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Tarot
:
entre
psychologie
et
spiritualité

Que dit le tarot de nous ? Peut-il nous accompagner dans notre évolution personnelle ? Plongée dans les racines symboliques de ce formidable outil d’analyse psychologique et spirituelle, avec l’ouvrage de Jessica Dore paru aux éditions Trajectoire, Évoluer avec le tarot : prendre soin de soi, s’accepter et grandir. Dans cet extrait, l’auteure nous invite à revoir les origines historiques de ce jeu de cartes.
Tarot : entre psychologie et spiritualité
Âme du monde

Tarot et psychologie : bref historique


Le tarot est souvent considéré comme une pratique relevant plus de la spiritualité que de la psychologie. Il relève pourtant intrinsèquement de la psychologie, et la psychologie est intrinsèquement spirituelle. Le mot « psychologie » vient du grec psychê qui signifie « âme » ou « souffle ». Si la théorie et la pratique de la psychologie ont évolué, elles restent, dans une certaine mesure, l’art de parvenir à connaître l’âme.

Considéré en Occident comme le père de la psychologie moderne, Sigmund Freud a cherché à comprendre l’âme humaine à travers le processus de la psychanalyse. Un objectif du travail psychanalytique est de rendre l’inconscient conscient. Le cliché de la personne allongée sur un divan, à côté d’un analyste en costume armé d’un bloc-notes et qui lui dit « Parlez-moi de votre père », c’est de la psychanalyse. Ce processus thérapeutique implique souvent de plonger profondément dans les expériences de son enfance pour mieux comprendre son vécu actuel.

Carl Jung, qui fut un élève de Freud, a élaboré la théorie de l’inconscient collectif, sorte de courant psychique sous-jacent partagé, selon lui, par tous les êtres humains et expliquant les désirs, les motivations et les comportements communs qui transcendent les différences culturelles et géographiques. L’inconscient collectif a été décrit comme une sorte d’héritage psychologique partagé qui se révèle à travers les rêves, les mythes et les contes de fées, dans une dynamique sociale de pouvoir et d’oppression. À la différence de l’inconscient personnel qui contient les dimensions de notre expérience individuelle souvent refoulées à cause du conditionnement environnemental et social, l’inconscient collectif serait pour certains le siège des archétypes.

Jung considérait les archétypes comme des symboles universels et des images dont la signification était partagée par tous. Je ne suis pas sûre d’être d’accord avec l’idée que les archétypes ont les mêmes significations pour tous les êtres humains, mais je vois que certains résonnent de la même manière dans toutes les cultures. Pour chacun de nous, l’archétype de la mère peut activer quelque chose – qui pourra être propre à un individu –, tout comme le thème archétypal de la mort. Et je souscris à l’affirmation de Marie-Louise von Franz selon laquelle la manifestation d’une image archétypale – qui peut survenir au cours d’une lecture de tarot, par exemple – peut inciter la personne qui la voit à « prendre conscience de nouvelles possibilités qu’elle méconnaissait et [à] faire l’expérience à travers elles d’un nouvel afflux d’énergie, car les archétypes possèdent une qualité numineuse et agissent comme une source d’énergie cachée(1) ». Nous n’allons pas tou·te·s vivre les archétypes ou les symboles de la même manière, et ne sommes pas non plus censé·e·s le faire. Ils peuvent cependant remuer quelque chose en nous et nous parler si nous leur en laissons la place.

Jung pensait que l’inconscient collectif influençait les vies individuelles, qu’il était essentiel à la production de sens, au développement psychologique et à l’individuation (processus par lequel une personne acquiert un sentiment d’identité individuelle distincte de celle du groupe). La psychanalyse pouvait permettre à une personne d’apprendre à évoluer avec souplesse entre le contenu explicite de l’esprit conscient et le matériau symbolique tacite de l’inconscient. En termes archétypaux, on pourrait dire que l’objectif était qu’une personne puisse commencer à exister, quelque part dans la tension entre le village civilisé et la forêt sauvage, entre nature et culture, pour être empereur ou impératrice et maîtriser son existence au bon endroit et au bon moment.

Jung a également apporté des idées sur la valeur thérapeutique de la synchronicité qu’il a définie comme « une coïncidence significative » d’événements extérieurs et intérieurs ne présentant pas de liens de causalité manifestes. Exemple d’une synchronicité : on pense à un ami que l’on n’a pas vu depuis des années et l’on reçoit soudain un appel de lui. Il pourrait s’agir d’une simple coïncidence, mais pour une personne en quête de sens, ce peut être aussi l’indice d’une connexion entre le monde extérieur et le monde intérieur, deux dimensions qui nous apparaissent généralement distinctes et séparées l’une de l’autre.

Quand un événement intérieur (penser à un vieil ami) entre en « synchronicité » avec un événement extérieur (la visite de ce vieil ami), on peut commencer à percevoir un lien entre ce que l’on vit en tant qu’individu et ce que l’on comprend en tant que membre d’une collectivité. Selon l’écologiste Robin Wall Kimmerer, la synchronicité est « un rappel de connexions élégantes ». Explorer les relations entre des éléments qui ne peuvent s’expliquer par un simple lien de cause à effet est une porte d’entrée vers la compréhension de la relation entre l’âme, une conscience plus collective et la matière. Quand des synchronicités se produisent, comme c’est si souvent le cas quand nous tirons les tarots et qu’ils décrivent notre vie en détail, avec une précision étonnante, il est possible qu’une chose jusqu’alors cachée dans l’inconscient essaie d’émerger. Et qu’elle remonte à la surface pour nous aider à évoluer.

Aujourd’hui, Jung serait peut-être considéré davantage comme un artiste ou un philosophe que comme un scientifique. Sa façon d’explorer le mystère par le truchement de la philosophie, de l’anthropologie, des mythes, de la religion et de la spiritualité a contribué à définir sa méthode de psychologie analytique. Et il croyait sincèrement que les symboles présents dans les légendes, dans l’astrologie et même dans le tarot contenaient des clés permettant de comprendre la psyché.

La compréhension que Jung a des archétypes et de l’individuation nous est utile, car elle met en évidence la puissance et l’attrait du tarot. Nous sommes nombreux à découvrir que, dès lors que l’on commence à travailler avec le tarot, on ne peut plus s’en passer. Et à mon sens, c’est parce que son langage symbolique nous connecte instantanément et de manière puissante à une conscience collective d’un genre ou d’un autre – universelle ou culturelle. Tirer les cartes nous replace dans l’espace et le temps – nous faisons partie de quelque chose de plus grand que nous – et nous rappelle que, quoi que nous vivions, nous ne sommes pas seul·e·s. En des temps toujours plus marqués par l’isolement, l’éloignement et la solitude, c’est en soi la promesse d’un remède radical.

Au tournant du xxe siècle, la psychologie, alors davantage apparentée à une discipline des sciences humaines, a commencé à adopter un caractère plus scientifique. Contrairement à la psychologie analytique qui mettait l’accent sur les souvenirs et la vie intérieure, le béhaviorisme a appréhendé la psychologie par l’étude de ce qui pouvait être observé : non seulement ce qui arrivait intérieurement à quelqu’un, mais aussi ce qu’on pouvait le voir faire concrètement. Le célèbre concept du conditionnement classique d’Ivan Pavlov a mis en lumière la manière dont un comportement pouvait s’apprendre, et B. F. Skinner a étudié comment le comportement dans le futur sera déterminé par les attitudes passées et présentes. On peut expliquer cet intérêt pour les études objectives et expérimentales par le fait que la psychologie, plutôt artistique et philosophique au départ, est devenue une discipline scientifique.

Les informations recueillies à partir de l’étude du comportement ont finalement conduit à l’élaboration par le psychiatre Aaron Beck de la thérapie comportementale et cognitive (TCC). La TCC met l’accent à la fois sur l’intérieur et sur l’extérieur, en se concentrant sur l’interaction entre les pensées, les sentiments et le comportement pour aider les gens à réaliser les changements favorables à un bien-être durable.

Aujourd’hui, les thérapies comportementales sont couramment utilisées dans le suivi psychologique. C’est en partie parce qu’elles reposent sur des données probantes : la science a démontré qu’elles pouvaient accompagner efficacement (du moins, dans certaines circonstances) les changements de comportement. L’accent étant mis sur le comportement, les résultats de techniques telles que la TCC sont plus facilement mesurables et observables(2). Leur étude permet donc de définir aisément un protocole de soin. Les cliniciens privilégient les méthodes qui ont fait leurs preuves : la thérapie comportementale insiste sur la relation de cause à effet pour cibler des traitements qui donnent souvent d’excellents résultats, et les idées plus anciennes de synchronicité, de conscience collective, de la quête d’un sens dans la vie qui dépasserait les valeurs individuelles, tombent aux oubliettes avec ce modèle thérapeutique. Les efforts déployés pour faire de l’étude de l’âme une science ont permis de grandes avancées dans le traitement de la maladie mentale, mais relégué le mystère et la magie au second plan.

L’un des secrets fondamentaux du tarot, c’est que plusieurs choses peuvent être vraies en même temps. L’étude scientifique du comportement n’est pas incompatible avec l’exploration d’une conscience collective, ni avec l’usage thérapeutique de symboles et d’archétypes ou le recours à la mythologie et aux contes populaires à des fins de guérison. Et tandis que le cadre d’une pratique fondée sur les preuves repose sur l’hypothèse que la seule preuve légitime est celle obtenue par la méthode scientifique, je dirais que quand quelque chose résiste à l’épreuve du temps, comme c’est le cas des symboles contenus dans le tarot, cela démontre également un certain degré d’efficacité.

Il n’est pas besoin de chercher bien loin parmi les thérapies reposant sur des faits pour s’apercevoir que nombre d’entre elles ne sont nullement incompatibles avec les philosophies mystiques – dans bien des cas, c’est même tout le contraire. Ainsi sommes-nous non seulement concerné·e·s par l’inconscient collectif, comme le pensait Jung, mais aussi par les cosmologies et les systèmes de croyances de nos ancêtres. Au bout du compte, l’humain reste au cœur de la méthode scientifique. Et les sujets de recherche, les modèles ou les instruments de mesure ne seront jamais parfaitement objectifs ni affranchis de l’influence de celles et ceux qui nous ont précédé·e·s. Les croyances anciennes et les suppositions concernant la nature des choses sont tellement ancrées dans nos institutions culturelles qu’il faut y regarder de près pour les discerner. Nous comprenons alors que ces croyances imprègnent notre expérience à tous les niveaux, comme le poisson baigne dans l’eau.

Avant que n’apparaisse la méthode scientifique telle qu’on la connaît aujourd’hui, il existait d’autres moyens d’acquisition de la connaissance. Ces moyens ont façonné (du moins, dans une certaine mesure) la manière de penser, de ressentir et de travailler des chercheurs d’aujourd’hui. Et si la science est un moyen remarquable et fascinant d’étudier et de recueillir des informations, ce n’en est qu’un parmi d’autres : il est précieux, mais ce n’est pas le seul. Lorsque nous aborderons les arcanes majeurs du tarot, nous étudierons en détail les pièges des oppositions binaires (par exemple, la science et la spiritualité, l’ancien et le nouveau) et la quête d’une manière d’être qui transcende de telles divisions illusoires, dans laquelle nous n’aurions pas à choisir l’un ou l’autre, mais pourrions admettre, respecter et accepter simultanément tout ce qui est.

Pour combler ce qui est souvent perçu comme un fossé entre la science et la spiritualité émerge actuellement ce que l’on qualifie à juste titre de « troisième vague » des thérapies comportementalistes, qui semble aller dans la bonne direction. Des thérapies telles que la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, la thérapie comportementale dialectique (TCD) et la thérapie d’acceptation et d’engagement (TAE) mêlent la sagesse de traditions mystiques comme le bouddhisme et le yoga (dont la pleine conscience, l’acceptation et la compassion) à des données scientifiques comportementales, favorisant ainsi la mise au point de techniques très efficaces. Après une approche plus artistique et philosophique de la compréhension de l’âme humaine, la balance penche désormais vers une approche plus objective et scientifique, et il est merveilleux de voir ce domaine trouver son équilibre quelque part entre les deux extrêmes et réaliser la synthèse de procédés empruntés aux domaines tant scientifique que spirituel. Comme l’avancent les lois philosophiques de la tradition ésotérique occidentale de l’hermétisme, le rythme permet de trouver la juste mesure. [...]


Évoluer avec le tarot : prendre soin de soi, s’accepter et grandir, Jessica Dore, éd. Trajectoire, 2023, p. 12 à 16.


(1) NDÉ : les citations sont traduites librement. Le lecteur trouvera en fin d’ouvrage une liste des références citées.
(2) NDÉ : l’autrice souligne ici l’opposition entre la psychanalyse qui intervient sur les domaines « invisibles » de la pensée et les techniques de psychothérapie comportementales basées sur une expérimentation plus mesurable de données probantes.
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