En 2006, Paulo Coelho traverse une crise existentielle. Malgré son succès planétaire et son intelligence de la vie, l’auteur de L’Alchimiste doute. Seule issue, estime- t-il : rester plusieurs mois « éloigné de chez [lui] ». L’écrivain taille la route, accepte les invitations de ses éditeurs de par le monde, traverse la Russie à bord du Transsibérien.
Cet appel à mettre de la distance entre nous et notre quotidien, nous le connaissons tous. Prendre un temps pour soi, concentrer son univers dans un sac de voyage, lâcher son ordinateur, éteindre son téléphone, remiser la to-do list au fond d’un tiroir, claquer la porte et se mettre en chemin. Monter dans un avion, une voiture, un bus, un train. Ou bien partir à pied, comme les pèlerins. Pour une semaine, un mois, un an...

De l’Égypte antique à l’Irlande celtique en passant par les Indiens d’Amérique, l’homme de tout temps s’est mis en route vers des lieux chargés de symboles et de sens, dans le but de se purifier, d’éveiller ses sens, d’élargir son horizon, de contacter d’autres forces. Aujourd’hui encore, le besoin continue de sourdre, comme le prouve le nombre de gens tentés par quelques mois autour du monde, l’attrait des destinations considérées comme spirituelles ou la fréquentation grandissante, au rythme de 10 % par an, des chemins de Compostelle, qui n’ont jamais attiré autant de pèlerins.

L’appel du voyage est-il une réponse à ces moments de transitions où l’on ressent le besoin de franchir physiquement un cap ? Est-il un effet collatéral d’une existence où l’on manque de temps et d’espace pour digérer le réel et faire les bons choix ? Notre vie sociale, dans son rythme, ses normes et leur récurrence, émousse notre vision, nous rend indisponibles à l’extraordinaire. S’en extraire permet de retrouver une fraîcheur de perception. « Il est parfois plus facile de se recentrer sur sa démarche intérieure au contact d’un ailleurs », confirme le réalisateur Thomas Gilou, petit-fils de l’écrivain voyageur Blaise Cendrars.

S’ouvrir au mystère

Selon les Védas hindous, le voyage vers les sites de pèlerinage est déjà en soi un espace sacré, de par les rigueurs qu’il impose et l’interaction spirituelle qu’il suscite au cours des étapes traversées. Adieu habitudes, repères, relations, engagements, responsabilités : peu importe le motif du départ ou sa destination, l’important est d’abord de prendre le risque de sortir de sa zone de confort et de devenir soi-même étranger. « Je ne veux pas que la route me montre ce que je veux voir ; je veux voir ce que la route veut me montrer, opine Paulo Coelho. Si l’on sait où l’on va arriver, ça n’a pas d’intérêt ! Laissez-vous envahir par la liberté d’être à la recherche de quelque chose sans trop savoir quoi, mais en ayant la certitude que vous le trouverez et que cela changera votre vie. »
La transmutation opère parfois dès le train ou l’avion. L’œil collé à la fenêtre ou posé sur ses compagnons, le moment s’épaissit, l’espace s’élargit, les préoccupations habituelles se floutent. Le passé n’est plus, l’avenir n’est pas encore ; dans cet entre-deux, l’esprit s’envole. Dans la pensée chinoise, le mouvement n’est-il pas associé à l’imagination et à la créativité ? (...)