D’après les textes sacrés hindous et la sagesse védique, nous serions à l’ère du Kali Yuga, ou encore l’âge « sombre ». Un éclairage est nécessaire face à ce passage perçu comme chaotique et effrayant, pendant lequel les tensions dans le monde semblent à leur paroxysme. Des clés de compréhension peuvent d’une part nous permettre d’en saisir les enjeux, pour mieux le traverser, et d’autre part contribuer à cette nouvelle ère d’éveil de conscience qui en serait l’issue.
CLÉ 1 : les cycles du temps
«
Kali en sanscrit fait référence à une unité de temps, une portion, un quart, pour être précis », explique d’emblée Varuna, astrologue védique. Dans cette tradition, le temps est cyclique et s’inscrit dans un éternel recommencement qui se découpe en 4 âges, 4 périodes d’environ 432 200 ans. Là encore, les experts ne s’accordent pas sur les dates d’entrée et de fin, comme c’est le cas également pour l’ère du Verseau, en Occident. «
Quoi qu’il en soit, le désaccord traiterait davantage du fait qu’on serait dans la portion ascendante, et que nous en sortons, ou bien celle descendante », précise Stéphane Ayrault, yogi cofondateur de Nataraj Sadhana Yoga Studies et enseignant en spiritualité. Ce qu’il faut retenir est qu’au fil des 4 cycles, il y aurait une diminution, voire une perte de l’ordre moral et universel. Ainsi, à l’âge Un de vérité va succéder l’âge de l’héroïsme, puis l’âge du doute et enfin le quatrième, l’âge sombre des conflits. À chaque période serait associé un état de conscience altéré par un voile masquant la vérité, jusqu’à sa disparition à l’âge suivant. Pour le Kali Yuga, on parle d’une « chute » de la conscience, une ère d’ignorance. «
Il va nous falloir impérativement faire ce chemin de retour vers la lumière ! », observe Stéphane Ayrault.
Pour mieux en comprendre les enjeux, la notion de cycle est fondamentale. Ces deux mouvements (ascendant/descendant) pourraient en réalité être concomitants. «
Un monde meurt, tandis qu’un autre est déjà en train de naître, d’où l’inconfort ressenti », analyse Stéphane Ayrault. La possibilité d’une régénération, consécutive à une destruction (encore nommée effondrement), même si elle peut nous paraître effrayante, est à envisager.
CLÉ 2 : la rupture avec le dharma
«
Selon les sagesses védiques, cette période du Kali Yuga se caractérise par une emprise de l’adharma, ou des forces sombres, sur le dharma », affirme sans ménagement l’astrologue Varuna. Dans l’hindouisme, le dharma signifie « ordre universel cosmique, loi éternelle, vertu ». On peut noter que notre époque se caractérise par la perte du respect du dharma. En clair, «
l’humanité n’est plus alignée avec les lois universelles ni celles de la nature », ajoute Stéphane Ayrault. Si chacun de nous suit cette voie, alors l’harmonie universelle est conservée. Enfreindre ces lois entraîne immanquablement un déséquilibre, et de nombreux périls. Autre élément fondamental à prendre en compte et que l’on retrouve dans la Bhagavad-Gita, poème épique qui conte l’histoire de Krishna, écrit entre le V
e et I
er siècle av. J.-C. : «
Il est pire encore de faire le dharma de quelqu’un d’autre que de mal faire son dharma. » Si l’astrologue le déplore, toutefois le constat est sans appel : «
Perte de sens et désorientation sont fréquentes aujourd’hui. Nous sommes nombreux à ne plus avoir conscience de notre dharma personnel. » Un phénomène typique de cet âge du Kali Yuga, et qui s’explique aisément : «
Il serait dû à une perte de conscience de notre nature énergétique, de notre appartenance à l’Univers, de la connexion à notre part divine, et au final du sentiment d’être vivant », ajoute Stéphane Ayrault. Alors, l’illusion et l’ignorance dominent, déposant comme un voile opaque sur la connaissance.
Selon les sagesses védiques, cette période du Kali Yuga se caractérise par une emprise de l’adharma, ou des forces sombres, sur le dharma.
CLÉ 3 : une incroyable opportunité d’éveil
Au cœur de l’âge sombre, l’espoir demeure. «
Si les textes ne le mentionnent pas, j’ai pu en observer les signes », nous rassure Varuna. Pour celui qui fait l’effort dans cette période de vivre la vie « vertueuse » énoncée plus haut, c’est-à-dire en alignement avec les grandes lois universelles, les progrès sont accélérés. «
En effet, si cette phase de chaos se caractérise par son intensité et son aspect particulièrement exigeant, elle est également une opportunité sans précédent de croissance et d’éveil », affirme l’astrologue, confiant. Bonne nouvelle : tout s’accélère, y compris l’opportunité d’éveil. Les progrès acquis par chacun en ces temps difficiles sont démultipliés. D’où sans doute ce constat : «
Beaucoup d’entre nous ont ce sentiment inconfortable que le monde est comme coupé en deux », a pu observer Stéphane Ayrault.
Toute époque représente une chance. Le plus important est d’essayer de ne pas la juger meilleure ou pire que la précédente, mais bien de l’explorer. «
Nous sommes dans un laboratoire vibratoire et émotionnel, où nous venons apprendre ce dont nous avons besoin pour notre évolution », rappelle notre expert, nous enjoignant à la sagesse. Ce serait donc le moment le plus favorable pour faire face à nos ombres et les identifier afin de les transmuter. Nous n’allons pas nous mentir : «
Persévérer à faire preuve de vertu dans cette époque sombre, qui pourrait nous pousser à abandonner, va nous demander une puissante force intérieure, et nous ouvrir les portes d’une évolution extraordinaire », nous assure Varuna. D’autant plus que nous ne sommes pas seuls ! Notre expert cite Krishna : «
Je reviendrai, encore et encore à chaque fois que l’adharma prendra le dessus, pour ramener le dharma. » Et si nous avions besoin d’un peu d’encouragements, nous pouvons nous rappeler que selon la tradition, «
quand un être se réalise, c’est l’humanité tout entière qui bénéficie de cette opportunité ».
CLÉ 4 : la déesse emblématique de cette période
S’il est bien entendu que le terme de Kali Yuga ne fait pas référence à la déesse, reste que cette dernière est emblématique de cette phase. Symboliquement surnommée « celle qui est noire », Kali nous éclaire sur les enjeux et les pistes pour traverser notre époque. «
Il y a cette intensité de la période qu’on retrouve sous ses traits ; Kali n’attend pas, elle tranche, elle détruit l’ego, à son point culminant, aujourd’hui », développe Varuna. Puissante déesse hindoue, Kali est reliée au côté obscur, elle est destructrice du mal sous toutes ses formes. Née du troisième œil de Durga en colère, elle fut appelée par les dieux pour vaincre le démon Raktabija, dont chaque goutte de sang tombant au sol donnait naissance à un nouvel être maléfique.
«
Son aspect est souvent terrifiant », confirme la yogi Charlotte St Jean
(1), qui anime des ateliers qui lui sont dédiés. Kali est demi-nue, son visage hideux est fait de traits grossiers, et elle porte un troisième œil rouge. Sa jupe est faite de membres humains, elle brandit la tête d’un démon et son cou est orné d’un collier de crânes. Elle a l’air féroce, déchaînée, indomptable. «
Considérée à tort comme la déesse de la mort, elle est en fait la déesse du temps (kala
). Son rôle est fondamental – elle est responsable de tout ce qui meurt pour que le cycle naturel de la vie puisse continuer », ajoute l’enseignante. Ainsi, Kali transforme le noyau même de notre identité avec ses voiles magiques et sa danse macabre. «
Elle est un orage spirituel qui ouvre les portes, brûle les ponts et transforme tout avec une énergie sauvage, intense », la définit l’auteure Charlotte St Jean. Reliée à Shiva, au cycle de destruction et renaissance, elle opère dans chaque situation « sombre » comme un phénix, et son pouvoir réside dans sa capacité de transformation et de recréation. «
Il faut se laisser tomber dans les bras de Kali, et accepter de mourir à des parts de nous pour renaître. »
Il n’y a pas de honte à être effrayé par cet âge du Kali Yuga, tout comme nous pouvons l’être par la déesse, mais son message est aussi une promesse : cette période peut nous permettre d’opérer une transformation inédite, et inconfortable bien sûr, de nos modes de vie, de penser, d’être... Toutefois, la lumière est toujours là, celle de notre renaissance.
Quand un être se réalise, c’est l’humanité tout entière qui bénéficie de cette opportunité.
(1)
Yoga et rituels des 9 déesses, Charlotte St Jean, éd. Jouvence, 2021.