L’ayahuasca, médecine végétale sacrée, est avant tout connu pour induire un état de transe qui aide à conscientiser des informations inaccessibles en état ordinaire. Mais ces voyages intérieurs peuvent aussi réveiller des capacités artistiques ignorées… Notre journaliste raconte son incroyable expérience.
Depuis des millénaires, l’ayahuasca, breuvage psychoactif à base de plantes, inspire certains peuples d’Amazonie. Les Shipibo-Konibo, au Pérou, ont ainsi développé un art, classé au patrimoine culturel de l’humanité depuis 2008, en peignant leurs visions sur des toiles en coton, les kene, des poteries, du bois, leur corps… Les motifs peuvent également être tissés ou brodés à la main par les femmes sur des vêtements traditionnels, des sacs, des objets destinés aux rituels…
Visualisées en état de transe lors des cérémonies, ces figures géométriques formant d’innombrables chemins labyrinthiques représentent de mystérieuses cartographies énergétiques. Des codes qui correspondent à des informations et à des sons que va décrypter le guérisseur, lors des sessions chamaniques. De nombreux artistes ont également été inspirés par leurs expériences avec l’ayahuasca. Juan Carlos Taminchi fait partie de la nouvelle génération de peintres péruviens. À 17 ans, alors étudiant en arts plastiques, il décide de découvrir la culture indigène de ses racines en participant à des cérémonies chamaniques. Dans ses visions, il fait la rencontre d’esprits de plantes enseignantes, d’animaux de pouvoir et autres archétypes qui lui offrent une compréhension du monde plus mature. Son coup de pinceau évolue, les couleurs explosent. Ses œuvres se révèlent vite plus abouties.
« L’ayahuasca m’a permis de ressentir vivre en moi l’amour de la Terre Mère et tous ceux qui la peuplent, et c’est cette interrelation que j’exprime dans mes peintures. »
Que des substances en tout genre soient utilisées pour trouver l’inspiration n’est pas un scoop. De tout temps, de nombreux artistes – écrivains, chanteurs, peintres, musiciens – ont développé une grande affinité avec ce qu’on appelle des « drogues » pour stimuler leur créativité. Si l’utilisation sauvage et à haute dose de l’ayahuasca peut s’avérer aussi catastrophique que celle de n’importe quel psychotrope, il semble que l’expérience vécue dans un cadre rituelique contrôlé présente un effet « booster » sur les méninges, et permette, qui plus est, de réveiller des capacités artistiques ignorées.
Une prolifération de créativité
Il y a trois ans, je décide de partir six mois en Amazonie péruvienne pour rencontrer des chamanes et effectuer des recherches sur leurs techniques ancestrales de guérison, dans le but d’écrire un livre sur l’intérêt thérapeutique des états modifiés de conscience. Afin de mieux comprendre les mécanismes de la transe, j’accepte de boire leur mixture. Une fois ingéré, l’ayahuasca permet une immersion aux confins de sa propre conscience, induisant des visions, souvent accompagnées de vomissements, assimilés à une conscientisation de ses émotions négatives et à une purification du corps, du cœur et de l’esprit. Après une dizaine de cérémonies, je remarque un effet secondaire pour le moins inattendu : après avoir été confrontée, durant les deux premières semaines, au syndrome de la page blanche, je me surprends subitement à noircir des dizaines de pages par jour. Mon esprit est vif, ma pensée structurée. J’écris mon livre en un temps record… au point de remettre mon manuscrit à la maison d’édition un mois et demi avant la date contractuelle ! Comment expliquer cette prolifération de matière grise consécutive à ces expériences transpersonnelles ?
Selon le D
r Régis Alain Barbier, endocrinologue, homéopathe et acupuncteur français, conférencier et président fondateur de la Société panthéiste ayahuasca, qui vit depuis quarante-trois ans au Brésil,
« l’ayahuasca fait travailler de manière harmonieuse les deux hémisphères cérébraux. Leur activité électrique se synchronise pour atteindre un rythme cohérent, générant un sentiment d’unité où l’individu fonctionne de façon plus intuitive. Quand l’activité cérébrale atteint cette intensité, elle favorise les “insights’’ [un moment privilégié de clarté et de discernement, générant une meilleure productivité de la pensée, accompagnée de prises de conscience fulgurantes, ndlr]. »
Mon esprit est vif, ma pensée structurée. J’écris mon livre en un temps record...
Des révélateurs de talent
Ma production écrite a peu à peu retrouvé un rythme ordinaire. Finis les éclairs de génie et les pensées haut débit ! Je suis – hélas – redevenue une auteure « normale », freinée par d’inévitables pannes d’inspiration. L’ayahuasca a donc clairement eu un effet sur mes fonctions cognitives au moins pendant quatre mois après mon retour du Pérou.
« Lors de ses recherches sur la spiritualité, le psychologue américain Abraham Maslow a justement souligné que les personnes ayant vécu une expérience extatique déclaraient à l’unanimité ressentir une amélioration profonde de leur état de santé, ainsi qu’une plus grande créativité et expressivité de soi, rappelle le D
r Régis Alain Barbier.
Donnés dans des conditions appropriées, les agents psychédéliques comme l’ayahuasca sont des révélateurs de talents, capables d’étendre nos compétences – intellectuelles, perceptives ou artistiques – de manière exponentielle » J’allais justement quelques mois plus tard en faire l’expérience. Au Brésil, cette fois. Une nuit, contre toute attente, grâce à l’ayahuasca, j’ai, en effet, « rencontré » ma voix. J’ai toujours aimé chanter. Sous ma douche, en faisant le ménage ou à tue-tête dans ma voiture. Mais pousser la chansonnette devant tout le monde, très peu pour moi… Ne me trouvant aucune prédisposition vocale particulière, je crois que la honte m’aurait foudroyée ! Quant à la musique, à part les cours rébarbatifs de flûte à bec imposés au collège, je n’ai jamais appris à jouer d’un instrument. Si l’écriture est un art, c’est le seul que j’avais jusqu’alors approché.
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