Qui sont les Ongods, ces esprits qui tâchent de faire passer un message à travers les chamanes, ces relayeurs ? Quelles informations ont-ils à nous transmettre ? Voici les questions auxquelles tente de répondre l’ouvrage Les 27 : les Oracles mongols révèlent leur trésor, publié aux éditions Véga, et écrit par Grand-Mère Ayangat et Arnaud Riou. Dans cet extrait, nous en apprenons un peu plus sur les incorporations des chamanes, ainsi que sur leur collaboration pour œuvrer dans un but commun, au service de la Terre et de ses habitants.
Savoirs ancestraux
munkhbayar dambajav/Pexels
L’alliance des chamanes
La cérémonie d’accueil de l’Ongod(1) se termine. La nuit
est déjà tombée et j’apprécie le spectacle de ces étoiles
qui éclairent cette nuit sans lune. Retour à un quotidien
très ordinaire. Ayangat est au téléphone. Je l’entends
bavarder avec un ami. Elle a enfilé un bas de survêtement
gris et un tee-shirt
blanc avec des paillettes. Ni coiffée ni
maquillée, j’observe surtout qu’elle est naturelle, libre du
regard de l’autre et totalement authentique. À la voir ainsi,
personne ne pourrait imaginer que ce petit corps abrite
l’esprit d’Ongods
si puissants. Des guerriers qui ont marqué
leur siècle, des philosophes, des grands sages. Ce sont ces
observations quotidiennes qui renforcent, jour après jour,
ma foi dans les Ongods. Je vais faire quelques pas dans la
nuit. À mon retour, elle me demande si je souhaite rencontrer
un autre chamane. « Je suis surprise, je pensais que les
Ongods ne collaboraient pas entre eux et qu’ils chamanisaient
individuellement. »
« Le chamane que je souhaite te faire rencontrer est le fils
d’un ancien ami de mon Oracle. Nous nous sommes connus
entre Ongods. Ensuite, les Ongods ont permis que nous nous
rencontrions physiquement entre relayeurs. Quand j’ai connu
cet autre chamane, j’ai appris que les Ongods pouvaient collaborer.
Il est important que le relayeur évite toute jalousie et
toute concurrence. Nous avons ainsi prêté serment, l’un envers
l’autre, de nous soutenir mutuellement. Nous avons commencé
à collaborer. Un chamane devient nuisible lorsqu’il entre dans
une attitude de compétition avec d’autres chamanes. Sans être
en concurrence, nous pouvons apprendre entre nous et collaborer,
pour mieux œuvrer et relever des défis plus importants.
Deux têtes réfléchissent bien, à trois on peut réfléchir encore
mieux. Même si un conte traditionnel raconte qu’un serpent
à plusieurs têtes avait été écrasé sous les roues d’une charrette,
car chaque tête voulait prendre une direction différente. Si le
cœur est en accord avec la réflexion, aucun défi n’est impossible
à résoudre. L’énergie est multipliée en présence d’une condition
opportune et d’un Ongod accompli.
Ceux qui ne souhaitent pas collaborer sont incapables de
protéger leur intégrité et leur confiance en eux, en présence
d’autres chamanes. Aucun individu ne peut agir mieux, en agissant
seul. Une collaboration est nécessaire à un moment donné.
Les chamanes qui s’accordent pour collaborer sont capables de
créer un miracle inespéré. Il est temps que les chamanes du
monde entier se reconnaissent, les uns les autres, dans la diversité
de leur tradition et s’engagent à œuvrer ensemble. »
Finalement, ce qui est vrai sur un plan visible l’est aussi
sur un plan invisible. Je laisse résonner cette maxime :
« Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin ». Dès
lors que nous sommes alignés entre nous, dès lors que nos
intentions sont éthiques et claires, nous gagnons en puissance,
en protection et en inspiration. Que nous vivions sur
la Terre, ou dans le Ciel des Ongods.
Nous quittons la yourte d’Ayangat. Je retourne au bord
de la rivière. Les journées sont répétitives ici, et tellement
éloignées de mon quotidien européen. Pour autant, je me
surprends à voir que je perds cette relation à l’ennui. Je
m’ennuie souvent davantage en Europe qu’ici, où il n’y a
presque rien à faire.
En Europe, je cours beaucoup, je change toujours de
décor, d’environnement, de vêtements. Ici, tout est simple,
sobre et pourtant tellement puissant. C’est, pour moi,
comme un retour à l’essentiel. Je me surprends à remercier
mes esprits tutélaires de m’avoir guidée jusqu’à ce
voyage sur la terre de mes ancêtres. Je médite quelques
minutes devant la clarté du torrent. La rivière circule sur
la terre, comme le sang circule dans nos veines. Je perçois
à l’instant la Terre plus vivante, plus sensible. Les yacks
broutent l’herbe couverte de rosée. Au lointain, un groupe
de nomades est assis autour d’un feu. J’apprendrai plus
tard que ce sont d’autres chamanes. Ils semblent attendre la
visite d’un des leurs. C’est toujours étonnant, en Mongolie,
de voir comment les nomades se retrouvent spontanément
au milieu des steppes, souvent sans téléphone portable et
sans agenda, comme s’ils étaient guidés par les esprits.
Ce jeune chamane les rejoint. Les uns et les autres se
saluent chaleureusement. De grands rires percent la nuit.
Je suis émue de voir ces Mongols se retrouver ; malgré
leur stature imposante, ils jouent comme des enfants. Ils se
moquent les uns des autres avec bienveillance, se racontent
des histoires. C’est une habitude mongole, empreinte de
pudeur, que de nous moquer et de nous taquiner entre
nous. Il n’y a jamais de mauvaise intention, juste une façon
de vérifier que personne ne se prend trop au sérieux.
Cette rencontre de chamanes réchauffe mon cœur ! Deux
d’entre eux ont revêtu leur tenue chamanique et s’apprêtent
à rejoindre les autres. Le chamane qui m’accompagne
débute son rituel en battant sur son tambour.
On m’a prévenue que certaines incorporations peuvent
être plus violentes que d’autres. Les Ongods sont imprévisibles.
C’est pourquoi je suis moins déstabilisée de découvrir
un chamane en transe. Son cri lugubre déchire la nuit. Il se
relève, puis tombe et se relève encore. Il titube. Il se vomit
dessus. Je tente de garder mon calme et mon discernement.
Les autres chamanes sont sereins. « C’est un jeune chamane.
Il a été initié il y a peu. Il ne se fait pas assez confiance et
n’incorpore pas complètement. Son maître chamane a fait
appel à un autre relayeur pour l’aider dans son initiation. »
« Qu’entendez-vous
par incorporation incomplète ? »
« Lorsque le mental du relayeur se confond avec celui de
l’Oracle et que le relayeur n’arrive pas à s’accrocher à son
Ongod, l’incorporation est incomplète. L’Ongod ne peut
incorporer tout le corps du relayeur. Celui-ci ne lui laisse pas suffisamment de place. Et le relayeur ne peut plus faire la distinction entre l’esprit de l’Ongod et son propre esprit, entre les pensées de l’Ongod et ses propres pensées. Cela crée des perturbations,
qui vont de la difficulté à incorporer à des troubles de
la personnalité, en passant par des maux physiques, des nausées,
des évanouissements. »
Je commence à mieux appréhender la façon dont les
chamanes incorporent. À Berlin, il m’arrive d’aller au
théâtre et d’observer le jeu des acteurs. Parfois, certains
acteurs sont totalement habités par leur personnage, parfois
d’autres jouent « faux ». Cela se voit tout de suite. On ne
peut pas tricher avec l’authenticité. Dans cette situation, notre apprenti chamane ne distingue plus son Ongod de
lui-même.
Il défaille et perd la raison. Il interpelle son
maître. « J’ai l’impression d’être moi-même.
Je ne sais plus
si c’est l’Ongod qui me parle ou si c’est mon mental, j’ai
l’impression de devenir fou », répète l’apprenti. Le maître
enveloppe l’élève dans son énergie pour forcer et pousser.
Il le soutient dans son incorporation.
Je me sens privilégiée d’assister à cet apprentissage.
Le maître accompagne l’élève à révéler son Ongod. Il lui
transmet les règles de conduite à tenir. Il l’aide à ressentir le
cœur et l’amour de son ancêtre. Il lui prodigue de nombreux
conseils pour qu’il redouble d’efforts.
Assise près du feu, je questionne un autre chamane qui
observe la scène en fumant. Il porte, comme chacun ici,
le deel(2), manteau traditionnel qui lui descend jusqu’aux
chevilles. Son grand deel bleu turquoise, serré d’une ceinture
jaune tournesol, lui donne l’allure d’un prince : « Quand tu
entres dans une école pour apprendre un métier, me dit-il,
tu ne maîtrises, pas tout de suite, les qualités nécessaires pour exercer
cette profession. Tu as besoin d’apprendre pendant des années,
n’est-ce pas ? Et même lorsque tu obtiens ton diplôme, tu es encore
loin de maîtriser ton art. Il y a tant de choses qui te manquent
avant d’être un expert ! Ce jeune chamane, récemment initié, a
de la chance, car le maître l’accompagne. C’est notre assiduité
qui révèle l’esprit de l’Ongod, notre engagement, notre constance,
et surtout, le cœur que nous mettons à l’ouvrage pour acquérir le
processus de l’incorporation. Le chamanisme est une discipline
exigeante. Nous avons besoin de temps pour apprendre. » [...]
(1) Un Ongod, aussi appelé Oracle, est l’esprit d’un ancêtre du chamane que ce dernier canalise. Les Ongods enseignent, prodiguent des soins, répondent à des questions, pour restaurer l’équilibre. Ils chantent et offrent des poésies.
(2) Le deel est le manteau traditionnel en feutre porté par les
Mongols.
Les 27 : les Oracles mongols révèlent leur trésor, Grand-Mère Ayangat et Arnaud Riou, éd. Véga, 2023, p. 53 à 57.
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