Du latin
transire, la transe désigne le passage d’un état de conscience à un autre. Si elle peut être provoquée à l’aide de techniques spécifiques, le Dr Thierry Servillat, psychiatre hypnothérapeute, rappelle qu’elle est avant tout une possibilité naturelle offerte à l’espère humaine (et certainement à d’autres). Sa consœur Djohar Si Ahmed insiste en disant qu’elle serait même une nécessité quasi physiologique pour notre psyché, comme en témoigne la « transe commune quotidienne », état de rêverie dans lequel nous entrons spontanément, toutes les deux heures environ, sans même nous en rendre compte. Surmontant le regard sceptique de ses collègues et le tabou qu’a posé notre société sur ces phénomènes de transe considérés jusqu’il y a peu de temps comme primitifs et irrationnels, cette psychanalyste a osé s’intéresser de près à ces états modifiés de conscience, d’où peuvent surgir un matériel et des capacités ignorés à l’état vigile. À travers la méditation, l’hypnose, la respiration holotropique, le rêve éveillé, la PNL ou le voyage chamanique, les méthodes d’induction permettant d’entrer dans des états modifiés de conscience sont multiples, mais toutes sollicitent nos sens, que ce soit par une hypo ou hyperstimulation. «
Les éléments sensoriels sont les briques de la transe hypnotique, explique Thierry Servillat.
En faisant appel à des images colorées, des sons, des goûts, des odeurs, des sensations tactiles et musculaires, le thérapeute tisse une histoire qui transporte le patient dans un voyage de conscience. » Quel que soit son mode d’induction, l’état de transe permettrait de découvrir ce qui existe au-delà de notre perception ordinaire, à savoir des possibilités de changement beaucoup plus grandes que celles que l’on conçoit dans la veille restreinte qui régit notre quotidien. «
Toutes ces expériences peuvent être vécues comme le passage d’un seuil, entre le monde d’ici et maintenant, connu comme lieu de souffrance et de dysharmonie, et un autre monde encore inconnu, le monde des possibles dans lequel va se réaliser une métamorphose, une nouvelle naissance », écrit le médecin Gérard Vigneron.
Réveiller des capacités innées de guérison
D’un point de vue psychologique, ce qui explique la puissance de guérison des états de transe, c’est qu’ils réveillent les ressources internes présentes en tout un chacun. S’ils stimulent des visions ou l’ima- gination, celles-ci ne sont pas considérées comme de simples fantasmes, mais comme de nouvelles formes d’expérience vécue. Dans ces états particuliers de conscience, le patient peut alors toucher un retournement, « faire exploser » ses croyances limitantes, et entrer dans une manière totalement différente de voir et de vivre une situation qui était jusque-là source de souffrance. «
Le pouvoir d’imaginer devient un pouvoir de reconfigurer le monde », précise Gérard Vigneron.
En outre, dans ces états de transe, la conscience, s’émancipant de ses contraintes habituelles – corporelles, spatiales, temporelles et logiques – peut s’ouvrir à des informations nouvelles, inaccessibles à l’état de veille et difficilement atteignables par les thérapies habituelles. «
Cet affranchissement, qui pourrait potentiellement donner accès à la totalité des informations contenues dans l’univers, est, dans les faits, extrêmement bien régulé par l’inconscient du sujet, qui n’actualise que le strict matériel nécessaire à son évolution et à sa guérison. Ce qui implique l’existence d’un dispositif endogène d’autorégulation et de restructuration, qui est un des attributs du guérisseur interne », écrit Djohar Si Ahmed. Les états modifiés de conscience ouvriraient ainsi l’accès à l’inconscient, ce «
grand magasin de ressources et de souvenirs » pour reprendre les termes du psychiatre américain Milton Erikson, père de l’hypnose clinique. Parmi le matériel possiblement exhumé dans de tels états figurent les secrets de famille, les épreuves périnatales, des événements biographiques et transgénérationnels refoulés. Pour Djohar Si Ahmed, l’efficacité thérapeutique de ces états de conscience s’explique par la mobilisation de tous les niveaux de l’être qu’ils permettent (physiologique, psychologique, cognitif et spirituel) et par la possibilité de «
déployer le ou les symptômes », c’est-à-dire de revivre le moment traumatique, de retrouver les affects, sensations et émotions qui ont été réprimés à cet endroit, de les laisser se déployer jusqu’au bout et de permettre ainsi leur dépassement. «
Le déploiement du symptôme libère du même coup une quantité colossale d’énergie jusque-là utilisée dans son maintien », précise-t-elle. D’après son expérience, plus les enjeux sont dramatiques, plus les effets d’une transe peuvent être fulgurants. Dans d’autres cas, un cheminement plus ou moins long semble nécessaire pour que le patient apprivoise le processus d’ouverture et renonce peu à peu aux « bénéfices secondaires » que la maladie ou le mal-être pourrait lui apporter.
Les états modifiés de conscience ouvriraient ainsi l’accès à l’inconscient.
Un impact physiologique
Dotés d’outils toujours plus précis, nombreux sont les neuroscientifiques qui tentent depuis une dizaine d’années de mieux comprendre la transe, ses causes et ses effets.
Plusieurs études concernant l’hypnose et la méditation avaient déjà mis en évidence une activation cérébrale de l’hémisphère droit et du cortex préfrontal. «
Ce qui est étonnant, c’est qu’en faisant imaginer une action à un patient, les zones cérébrales qui s’allument sont les mêmes que si le patient l’accomplissait pour de vrai ! », précise Thierry Servillat. Mais ce qui se joue dans le cerveau lors de ces « expansions de conscience » se verrait principalement au niveau des fréquences cérébrales. Le chercheur en biophysique Denis Bédat nous explique : «
À tout moment, toutes nos fréquences cérébrales sont actives, mais en fonction de notre état, certaines prédominent. Alors que nous passons la majeure partie de notre quotidien dans les fréquences de Bêta, en état alerte, actif, voire anxieux, les états de transe utilisés par les psys nous font passer dans une dominance de fréquences plus basses, en Alpha/Thêta, aux alentours de 8 Hz, un état relaxé, serein, voire hypnagogique. De nombreuses études ont confirmé le rôle de ces fréquences dans la récupération des souvenirs à long terme, les associations libres, l’inspiration créative et les sensations d’unité. Les bas niveaux de Delta (de 0,5 à 3,5 Hz) sont réputés quant à eux pour favoriser la régénérescence physique, l’inspiration, les visions spirituelles et les expériences extracorporelles. Mais rares sont ceux d’entre nous qui parviennent à demeurer dans ces basses fréquences par soi-même sans s’endormir. » Le chercheur nous précise que l’état frontière entre Alpha et Thêta est l’un des plus intéressants pour la guérison psychologique, la vibration Thêta apportant la profondeur de la matière, et l’Alpha une clarté et une lucidité hors pair. «
Votre conscience peut alors observer les compartiments les plus profonds de votre esprit. »
Point majeur des découvertes des neurosciences : chaque fréquence cérébrale émettrait des neurochimiques particuliers et aurait donc un effet physiologique direct. «
Nous avons remarqué que les fréquences frénétiques Haut-Bêta et Gamma sécrètent de la noradrénaline, source de stress. Ou encore que les personnes dépressives n’allaient jamais dans le 10 Hz, fréquence qui relâche la sérotonine, notre antidépresseur naturel », reprend Denis Bédat. Nous savons maintenant à quel point l’esprit et le corps sont liés et certains types de transe, comme la respiration holotropique ou le voyage chamanique, peuvent justement provoquer des mouvements corporels spontanés, libérateurs en eux-mêmes. Corine Sombrun et le chercheur Francis Taulelle, qui ont mis au point des boucles de sons en isolant des séquences de tambour particulièrement efficaces, ont ainsi obtenu des résultats étonnants sur certaines personnes, dont une femme souffrant de la maladie de Charcot. «
Alors qu’elle était comme enfermée dans son corps et en insuffisance respiratoire, elle s’est mise à pousser des cris très forts et très longs. Après trois mois d’auto-induction de transe, elle sentait à nouveau ses orteils, bougeait mieux le bassin et constatait une amélioration générale de son état », raconte Corine Sombrun lors du symposium Sciences et spiritualités organisé par l’INREES en mars dernier. Selon Denis Bédat, si de telles guérisons sont possibles grâce à la transe, c’est que, dans de nombreuses pathologies, une ou plusieurs parties du cerveau sont bloquées dans certaines fréquences. Il n’y a plus de neuroplasticité. C’est particulièrement le cas des personnes souffrant de syndromes de stress post-traumatique, ou encore des enfants ayant des troubles de l’attention qui sont bloqués entre le 8 et le 12 Hz. «
En emmenant ces personnes dans d’autres fréquences, elles reçoivent de nouveaux messages neurochimiques qui permettent la guérison. Il est possible qu’une seule induction suffise pour provoquer un tel déblocage. Mais généralement, plusieurs inductions et vingt et un jours sont nécessaires pour que le système nerveux adopte la nouvelle forme », précise-t-il.
Un entraînement cérébral sur mesure
Ces dernières années, ce chercheur en charge de la médecine intégrative au sein du groupe Elsan, a développé des outils afin d’induire des états modifiés de conscience de manière digitale, avec beaucoup plus de précision et de contrôle que les pratiques utilisées par les chamanes ou psychothérapeutes.
«
Des techniques traditionnelles, nous sommes passés à la neurocybernétique thérapeutique en créant des programmes informatiques d’entraînement cérébral quantifié et personnalisé. Nous pouvons alors emmener progressivement et sans aucun risque un patient de sa fréquence dominante habituelle à celle dont il a besoin pour guérir. » Des casques de réalité virtuelle ont été déployés dans les blocs opératoires d’une trentaine de cliniques françaises, permettant aux patients de ne pas voir ce qui les entoure et d’être immergés dans un bain sonore et un paysage naturel à 360 degrés. Fauteuil antigravité, PNL, battements monauraux(1), sons primordiaux et guide respiratoire peuvent être ajoutés selon le désir du patient. «
En utilisant toutes ensemble ces stimulations visuelles, acoustiques, kinesthésiques, électromagnétiques et un contrôle de la gravité, on parvient à un entraînement cérébral maximal », explique Denis Bédat dont les résultats sont déjà probants : 50 % de réduction de l’anxiété, 40 % de diminution de la douleur et une récupération rapide après chirurgie. Tout comme lui, de nombreux autres chercheurs travaillent sur le développement de programmes spécifiques pour la guérison psychique, conscients que les états extatiques de conscience peuvent générer des gains thérapeutiques sans précédent.
Synchronisation hémisphérique
La synchronisation des hémisphères est un modèle d’ondes rare et unique dans lequel les deux hémisphères du cerveau fonctionnent à la même fréquence et en harmonie. Cet état spécial qui peut survenir spontanément pendant l’orgasme, l’éternuement, les éclairs de génie ou à l’approche de la mort, serait d’après Denis Bédat l’« état extatique suprême », permettant de vivre une superconnectivité avec l’environnement, de devenir « un avec le tout ». Les techniques d’entraînement cérébral qu’il a mises au point ont permis à certaines personnes d’atteindre cet état en 5 séances.