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S.O.S.
sols
:
de
la
sécheresse
aux
famines
?

Hautement menacés par nos traitements, les sols pourraient s’avérer infertiles d’ici 60 ans. Le yogi Sadhguru tente de sensibiliser à leur sauvegarde par un périple international.
S.O.S. sols : de la sécheresse aux famines ?
Nature
La salle Pleyel est pleine à craquer, la chanson internationale écrite pour l’occasion résonne, un groupe la joue sur scène, tout le public la reprend, la gaieté et l’enthousiasme se répandent tout autour de moi, les visages sont souriants, l’esprit est à la fête. Nous sommes le 9 avril 2022 à Paris, Sadhguru va arriver, c’est la 11e étape de son périple qui en comportera 32 : au départ le 19 mars de Birmingham en Angleterre, après 100 jours et 30 000 kilomètres, il finira à Coimbatore en Inde, dans son ashram, afin de sensibiliser aux dangers qui menacent nos sols. À chaque étape, il rencontre des personnalités, signe parfois des accords et distribue son plan d’actions concrètes.

À vrai dire, cette démarche, cela fait 24 ans qu’il la poursuit. Parmi de nombreuses autres, comme la création d’écoles et de dispensaires et la reforestation, Sadhguru étudie les sols, leur dégradation et les difficultés incommensurables qui menacent les agriculteurs du monde entier, et par définition, nous, la population. Nous sommes un peu plus sensibilisés à l’urgence climatique, mais il y a une urgence des sols encore plus préoccupante, car à échéance plus courte : en effet, dans 60 ans, si nous poursuivons l’exploitation intensive et planétaire de nos sols telle que nous la pratiquons, selon la déclaration officielle de l’ONU, plus aucune parcelle ne sera cultivable. Comment allons-nous nourrir les 9 milliards d’habitants que nous serons ? Comment ne pas imaginer des famines, des déplacements de population, des guerres ? Sans sombrer dans le catastrophisme, il nous faut impérativement comprendre ce qui se passe et agir. Pour cela, Sadhguru essaye d’informer le plus grand nombre de personnes et de contacter celles et ceux qui sont au pouvoir et peuvent prendre des décisions. Et la tâche n’est pas simple.


De quoi sont faits les sols ?


« Je suis venu des sols et cela vaut pour vous aussi. Je me considère comme un ver de terre, je rampe sur cette planète ! Si je ne sais pas comment la vie fonctionne en moi, je suis un idiot ou un Martien... Vous vivez dans votre tête, vos émotions et vos pensées sont grandes. Pas moi, j’ai la tête vide comme un ver de terre. Les gens sont des vers de terre, mais ils ne s’en rendent pas compte jusqu’à ce qu’on les enterre. Vous ne savez pas de quoi vous êtes faits, moi je suis le sol », s’amuse Sadhguru. Ces paroles ironiques et sages sont dites en introduction, pour expliquer ensuite deux choses : la première, c’est que nous devons nous informer. Ensuite, nous pourrons agir en prenant conscience de ce qui se passe. Savoir de quoi sont faits les sols permet de comprendre pourquoi ils sont aujourd’hui menacés et en quoi leur destruction nous met en péril. Mais c’est aussi avoir les outils pour changer, transformer et avancer.

Car le sol est vivant : « C’est une symbiose complexe de matière organique, de minéraux, de gaz, de liquides, d’organismes vivants et de microbes qui, tous ensemble, favorisent la vie. Sans la matière organique présente sous forme d’humus, les sols ne sont que du sable inerte, explique Sadhguru. 87 % de la vie dépend des sols. Une cuiller de sols contient plus d’organismes vivants qu’il n’existe de personnes sur la planète ! Les sols soutiennent l’ensemble de la chaîne alimentaire et de l’écosystème. La richesse de la matière organique contenue dans les sols nourrit toutes les autres vies, y compris la vie humaine. » D’ailleurs, le terme même d’humain vient du latin humus.

Autre information fondamentale, les sols stockent trois fois plus de carbone que les plantes vivantes. Après les océans, ils représentent le deuxième puits de carbone le plus important. Ce sont les matières organiques qui piègent et stockent le CO2, mais aussi la pollution. Enfin, les sols constituent une réserve d’eau : les nappes phréatiques, indispensables à notre avenir, mais aussi l’humidité interne des terres peuvent prévenir les sécheresses dans bien des lieux. « En moyenne, 70 % de l’eau est utilisée pour l’agriculture, il faut réduire cela. Pour qu’il y ait de l’eau partout, il faut de la matière organique, et plus son contenu augmente, moins nous avons besoin d’utiliser d’eau », précise Sadhguru. Car d’ici 2032, c’est-à-dire demain, une grande majorité de la population mondiale vivra de fortes sécheresses et manquera d’eau. Il est donc primordial aujourd’hui de revoir nos méthodes d’agriculture intensive, qui nous amènent inéluctablement à la destruction des sols et au gaspillage de l’eau.

87 % de la vie dépend des sols. Une cuiller de sols contient plus d’organismes vivants qu’il n’existe de personnes sur la planète !


Pourquoi les sols sont-ils en danger ?


Sols dégradés

L’agriculture intensive, le labour ainsi que l’utilisation des pesticides et les zones brûlées, ont participé à la dégradation progressive des terres cultivables. Cette dégradation engendre l’utilisation de plus en plus d’eau pour les cultures. Aujourd’hui, près de 52 % des terres agricoles mondiales sont dégradées. À ce rythme, ne serait-ce que dans 20 ans, nous aurons 40 % de production agricole en moins sur Terre. La biomasse des insectes a disparu d’environ 80 % et la perte de cette biodiversité perturbe l’habitat des sols et leur régénération. Lorsque la terre est labourée, elle libère le CO2 dans l’atmosphère, ensuite elle sèche et les micro-organismes meurent à l’air libre. Donc, s’ils ne sont pas revitalisés, les sols vont rejeter dans l’atmosphère l’immense quantité de CO2 qu’ils retiennent, augmentant par là le réchauffement climatique en cours. Ainsi, 850 milliards de tonnes de dioxyde de carbone, ce qui représente plus d’émissions que les 30 dernières années, risquent de rejoindre notre air déjà saturé.

Il faut également prendre conscience qu’un sol dégradé produit une nourriture plus pauvre en nutriments. « Aujourd’hui, il faut manger 8 oranges pour avoir la teneur en vitamines et minéraux que possédait une seule orange dans les années 1920 », rappelle Sadhguru, car le rendement nécessite aussi que les plantes poussent plus vite et elles n’ont pas le temps d’absorber les nutriments du sol qui, en plus, s’appauvrit. « Les sols doivent rester en vie pour que les futures générations restent en vie. Nous sommes en train de déposséder un enfant pas encore né de sa nourriture. Nous devons maintenir entre 3 et 6 % de matière vivante dans les sols. Et ça, c’est une décision politique », explique le yogi, alors que l’Europe plafonne à 1 % au sud et 1,48 % au nord (la France : 1,3 %), l’Afrique à 0,3 % et l’Inde à 0,68 %. Tous ces chiffres sont expliqués par Sadhguru et son équipe dans leur programme d’information, ils reprennent des données officielles(1).


Quelles sont les solutions ?


« Il faut faire comprendre à tous que le sol est une substance vivante et non inerte, c’est le plus grand système vivant sophistiqué et malheureusement, il est considéré comme inerte, et donc on le pollue, on le détruit. De plus, on ne connaît même pas 1 % de la vie des sols, donc les décisions prises sont mauvaises », explique Sadhguru. La prise de conscience est le premier pas, ensuite il faut communiquer. Certains États comme l’Allemagne et la France ont déjà pris des mesures en signant des protocoles d’engagement pour améliorer la situation, mais on sait à quel point cela peut ne pas être suivi d’action. Il faudrait totalement revoir nos techniques d’agriculture intensive qui fonctionnent en cercle vicieux. La majeure partie des récoltes nécessite des produits chimiques qui appauvrissent les sols et provoquent un besoin d’eau excessif, les labours détruisent la biodiversité des sols alors que l’on sait aujourd’hui que les vers font ce travail de labourage eux-mêmes. La rotation des cultures (alterner les variétés de plantes d’une année sur l’autre et les cultures de couverture) et l’insertion d’une plante qui « recouvre » et protège, comme le trèfle, à proximité d’une plante principale permettent d’augmenter le carbone et l’azote dont les micro-organismes ont besoin pour vivre. Une augmentation de seulement 1 % de la matière organique dans les 15 premiers centimètres de terre, et ce sont 180 000 litres d’eau supplémentaires par hectare qui sont retenus !

De son côté, la destruction de la forêt tropicale, qui est un gros problème, ne peut plus être uniquement palliée avec du replantage d’arbres car cela prendrait trop de temps. « Il faut arrêter d’utiliser les produits de la forêt. Nous devons prendre les terres agricoles pour cela, et les agriculteurs devraient pouvoir faire pousser ce qu’ils veulent, recevoir des subventions pour planter des arbres », propose notamment Sadhguru. Le réveil doit essentiellement venir de nous qui, grâce à notre nombre, pourrons peut-être convaincre les décideurs d’agir. Il faut commencer à mettre en place de l’agriculture régénératrice, qui est aujourd’hui élaborée et applicable.


Le chemin du yogi


Sadhguru a pris sa moto et a dessiné un parcours. Il a traversé 26 nations et rencontré parfois des personnes importantes, comme des députés des Parlements anglais et italien, le député Stewart Maginnis, directeur général de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) en Suisse où il a été reçu aux Nations Unies, tandis qu’à Cologne, il a tenu son meeting à l’UNCCD (Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification), accueilli par le secrétaire exécutif Ibrahim Thiaw. En Slovaquie, c’est le ministre de l’Agriculture Martin Kovac lui-même qui a accepté de le rencontrer, et en Bulgarie, le ministre de l’Environnement Borislav Dimitrov Sandov.

En France, Sadhguru a signé un MoU (protocole d’accord) avec 4p1000, un projet porté par l’université agronome Paris Saclay(2), dont le secrétaire général Paul Luu a déclaré : « Nous partageons exactement les mêmes objectifs de maintien du carbone dans les sols. Pour nous, il est important de combattre les changements climatiques, l’insécurité alimentaire, et pour Sadhguru, il s’agit aussi des générations futures. » Il a aussi rencontré des chercheurs de l’INRAE ainsi que Yann Arthus-Bertrand à l’UNESCO. La France est d’ailleurs le seul pays à avoir désigné comme prioritaire le renforcement du contenu organique dans ses recommandations de politique générale. Un mémorandum a été rédigé, avec un certain nombre de propositions concrètes pour l’agriculture, et l’idée est de le diffuser le plus possible auprès des gouvernements. Mais le grand maître ne perd pas sa bonne humeur, tout son circuit se fait au son de ses chants, avec des moments de méditation et de joie partagée. Car c’est aussi en nous transformant nous-mêmes, avec de l’espoir et du baume au cœur, que nous pourrons participer à cette évolution.

En action
La première action que Sadhguru recommande, c’est de s’informer. D’après lui, comprendre les enjeux permet de motiver l’action. Ensuite d’informer autour de soi. Pour cela il recommande d’utiliser les réseaux sociaux, d’envoyer des mails à nos proches, et pourquoi pas des courriers à nos dirigeants. Il a même conseillé aux enfants de faire des lettres de classe à envoyer aux ministres de l’Agriculture... Chacun à son niveau peut sensibiliser autour de soi. Lors de la COP15 à Abidjan en Côte d’Ivoire, Sadhguru s’est adressé aux 195 nations présentes : « Le temps de l’action est venu, et l’attention portée aux sols doit être distinguée des autres aspects parce que c’est d’eux que tout le reste dépend. Les processus de photosynthèse se réduisent. Le domaine de l’agriculture doit être traité en priorité partout. Maintenons les sols en vie en faisant d’eux une entité vivante à préserver partout sur la planète ! »


(1) Tous les chiffres et leurs liens : consciousplanet.org
(2) Projet 4p1000

À
propos

auteur

  • Mélanie Chereau

    Journaliste et rédactrice en chef adjointe d'Inexploré magazine
    Melanie Chereau est journaliste et auteur de plusieurs ouvrages. Ses thèmes de prédilection sont la spiritualité, la naturopathie et les médecines douces. Elle pratique le bouddhisme depuis plus de 17 ans, est formée en Reiki et en aromathérapie. ...
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Inexploré n°55

Médecines de l'âme

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Un esprit sain dans un corps sain ? Autrefois, médecine et spiritualité étaient intimement liées. Philosophies grecques, orientales et chamaniques en témoignent.

Comment repenser le parcours de soin dans un dialogue entre visible et invisible ? Peut-on ouvrir la voie à une médecine holistique et préventive ? Sur ce chemin, les guérisons surnaturelles peuvent-elles nous inviter à de nouvelles connaissances ?

Sans se priver de la technicité de la médecine occidentale, une alliance en bonne intelligence avec les thérapies dites « complémentaires » serait plutôt à rechercher. Mieux encore : transformer notre rapport à la santé serait bénéfique tant à l’individu qu’au collectif, et finalement, à la planète.

Conscience de soi, santé du monde ? Ce numéro estival d’Inexploré explore cette question en détails. Une nécessité afin de se responsabiliser au quotidien et retrouver une forme de souveraineté dans notre rapport au corps et à la guérison. Très belle découverte !

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