L’immense île de Madagascar porte en son sein des milliers de secrets de plantes que nous utilisons en Occident.
Mais elle recèle aussi de vieilles traditions de chamanisme, encore d’actualité.
Art de vivre
Emre Sari
Dans ses sandales en peau de zébu, le guérisseur s’approche d’un pas calme et silencieux. D’un sachet vide de soupe instantanée, il sort ses objets sacrés. Assis au bord du lit, dans cette chambre d’hôtel aux murs jaunis, je ne le quitte pas des yeux. Les gouttes de sueur dégoulinent sur mon front dans la chaleur du début de soirée, et je soutiens comme je peux mon épaule luxée. En ce mois de février 2022, je fais escale dans la ville de Tsivory, dans la brousse profonde du sud de Madagascar, où je suis en reportage. Une terrible famine vient de réclamer des centaines de vies et j’enquête sur les liens de causalité avec la criminalité. La zone de petite montagne héberge des gangs de criminels, voleurs de bétail, pillards, assassins, souvent de connivence avec des autorités locales corrompues. Mais, dans l’après-midi, une violente chute de moto pourrait bien avoir conclu mon travail… Très confiant, l’homme crachote sur le bout de ses doigts, presse mon épaule et la soulève. Clac ! Aïe. « C’est en place », rassure-t-il. Je n’ai qu’à ménager mon bras pendant trois semaines, sans même l’immobiliser. Immense soulagement. Je n’aurais pu rêver mieux, même en France !
Les graines et le souffle
Quelques jours plus tard, bien curieux de ce personnage, mes guides malgaches et moi allons dans son village : une quinzaine de cases en torchis, ceinturées de bosquets de cactus en guise de remparts. Botovo est l’ombiasy, le chamane, de sa communauté. Il nous reçoit dans son « cabinet », où il soigne les gens, une minuscule case où l’on entre en se pliant en deux. Son frère, Refotaka, est un devin, un mpisikidy, un maître du sikidy, la divination dans les graines de tamarinier. Depuis son jeune âge, il traîne une jambe atrophiée, « mais il voit bien dans les graines », sourit Botovo qui achève souvent ses phrases par quelques rires étirés, clairvoyants, qui dominent la réalité visible.
« Vous avez subi un mauvais sort », révèle le sikidy. Un ennemi serait jaloux de notre travail… Les deux médiums nous confectionnent des talismans protecteurs et nous font sacrifier un poulet… Je m’interroge. Se pourrait-il que cet homme, qui connaît si bien le corps humain, ne soit qu’un charlatan ?
« Vous reviendrez, un jour », prédit-il.
À Madagascar, le monde invisible animiste s’exprime partout. « Les esprits des défunts – les razana – veillent constamment sur leurs descendants, qui doivent les choyer ad vitam æternam », écrit Nicole Viloteau, herpétologue et passionnée de chamanisme, dans Madagascar, l’île aux sorciers (éd. Arthaud).
Non seulement les ombiasy font le lien avec ces esprits,
mais ils « voient » aussi l’Invisible. « Un objet apparemment anodin (une liane entrelacée, un rocher), un endroit sans attrait particulier (une embouchure, un lambeau de forêt) et un animal quelconque peuvent devenir un lieu de concentration fulgurante des forces invisibles », écrivent Étienne Razafindehibe et Jean François Rabedimy dans La divination au quotidien. « L’ombiasy est cet être d’exception, capable d’appréhender ce “souffle de vie”, inhérent à tous les éléments constitutifs de l’univers. [Souffle] que les Malgaches appellent iaña ou hasina, et que les populations austronésiennes désignent par mana », poursuivent-ils. Les chamanes demandent aux esprits d’influer sur ce « souffle » pour agir sur le visible.
Des lieux et des esprits sacrés
Pour dialoguer plus facilement avec les razana, les praticiens se rapprochent d’endroits sacrés, les doany.
« Ce sont des antennes, comme des bornes wifi », compare Koto, chamane d’Antananarivo. Il a découvert ses pouvoirs après un accident où il est « mort ». « Ils m’ont rattrapé au dernier moment, raconte-t-il. Mais depuis, ils ne m’ont pas laissé le choix d’un autre métier. » Bien souvent, je me suis rendu dans ces doany. Il y a, en général, une source d’eau sacrée pour se purifier et l’autel avec des têtes de zébu, des offrandes, du miel, de l’alcool, des cigarettes, des étoffes… Un arbre géant est parfois l’autel lui-même, comme à Nosy Be, ou à Miary, près de Tuléar. Partout, « la lumière des bougies est le portail pour discuter avec l’autre monde », m’explique Koto. Et la musique est un adjuvant des possessions : des accordéons, tambours, maracas, des voix et des mains génèrent des boucles de son hypnotique qui capitonnent les neurones pour que les esprits s’y installent. Quant à l’usage de psychotropes, je n’en ai entendu parler que dans une petite tribu, les Mikea. Enfin, port obligatoire du lambahoany, un paréo traditionnel représentant des
scènes de la vie quotidienne.
De nombreux Malgaches croient en un Créateur, Zanahary, qu’ils identifient à Dieu le Père, ou Allah. En même temps, ils prient aussi les esprits majeurs, qu’on peut comparer aux saints. Mais d’autres Malgaches ne prient que ces esprits, à l’instar de Koto. « Personne ne connaît Dieu, Dieu est ce qu’on pense de lui, considère-t-il. Alors on fait appel aux entités qu’on appelle Masina, les saints, pour nous rapprocher de lui. » Ces entités majeures émanent de créatures fantastiques comme les sirènes et les kalanoro (sortes de lutins), ou de défunts honorés de leur vivant : des rois, des reines, de valeureux soldats, de puissants chamanes… Ils disposent chacun de leurs pouvoirs particuliers. « La spécialité des esprits qui m’habitent est le soin des bébés », illustre Mariam, la soixantaine, une autre chamane. « Mon pouvoir est un héritage de mes aïeux, raconte-t-elle. Un jour, vers 30 ans, j’ai entendu des voix dans ma tête et j’ai commencé les rites. » Enfin, plus bas dans la hiérarchie, il y a les âmes des personnes lambda, nommées tromba.
Journaliste indépendant, je travaille pour des médias en ligne et sur papier : Jeune Afrique, Géo, XXI, Les Echos, l'ADN, le Monde, Society, Mediacités, 8ème Etage...
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Karma
Le karma existe-t-il vraiment ? Peut-on alléger ou transformer son karma individuel, collectif ? Comment agir avec justesse, pour soi et le monde, à chaque instant de nos vies ? Dans ce nouveau numéro, Inexploré passe au crible une notion spirituelle souvent galvaudée et pourtant essentielle pour toute personne en quête d'harmonie et de sacré. Le bouddhisme, l'hindouisme et d'autres traditions ancestrales nous enseignent avec précision les lois et mécanismes de ce phénomène mystérieux, qui impacterait nos vies à travers le temps et l'espace.
Frédéric Lenoir et Charles Pépin sont également mis à l'honneur dans des interviews exclusives, en lien avec les thématiques du dossier. Bonne découverte de ce numéro hivernal !
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