L’une des images que je garde de Luis Ansa et qui m’a le plus touché, c’est lorsqu’il m’ouvrit la porte de son atelier, un après-midi de printemps, pour notre première rencontre, au début des années 1990. Tout de blanc vêtu, jusqu’aux chaussures. Cheveux noirs, tirés en arrière. Front large. Grand sourire… Mais ce n’est pas cela qui me marqua si profondément, c’est son regard. D’une bonté, d’une douceur que je n’avais jamais connues. Il me regardait intensément, et pourtant je ne sentais aucune intrusion. J’étais face à un océan, à un océan d’amour, devrais-je ajouter.

Un maître spirituel sait ouvrir le cœur de celui qui le rencontre en parlant directement à son être. Il n’argumente pas, il ne cherche pas à nous convaincre, c’est toute la différence avec un philosophe ou un religieux. Il ne cherche pas non plus à nous changer ou à nous guérir de quoi que ce soit, il nous ramène à la réalité immédiate de notre être, à cette liberté intérieure et à cet amour inconditionnel qui est notre véritable nature.

Une vie dédiée à la recherche du divin

Luis Ansa est né dans les années 1920, à Cordoba, en Argentine, d’une mère indienne quechua et d’un père médecin espagnol. Il garda toute sa vie un amour profond pour ces deux pôles spirituels que ses parents avaient incarnés, d’un côté le monde sensitif du chamanisme et, de l’autre, cette conscience christique que Jésus avait offerte au monde. Cette soif du divin l’amena, dès l’âge de 18 ans, à Tiahuanaco, sur les bords du lac Titicaca, en Bolivie, où il rencontra son premier instructeur dans le chamanisme. Là, il commença à apprendre la force de l’amour, celle qui permet de marier les parties obscures et lumineuses de nous-mêmes afin qu’elles ne se combattent plus mais qu’elles œuvrent ensemble au service de l’être. Après avoir vécu dans différents pays, Luis Ansa finit par se fixer à Paris vers la fin des années 1940. Sa quête intérieure l’amena auprès de onze maîtres, hommes et femmes de différentes traditions, parmi lesquelles l’hermétisme chrétien, le soufisme, le chamanisme toltèque, l’hindouisme et le zen. Il s’éveilla auprès du maître soufi Omar Ali-Shah, frère de l’écrivain Idries Shah, et il chercha dès lors à redéfinir les paramètres du travail intérieur pour qu’il soit adapté aux spécificités de notre société contemporaine. À la fin des années 1980, il élabora une voie d’éveil qu’il appela « la voie du sentir ». Il quitta ce monde en 2011.

Une voie pour l’Occident

Lors de cette première rencontre, Luis Ansa m’avait longuement parlé de la voie qu’il était en train de créer. Je me souviens encore de l’atmosphère particulièrement calme et lumineuse de son atelier. Nous nous étions assis autour d’une table et il avait commencé par m’offrir un café. Pendant tout un après-midi, il m’avait parlé de cette grandeur, de ce royaume qui résident en chacun de nous et que nous avons oubliés. La présence de cet homme était vraiment extraordinaire. On sentait que chaque mot qu’il prononçait avait préalablement été vérifié dans son expérience. « L’être humain peut se libérer de la peur et de la souffrance, me disait-il. Il peut sortir de son propre égoïsme et devenir un porteur d’amour. » Ses propos, aujourd’hui encore, résonnent dans ma tête. C’est à ce chemin que Luis Ansa continue à nous inviter. Et l’un des premiers pas sur ce chemin, disait-il, consiste à revenir à notre corps, à nous réconcilier avec lui, car « ce corps constitue justement une aide précieuse pour cristalliser ce que vous vivez, pour incarner vos expériences, afin que votre vie ne soit pas une accumulation de théories ».

Cette voie, m’expliquait-il en fumant un petit cigarillo, est un ensemble de pratiques et de connaissances qui, lorsqu’elles sont activées et mises en œuvre, créent constamment des occasions pour revenir à l’être. « Je vais vous donner un exemple très simple de ce qu’est la voie du sentir : en ce moment, je sens ma main. Je ne pense pas à ma main, je la sens. En cet instant, la sensation que j’ai de ma main est beaucoup plus réelle que toutes les pensées que je peux avoir sur elle. L’être que je suis ne se trouve donc pas localisé dans mon cœur, ma rate ou mon cerveau, l’être est là où il y a conscience d’être. Mais il se peut que votre être soit “désoccupé” de vous, qu’il soit vide. Votre être est là, en vous, habitez-le ! Ne le laissez pas vacant », disait Luis Ansa. La sensation du corps est utilisée dans de nombreuses voies spirituelles parce que tout le monde connaît et expérimente spontanément cette perception. La sensation dont nous parlons n’est pas quelque chose de magique. Elle n’est pas non plus un objet extérieur qui pourrait se transmettre d’une personne à l’autre et que l’on pourrait recevoir ou acquérir à travers une forme d’initiation. C’est simplement notre propre ressenti. Mais en portant notre attention sur cette perception, elle constitue un merveilleux ancrage grâce auquel on peut être présent à soi-même.

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