Christophe André exerce comme médecin psychiatre dans le service hospitalo-universitaire de l’hôpital Sainte-Anne à Paris au sein d’une Unité de Psychothérapie Comportementale et Cognitive. Pour Inexploré, il parle de sa perception des expériences extraordinaires et de la « folie ».
Quelle serait votre définition de la maladie mentale ?
Christophe André : La souffrance intérieure, ressentie, plus que la notion d’ « anormalité » extérieure, observable. J’ai vu beaucoup de gens avoir un comportement social apparemment normal et pourtant souffrir de troubles anxieux, dépressifs, voire d’autres types de problèmes… Donc pour moi c’est vraiment la souffrance psychique qui définit la maladie mentale, plutôt que le trouble strict du comportement, même si les deux peuvent être reliés dans certains cas.
Est-ce que parfois vous êtes surpris par des patients qui ne montrent pas de signes cliniques pathologiques, mais qui parlent de phénomènes étranges ou inexpliqués ?
C’est toute la question des patients que l’on appelle « délirants », qui nous rapportent des expériences qui ne sont pas assises sur des données que tout le monde peut observer. Quand par exemple une patiente me dit qu’à chaque fois qu’elle passe dans la rue, les gens rient et se moquent d’elle parce qu’elle n’est pas jolie, c’est un phénomène qui me parait à priori un peu étonnant, je ne comprends pas bien pourquoi les gens se comporteraient comme ça ! Mais évidemment dans notre boulot, on ne peut pas dire les choses frontalement :
« Chère Madame, vous délirez. » En tous cas, on est pris entre deux nécessités. D’abord, celle de ne pas mentir aux patients :
« Écoutez, c’est ce qu’on appelle des idées délirantes, c’est-à-dire des idées que vous êtes la seule à avoir, que les autres n’ont pas ». Et par ailleurs, celle de respecter leur expérience :
« Je ne suis pas avec vous dans la rue quand les gens rigolent, donc je n’ai pas à contester ce que vous dites, aussi on va plutôt s’intéresser à la manière dont ça vous fait souffrir. » C’est important pour beaucoup de patients de comprendre que faire un progrès par rapport à leurs hallucinations, ce n’est pas seulement les faire disparaître, ou se convaincre que ce ne sont que des hallucinations – même si certains en arrivent là – c’est aussi arriver à ne pas réagir avec colère ou avec angoisse lorsqu’ils ont l’impression que les gens rient ; il doivent parvenir à relativiser leurs convictions. C’est le problème des certitudes qui est en jeu dans ce genre de situations : il ne faut pas que le psychothérapeute ait trop de certitudes, mais il ne faut pas non plus que le patient en ait trop de son côté ; chacun des deux doit essayer d’amener l’autre à reconsidérer ses positions avec plus de souplesse.
On ne peut pas dire les choses frontalement : « Chère Madame, vous délirez. »
La majorité de vos patients viennent vous voir avec une souffrance qui demande à être traitée. Vous arrive-t-il d’en recevoir qui tiennent un discours délirant, mais qui ne montrent pas de souffrance ?
C’est rare qu’ils viennent me voir juste pour ça, mais il y a des patients qui me parlent parfois d’expériences paranormales : impression de communiquer avec des personnes décédées, d’avoir des capacités extra-sensorielles, bref d’évoluer dans toute cette zone de perceptions très particulières. Des sortes de visions du monde tout de même très singulières, non partagées par la plupart des autres humains (...)