je suis descendu sur les rochers pour prendre une photo, et une vague m’a fauché. J’ai pu m’accrocher in extremis aux rochers, le temps semblait une éternité... J’ai pensé que j’allais mourir. J’ai finalement pu me relever. Étais-je encore dans ce monde, ou de l’autre côté ? Pendant quelques instants, je n’arrivais pas à me situer. Une femme qui passait en voiture s’est arrêtée à mon niveau et m’a proposé de me déposer à mon domicile. Elle était très surprise que j’aie pu m’en sortir, connaissant la dangerosité des remous. À partir de ce moment, le pêcheur qui vivait en face de chez moi me surnomma « le Miraculé ». Sur cette île, j’ai acquis la certitude de l’existence de la présence divine. Elle s’est dévoilée à mon cœur, apparaissant comme gravée, inaltérable. Suite à cet épisode breton, l’extraordinaire a continué : dans le train de Brest à Paris, j’ai discuté avec un homme dont j’admirais les points de vue, et appris qu’il suivait la voie du christianisme. Lorsque je l’ai interrogé sur Dieu, il m’a encouragé à suivre le chemin de mes racines. Quand un chrétien dit à une personne de famille musulmane d’aller vers l’islam, c’est un choc !
Vous avez été initié par un maître soufi. Comment cette expérience s’est-elle présentée à vous ?
De retour à Paris, après mon séjour en Bretagne, j’ai découvert un auteur nommé al-Ghazālī, l’un des plus prolifiques et respectés de l’islam, recteur d’une université majeure de Bagdad au XII
e siècle. Dans
Erreur et délivrance, il s’interroge sur le sens de ses activités : fait-il cela pour la renommée, ou pour Dieu ? Pour le savoir, il décide de démissionner et de se retirer du monde afin de lire des litanies. Il en est ainsi pendant 10 ans : durant des jours et des nuits entières, il continue les invocations, jusqu’à ce que le voile se lève et que les choses lui apparaissent avec l’œil du cœur. Il revient alors à l’enseignement avec une humilité extraordinaire qui a touché tous ceux qui l’approchaient. Grâce à cette lecture, j’ai senti dans mon cœur que la voie de l’islam portait des trésors, mais que quelque chose manquait au tableau. J’ai alors découvert l’œuvre de René Guénon (1886-1951). Dans
Initiation et réalisation spirituelle, il insiste sur l’importance pour celui qui souhaite cheminer spirituellement de chercher l’initiation. C’est ce qui m’a décidé à prendre la voie soufie... Dans le soufisme, le disciple demande à être initié, et le maître doit accepter. Ce dernier doit lui-même être l’héritier d’un maître, et ainsi de suite jusqu’au prophète. Au détour d’une discussion, quelqu’un m’a dit qu’il allait à une séance d’invocations appelée
dhikr, de la voie soufie naqshbandi très présente en Chine, en Inde, en Turquie, mais pas du tout dans les pays du Maghreb. Lorsque j’ai rencontré à Londres le cheikh Nazim, chef spirituel de cette voie, le courant est immédiatement passé.
Que la beauté et la poésie soient à la portée de tous.
Pourriez-vous partager avec nous un moment fondateur de votre initiation ?
Quelqu’un m’a dit un jour : «
En cas de doute, n’hésite jamais à demander à Dieu de t’enlever ce doute. » Au moment où j’ai démarré mon cheminement, j’avais compris certaines notions de façon intellectuelle, mais il me fallait une autre certitude que celle du mental. J’ai alors demandé à Dieu une confirmation que le cheikh Nazim était bien mon maître. Nous étions à Londres lors d’une prière du vendredi, et alors que cette prière résonnait très fort dans mon cœur, le regard du cheikh s’est orienté vers moi, et je l’ai regardé. J’ai alors senti physiquement comme une rivière d’amour qui courait de lui vers moi. Je ressentais ces vibrations très fort avec mon corps. J’ai détourné le regard, et ça s’est arrêté. Je me suis demandé si c’était mon imagination, alors j’ai regardé de nouveau vers lui, pour être sûr, et j’ai perçu à nouveau ces sensations, et ce à plusieurs reprises. C’était pour moi la preuve tangible que j’avais demandée.
(...)