Parti étudier la médecine traditionnelle amazonienne, le chirurgien Aziz Khazrai nous fait part des difficultés rencontrées et des motivations qui l’ont poussé à persévérer dans cette démarche.
J’ai eu beau commencer il y a une semaine, il y a des moments où je suis sur le point de craquer. L’envie de faire ses valises et de rentrer dare-dare, rejoindre ma famille, ma fille, les amis. Et mon amoureuse. La seule chose qui me retienne est le souvenir vif du sentiment permanent qui m’habitait alors que j’étais en France : une constante envie de crever. Il est vrai que je suis aussi ici pour guérir. Pour me guérir de moi-même. Dès notre première rencontre avec Guillermo Arevalo et après quelques cérémonies, je réalisais l’énormité de mon mal de vivre. Je décidais dès lors d’entreprendre un double processus : guérir de cela et apprendre le chamanisme.
Pendant un an et demi, j’ai suivi une diète comme disent les chamanes amazoniens. Cela consiste en un régime alimentaire assez strict excluant les graisses, les sucres, le sel, l’alcool, les épices, les viandes rouges, la plupart des fruits à l’exception des pommes et des bananes. Comme si cela ne suffisait pas, on y ajoute une abstinence sexuelle. On doit aussi s’efforcer de purifier ses pensées et ses émotions. Cet état de pureté, que l’on ressent physiquement, émotionnellement et intellectuellement dès les premières semaines, vous met dans une réceptivité totale. Les plantes, non hallucinogènes je tiens à le préciser que m’a prescrit Guillermo, ont pu ainsi pénétrer profondément en moi, délivrer leur enseignement et déployer leurs facultés de guérison. Dans sa tradition on les appelle les plantes maîtresses.
Durant un an et demi, j’ai appris des tas de choses, essentiellement par le biais des intuitions, mais aussi grâce à des phénomènes de synchronie aussi forts que répétés. Vous savez, c’est quand vous ouvrez un livre par hasard et que vous tombez pile sur la réponse à la question qui vous taraudait depuis des jours. J’essayerai plus tard de résumer quelques leçons apprises des plantes.
Bien plus que l’enseignement, la guérison personnelle a été au premier plan. La barrière entre l’inconscient et le conscient a été assez amoindrie grâce à la diète, ce qui a permis à quantité de souvenirs et de mauvaises émotions (les chamanes diraient énergies) de s’échapper. Tous les trois ou quatre mois, je me rendais au Pérou, où Guillermo me prodiguait des soins. Grâce aux transes visionnaires de l’ayahuasca je pouvais pénétrer de plus en plus loin au sein de mon inconscient et de débusquer des traumatismes aussi anciens que profondément enfouis. Autant ignorés qu’intensément puissants. J’ai même cru crever plus d’une fois lorsque l’un d’entre eux faisait surface dans ma sphère consciente avant de s’échapper. J’ai quand même eu à ces occasions des leçons mémorables sur la nature énergétique de nos esprits, des souvenirs et des émotions qui leur sont attachées. Des énergies dont la nature et les propriétés physiques font qu’elles deviennent invisibles pour la conscience ordinaire, raison pour laquelle on pense qu’elles finissent dans une sorte d’inconscient. Je peux vous certifier qu’elles sont très attachées à nous, peut-être plus encore que les bonnes énergies (traduisez émotions, mémoires et pensées).
Au fur et à mesure que je progressais dans la guérison, je désirais de plus en plus approfondir mon apprentissage. À un moment je réalisais que je devais pour cela résider une année entière aux côtés de Guillermo. J’avais fait le maximum par moi-même, mais en France, loin de la nature, en plein tumulte parisien, il était impossible de faire mieux. Sur le plan de la guérison, j’avais aussi atteint mes limites. Il m’apparaissait dangereux de continuer seul dans de telles profondeurs, face à des énergies aussi hostiles.
Guillermo m’ayant accepté comme disciple, je rentrais 3 mois en France pour liquider mes affaires personnelles, démissionner et surtout faire mes adieux provisoires à ma fille, ma famille, aux amis. Comme vous pouvez l’imaginer, se séparer de ma fille et de mon amour fut des plus difficile.
C’est ainsi que j’arrivais au Pérou le 12 janvier 2008. Guillermo m’annonça la couleur assez vite. Diète des plus strictes : poisson et bananes à midi et puis c’est tout. Un seul maigre repas par jour, il faut dire que je lui avais demandé de suivre la diète traditionnelle. Tant qu’à faire, il fallait que je fasse les choses dans les règles et jusqu’au bout… Le plus dur a été quand il m’a annoncé qu’il me fallait vivre dans un isolement quasi total dans la forêt proche de son centre. Moi qui avais cru pouvoir me rendre au moins deux fois par mois à Iquitos pour récupérer mes mails et communiquer un peu avec le monde extérieur ! Je devrais me résoudre à tout écrire sur une clé USB et prier Guillermo ou quelqu’un d’autre du centre pour qu’il poste mes messages et récupérer ceux que l’on m’envoie.
Le plus difficile pour moi est de vivre la solitude. Guillermo m’a expliqué que tous les chamanes commencent par cette année quasi obligatoire de diète stricte. Durant les trois premiers mois on est confronté à soi. À ses doutes, à ses peurs, ses faiblesses. Un tourment quasi perpétuel. La nuit, m’a-t-il prévenu en riant, tu vas mouiller ton pantalon en faisant des rêves érotiques. Et puis, ajouta-t-il, après trois mois, tu vas pénétrer le monde surnaturel.
« Les esprits deviendront visibles. Les bons comme les mauvais. Ils voudront tous t’apprendre des choses, voire te faire des cadeaux. Regarde bien qui te les offre avant d’accepter. Ton corps sera faible, mais ton esprit sera fort. Tu écouteras les oiseaux chanter et dans leurs chants tu décèleras des messages de ta mère et de tes amis. Les animaux et les plantes te parleront et tu les comprendras. »
Cet état tous les chamanes disent l’avoir vécu lors de leurs initiations et autres périodes d’apprentissage. L’ayant entendu une fois, je n’ai pas pu m’empêcher de désirer vivre cela et de voir par moi-même. Ma manière à moi de tordre définitivement le cou au doute, ce poison mortel que notre société moderne m’a instillé dès mon plus jeune âge.