Les signaux d’alerte sont nombreux. Face aux risques environnementaux, sanitaires ou économiques, qu’adviendrait-il si notre société venait à s’effondrer ? Nos dirigeants sont-ils préparés à répondre aux besoins des populations en matière de santé et de sécurité ? Alexandre Boisson, ancien garde du corps de présidents, fut en première ligne pour constater les manquements du système. Il a créé SOS Maires, une association visant à accompagner élus et administrés sur le chemin de la résilience.
De garde du corps de présidents à militant, il y a un monde. Qu’est-ce qui vous a conduit
à un tel parcours ?
Au fil de mon parcours professionnel, de policier de proximité à la brigade anticriminalité en passant par le service de protection des hautes personnalités, j’ai compris qu’il existe un décalage terrible entre la base et le haut de la pyramide sociétale, alors que nous sommes pourtant tous dans le même bateau. Les urgences auxquelles nous allons faire face sont factualisées, des alertes ayant été données par des instances internationales crédibles : le FMI, la Banque mondiale, l’Agence internationale de l’énergie, l’OMS, l’ONU... Pourtant, tout le monde semble s’en moquer éperdument ! C’est donc cette analyse, au cours d’années de carrière, qui m’a poussé à devenir militant pour une vraie sécurité publique. Au regard de la loi, c’était un état de nécessité.
Qu’est-ce qui est prévu par nos dirigeants
en cas de crise majeure ?
Ce dont je me suis aperçu grâce à
SOS Maires, c’est que les lois concernant les anticipations de crises n’étaient pas respectées. La plupart des Dicrim (Document d’information communal sur les risques majeurs) ne sont pas remplis, ou de manière peu opérationnelle. Il en est de même pour les plans communaux de sauvegarde. Leur vision de ce que pourrait être une crise est toujours limitée. Par exemple, la majeure partie des plans communaux de sauvegarde prévoient en cas de sinistre de réquisitionner les supérettes et supermarchés. Mais c’est à la condition que ceux-ci soient approvisionnés ! Ce ne serait pas possible en cas de grève des transporteurs routiers, par exemple, et nous avons d’ailleurs frôlé ce scénario pendant la crise de la COVID-19. Des plans communaux de sauvegarde articulés sans résilience alimentaire garantissent des émeutes, alors qu’ils devraient être de nature à garantir la paix publique.
Qui est Alexandre Boisson ?
Garde du corps de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy, Alexandre Boisson décide en 2011, suite à une « crise » de conscience, de se reconvertir.
Il crée alors SOS Maires pour tenter de sensibiliser les élus sur l’imminence d’un effondrement et sur les moyens de s’y préparer. L’organisme a pour vocation de s’assurer que les Dicrim et plans de sauvegarde des communes sont en règle et de mettre en lumière ceux qui apportent des solutions.
Quelles menaces pèsent sur nos sociétés aujourd’hui ?
Elles sont multiples. La première est interne, il s’agit d’un manque de cohésion sociétale. La France ne se connaît pas, car elle n’écoute pas : le sommet de l’État évolue dans un univers parallèle et ne prend pas en compte les alertes lancées par des gens intègres, qui visent à renforcer notre territoire. Aujourd’hui, les lanceurs d’alerte sont mis au ban de la société, car ils empêchent la « douce » croyance que tout se passe bien. La France bénéficie d’une inertie du marché mondial, ce qui maintient l’illusion que tout va bien, alors que beaucoup de secteurs ne fonctionnent déjà plus correctement. Des alertes ont été données concernant l’énergie dès 2030, peut-être même avant. Avec la COVID-19, beaucoup de Français ont perdu leur emploi et vont réclamer de la nourriture auprès des associations.
Mais le pays ne veut pas entendre ce qui lui déplaît, et ne fait donc pas le nécessaire pour rétablir
la situation.
Nous sommes pourtant au fait de ces problématiques depuis très longtemps... Qu’est-ce qui empêche l’être humain d’entamer une transition plus radicale ?
Nous avons un problème sociologique, de gouvernance, mais notre premier vrai problème est notre physiologie. Le principe d’homéostasie, inhérent à l’être humain, nous porte à croire que lorsque quelque chose est rétabli, c’est pour toujours. Du fait de ce phénomène, nous sommes désarmés face à une situation de crise, car incapables d’anticipation. En 1973, le rapport Meadows [rédigé par des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology, NDLR] prévoyait que dès 2020, la tension entre la courbe démographique, la croissance économique et le manque de ressources naturelles nous mènerait à la catastrophe. Ces dires se vérifient en 2020, mais on veut continuer à croire qu’il y a erreur, que tout va continuer comme avant. On ne peut pas bien gérer une situation si on ne l’a pas anticipée.
Pour prendre un exemple récent, nous connaissions la menace de pandémie, et pourtant, nous n’avons pas commandé de masques, ou nous les avons détruits, avec les conséquences que cela a eu face à la COVID-19.
Quelles sont alors les solutions ?
Il faut que dès aujourd’hui les communes remplissent leur devoir légal de sensibilisation des populations, en organisant des agoras pour informer les citoyens sur les risques majeurs, mais aussi sur la nécessité de créer une résilience alimentaire locale et d’impliquer les citoyens qui souhaitent participer. Cela peut prendre diverses formes : le jardin partagé où chacun est autonome, le chantier écologique massif, coordonné par ceux qui savent cultiver, ou la régie agricole communale, dans laquelle la mairie embauche des agriculteurs pour faire du bio à destination des cantines, des collectivités locales, etc. Malheureusement, beaucoup d’élus continuent à autoriser des supermarchés à s’implanter en bétonnant des terrains agricoles qui pourraient permettre de produire du foncier nourricier. Enfin, l’administré est coproducteur de sa propre sécurité, de consommateur il doit devenir « consom’acteur », ce qui est primordial pour le succès de l’opération. Tout cela ne sert à rien si on continue de privilégier uniquement le supermarché et les circuits alimentaires longs.
Notre problématique est qu’on vit sur une architecture de peur.
Certaines villes françaises montrent-elles ce chemin de résilience ?
En termes de sécurité, Montfermeil (93) est un bon exemple, bien qu’elle ne soit pas résiliente au niveau alimentaire. Là-bas, la permaculture a permis à la cité des Bosquets, un quartier qui flambait en 2005, de devenir un secteur prisé. Que s’est-il passé ? Les populations ont été sensibilisées à la permaculture, l’apiculture, l’élevage de poules, à « comment faire société ». Cela a amené à une résilience sociétale. En termes de vision écologique, Ungersheim (68) est mon modèle : en cas de crise sur les supermarchés, avec sa régie agricole communale et ses Amap, elle reste capable de nourrir ses 2 177 habitants. Elle a par ailleurs créé une université des élus pour la résilience, qui permet à qui le souhaite de s’informer. Mais le problème est qu’en cas de crise, les habitants de quelque 34 968 autres communes déferleraient dans ces villes résilientes pour aller se nourrir, comme des cigales sur les champs de blé.
Ce n’est donc pas viable pour le moment.
Ce système de coopération est au cœur du fonctionnement du vivant. Changer passe-t-il
par une reconnexion à la nature ?
Tout à fait. François Rouillay et Sabine Becker, auteurs d’
En route vers l’autonomie alimentaire, l’expliquent très bien. En faisant pousser des fruits et légumes, en créant sa nourriture, on se reconnecte à la magie du vivant, et on se redécouvre. Cela demande de l’attention, pour voir la magie opérer. Notre problématique est que l’on vit sur une architecture de peur. Or, lorsqu’on a l’impression d’être riche de soi-même parce qu’on est capable de faire pousser ses aliments, on a moins peur. Se reconnecter au vivant a quelque chose de très rassurant. Nous déconnecter de cette vie moderne derrière des écrans nous rassure, on est donc plus rassurant pour les autres, et on forme alors... un collectif de gens rassurants !
Le changement passerait alors par une reconnexion à une forme de spiritualité ?
Malheureusement, ce terme a été galvaudé, tout comme tant d’autres mots. Par exemple, en cas de chaos, on ne parle pas d’anarchie mais d’anomie, l’anarchie étant au contraire de l’autogestion très organisée. « Écologie », qui évoque quelque chose de très sain, est devenu un terme politique. Il en est de même pour la spiritualité. Il faut faire attention à l’importance des mots et à la façon dont ils résonnent chez les gens, réussir à galvaniser, plutôt que diviser. J’aurais plutôt tendance à employer le mot « écorégénération ». Nous n’avons plus le temps de protéger les écosystèmes, l’étape d’après est de les régénérer, de rétropédaler face à une inertie sociétale sur sa trajectoire destructrice. Cette idée induit celle d’écologie, de régénération de la planète et de soi-même. Ce qui abîme la planète, c’est notre déconnexion du vivant. Certains ne font que l’observer, d’autres perçoivent l’énergie qui se cache derrière tout cela, ou s’éveillent à une forme de spiritualité...
3 clés pratiques
S’informer
Si le maire est responsable de la sécurité de ses administrés, le citoyen a la coresponsabilité de s’assurer que sa commune remplit son devoir légal. Pour cela, il est possible de consulter librement le Dicrim, destiné à informer la population sur toute menace d’ampleur et sur les mesures prévues pour la protéger.
Viv(r)e la résilience !
On sait aujourd’hui la vulnérabilité du système alimentaire face aux crises systémiques : changement climatique, épuisement des ressources, effondrement de la biodiversité... La résilience alimentaire est devenue un enjeu planétaire. Si les « grands » leviers sont entre les mains de nos dirigeants, il est possible de faire sa part. Le potager est une bonne solution (compter 100 m2 de culture par personne pour une année), et l’occasion de renouer avec les pratiques de conservation d’antan (conserves, fermentation...) pour consommer nos récoltes toute l’année.
Devenir consom’acteur
Enfin, changer de paradigme requiert de la congruence : notre façon de consommer doit être ajustée à nos aspirations, les considérations éthiques intégrées à nos critères d’achat. Ainsi, privilégier les circuits courts plutôt que les supermarchés, et opter pour l’agriculture raisonnée (ou bio, idéalement).