Le célèbre Carl Gustav Jung était certainement en avance sur son temps. Que disait donc le psychiatre suisse à propos du lien entre esprit et matière ? Retour sur les éclairages successifs du pionnier de la psychologie des profondeurs.
«
Lorsque la psyché ne fonctionne pas comme il faudrait, le corps peut en subir de grands dommages ; et inversement, une souffrance physique peut entraîner celle de l’âme ; car âme et corps ne sont pas séparés ; ils sont une seule et même vie(1). » Voilà ce qu’écrivait Jung il y a... plus de soixante ans ! Une petite phrase qui, aujourd’hui, peut paraître banale, mais montre combien Jung avait pu anticiper les interrogations et les recherches contemporaines sur le lien corps-esprit. Et encore n’est-elle que le reflet d’une œuvre quasi prophétique qui trouve son point culminant en 1954 avec la finalisation de la rédaction de ses travaux sur l’alchimie
(2).
Très tôt, C. G. Jung tentait déjà de réhabiliter l’âme en tant que réalité, et de la dégager de son image d’entité « immatérielle » n’ayant aucune résonance dans le monde physique, allant même jusqu’à affirmer son point de vue énergétiste face au courant mécaniste dominant dans la science, la psychologie et la psychanalyse naissante. Au début des années 1920, il va plus loin en s’intéressant aux phénomènes qui échappent à la relation de causalité (une cause est toujours précédée d’un effet), comme les « coïncidences » ou les « hasards heureux », et qu’il nomme synchronicités. Pendant cette même période, il rencontre le sinologue Richard Wilhelm qui lui transmet l’essence de la pensée du
Yi King, le
Livre des transformations chinois, et approfondit ses concepts d’inconscient collectif et d’archétype qui tracent déjà la route sur le lien esprit-matière.
Mais c’est à partir de 1931 qu’il amorcera un tournant décisif dans ses recherches à la suite de sa rencontre avec le physicien Wolfgang Pauli (qui recevra le prix Nobel en 1945), venu le consulter. Jung découvre que les rêves de son patient sont incroyablement riches et révèlent parfois un contenu symbolique similaire à celui des alchimistes. À l’époque, Pauli tente de découvrir l’unité intérieure qui pourrait exister entre les particules élémentaires et leurs symétries abstraites. Se liant d’amitié, les deux chercheurs partagent alors leur quête parallèle des modèles de structure interne de l’Univers, en explorant notamment l’imbrication esprit-matière qu’ils ressentent intuitivement, et la possibilité d’un « ordre caché » qui expliquerait, entre autres, les synchronicités. C’est alors que Jung, poursuivant ses recherches sur l’alchimie, propose un concept fondamental : l’
unus mundus, le « monde unifié » ou le « monde Un ». «
Nous avons vraiment toutes les raisons de supposer qu’il doit n’y avoir qu’un seul univers dans lequel psyché et matière sont une seule et même chose, et dans laquelle nous effectuons une distinction à des fins de connaissance(3) », écrit-il. Plotin avait certes déjà développé cette notion dans ses
Ennéades(4) avec « l’Un » : notre monde n’est pas un agrégat de réalités distinctes, mais un monde où l’esprit et la matière ne font qu’un. Mais Jung formalisera et argumentera son idée dans la deuxième moitié de son œuvre au fil de ses recherches et de son exploration de l’inconscient, en postulant avec une lucidité étrangement prophétique que notre réalité « double », à la fois psyché et matière, est bien le fondement de notre univers.
Lorsque la psyché ne fonctionne pas, le corps peut en subir de grands dommages.
(1)
L’Âme et la vie, C. G. Jung, éd. Le livre de poche, 2006.
(2)
Mysterium conjunctionis (2 tomes), C. G. Jung, éd. Albin
Michel, 1980, 1982.
(3)
Ma vie, C. G. Jung, éd. Gallimard, 1973.
(4)
Traités, Plotin, éd. Garnier-Flammarion Poche, 2002.