Au début du XXᵉ siècle, un moine chrétien parcourt l’Inde et y découvre une spiritualité ancestrale, qu’il n’aura de cesse de mêler à ses enseignements, dans l’idée de dépasser les différences et trouver son « Graal intérieur ».
Le profond message évangélique peut-il rencontrer et dialoguer avec les trésors du millénaire mysticisme indien ? Existe-t-il un langage spirituel commun à ces deux traditions d’Occident et d’Orient, capable de permettre à tout authentique chercheur d’atteindre le but ultime de sa quête intérieure ?
Pour répondre à ces questions, transportons-nous dans la Bretagne des premières décennies du siècle passé et atterrissons dans l’abbaye bénédictine centenaire de Sainte-Anne de Kergonan, dans le Morbihan, à quelques kilomètres seulement de Carnac et de la presqu’île de Quiberon. C’est ici que nous rencontrons, en 1935, le jeune moine et prêtre catholique Henri Le Saux.
Un homme vivace, résolu et énergique, plongé dans le rêve de pouvoir donner une forme concrète à sa vocation de témoin du Christ. Il décide de partir en Inde : un désir profond dans lequel se mêlent son expérience contemplative chrétienne et la fascination pour la spiritualité de ce monde lointain et envoûtant.
Un voyage initiatique
En 1948, grâce à son contact, le prêtre Jules Monchanin, qui se trouve déjà en Inde depuis quelques années, Henri obtient l’autorisation de se rendre au Tamil Nadu, dans le sud, prêt à se lancer dans son œuvre missionnaire de conversion des populations locales. Au bout de très peu de temps, malgré ses intentions premières, Henri commence à prendre conscience que l’univers spirituel et humain auquel il était venu annoncer la Révélation est en réalité beaucoup plus dense et profond que ce qu’il pouvait imaginer et comprendre à la lumière de la seule lecture des anciens ouvrages philosophiques de la silencieuse bibliothèque de son monastère breton.
C’est en 1949, au cours d’un pèlerinage dans la montagne d’Arunachala, que cette impression devient une certitude. En visitant ce lieu, qui pour les hindous représente la manifestation visible du tout-puissant dieu Shiva, Le Saux est foudroyé. La simplicité de cette montagne qui se lève, solitaire dans les plaines ardentes, juste à côté de la ville de Tiruvannamalai, lui apporte la certitude de reconnaître le profil du Christ : « son » Christ, ici en Inde, sous l’aspect d’une montagne faite de roche sombre et consacrée au dieu Shiva !
Ce bouleversant pèlerinage offre également à Le Saux le privilège rare de rencontrer le grand maître Sri Ramana Maharshi, qui depuis des années a choisi l’Arunachala comme lieu d’ermitage solitaire. Ramana, considéré unanimement aujourd’hui comme l’une des plus importantes personnalités spirituelles du XXᵉ siècle, touche profondément le cœur de Le Saux avec très peu de paroles et grâce à sa seule présence rayonnante. Comme il le raconte dans son ouvrage
Souvenirs d’Arunachala :
« Avant même que ma pensée n’ait pu le reconnaître, ni surtout l’exprimer, l’auréole intime de ce Sage avait été perçue par quelque chose en moi, au plus profond de moi-même […]. Dans ce Sage unique de l’Inde éternelle qui m’apparaissait, c’était la lignée jamais interrompue de ses sages, de ses renonçants, de ses voyants, c’était comme l’âme même de l’Inde qui perçait jusqu’au plus intime de mon âme à moi et entrait avec elle en communion mystérieuse. C’était un appel qui déchirait tout, qui fendait tout, qui ouvrait tout grand un abîme. »
Au-delà de toute prévision, ces expériences – ainsi que la rencontre directe avec le noyau spirituel de l’Inde – percent son esprit, le séduisent intimement, pour finalement s’emparer complètement de lui. Pour le moine breton, c’est le début d’une profonde et souvent déchirante quête intérieure, qui sans jamais lui faire abandonner ses racines chrétiennes, le « poussera » à prendre les vœux hindous de « renonçant » (sannyasin). Il reçoit un nouveau nom spirituel, celui de Swami Abhishiktananda,
« celui dont la béatitude est le Christ ». Intensifiant son apprentissage des langues sacrées de l’Inde, il se consacre avec une dévotion et un transport uniques à l’étude des textes anciens de l’hindouisme. Ce sont surtout les puissantes et sublimes Upanishad qui le charment avec une force rare ; elles annoncent l’unité de tout ce qui existe ainsi que l’inséparabilité profonde entre l’
atman et le
brahman, entre « l’âme » humaine et la « Source » divine et infinie qui est à son origine.
Pour le moine breton, c’est le début d’une profonde et souvent déchirante quête intérieure.
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