Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Vraiment ? La résilience est une propriété particulière qui permettrait de résister aux chocs et de retrouver sa forme initiale, après une épreuve...
Mais d’où vient ce concept ? Est-il récent, ou bien présent dès l’Antiquité grecque ? Y a-t-il des prérequis psychiques pour développer cette capacité, ou est-ce inné ?
Dans cet extrait de l’ouvrage Les chemins de la résilience
de Dorothée Leurent, découvrez l’histoire philosophique de la résilience, afin de mieux vous approprier cette force de vie qui permet de surmonter les épreuves de la vie.
Santé corps-esprit
Kasia Palitava/Pexels
La résilience et sa culture
On le sait tous, la résilience est la capacité d’un matériau à résister aux chocs et à dégager de l’énergie afin de retrouver sa forme première. C’est également la capacité d’une espèce, d’un système, à surmonter l’altération ou les perturbations de son environnement. Mais c’est surtout et par-dessus tout « l’ineffable qualité » qui permet à une personne qui a été « cognée » par la vie de devenir plus forte, c’est-à-dire plus apte à prendre des risques, plus tolérante, plus déterminée, plus empathique. En un mot, plus essentielle.
Tout le monde n’est pas capable de résilience. Est-ce qu’une éducation sévère en favorise l’ensemencement ? Ou son ébauche a-t-elle plutôt besoin d’une éducation authoritative ? C’est-à-dire ni autoritaire ni permissive, mais qui pose des limites avec bienveillance et donc qui offre à la fois le lien et les freins ! Est-ce que le manque d’amour dans l’enfance devient un obstacle ou au contraire une forme de vaccin ? J'ai essayé de le savoir à travers mes rencontres, mais rien n’est tangible, sauf peut-être lorsque l’on compulse les travaux d’Emmy Werner, une psychologue américaine dont nous parlerons plus loin.
Ovide
C’est Ovide, en l’an 1 de l’Empire romain, qui, le premier, va parler de résilience. Dans Les Métamorphoses, un long poème étonnamment moderne qui raconte superbement, à partir de plus de deux cents légendes, les transfigurations des dieux en êtres végétaux, animaux, fleurs ou autres éléments naturels, il se sert de la racine du verbe latin resilio, resilire, qui veut dire « rebondir » et, plus littéralement, « faire un saut en arrière pour mieux rejaillir », et fabrique le mot resiliens.
Du reste, il aime inventer des mots. Même le titre de son poème, « Métamorphoses », est insolite. Auparavant, on ne parlait que de transformation !
Pendant de nombreux siècles, des poètes, des peintres, des musiciens vont s’inspirer des Métamorphoses pour nous offrir des chefs-d’œuvre ; L’Enlèvement d’Europe, par Rubens, Échos et Narcisse, par Poussin, l’opéra Philémon et Baucis, par Gounod, Pygmalion, par Rameau, et toute la série de sculptures de Rodin intitulée Les Métamorphoses d’Ovide…
Merveilleuses histoires qui donnent au poète latin cette première et géniale approche de la résilience en se servant de la force et de la beauté de la nature.
Là, on retrouve le grand art de la poésie et son immense faculté à tout sublimer, bien que, malheureusement, dans la mythologie foisonne un grand nombre de meurtres et, bien sûr, de suicides. L’histoire terrible de Niobé, reine de Phrygie, qui se vanta un jour d’avoir eu douze enfants, six filles et six garçons, et s’estimait donc supérieure à la déesse de la maternité, Léto, qui n’en avait eu que deux, Apollon et Artémis, est un condensé de cruauté : furieuse et vexée, Léto fait immédiatement assassiner les douze enfants à coups de flèches vengeresses. La douleur de Niobé est si terrible que Zeus exauce son vœu d’être changée en rocher d’où jailliront ses larmes éternelles. L’expression polysémique « verser des torrents de larmes » nous vient donc de l’Antiquité et de Niobé.
Le mot « résilience » a aussi été utilisé par un consul romain, Julius Bassus, et repris par Sénèque à propos du saut d’une vestale du haut de la roche Tarpéienne. Les vestales entretiennent le feu et font vœu de chasteté pendant trente ans ; un peu trop pour cette jeune fille qui enfreint les règles et est donc condamnée à mourir. Juste avant de sauter, elle implore la pitié de la déesse Vesta, qu’elle a toujours servie avec beaucoup de ferveur et, miracle peut-être surnaturel, elle survit à sa chute, ce qui à l’époque occasionna des débats passionnés où l’on parlera de résilience, dans le sens propre, celui d’un saut conçu pour apporter la mort et qui va amener la vestale, très auréolée, à continuer à servir au Temple.
Plus tard, au début du XXe siècle, on retrouve Paul Claudel, qui en parle comme d’une découverte : « Il y a dans le tempérament américain une qualité qu’on traduit là-bas par le mot de resiliency, pour lequel je ne trouve pas en français de correspondant exact car il unit les qualités d’élasticité, de ressort, de ressources et de bonne humeur. »
Mais la véritable reconnaissance du mot « résilience » commence avec Emmy Werner.
Emmy Werner
Emmy Werner est née en 1929 dans le Nebraska. C’est elle, la mère de la résilience ! Après avoir passé son PhD (doctorat), Emmy part enseigner en Californie. Spécialiste du développement psychologique des enfants, elle va mener une recherche sur l’île de Kauai, à Hawaii. Là-bas, une escouade d’enfants des milieux défavorisés, plus ou moins abandonnés, dorment dans la rue, où ils se font maltraiter physiquement et agresser sexuellement. Ils sont ainsi près de sept cents à vivre d’expédients. Emmy Werner va plus particulièrement en suivre deux cents pendant trente ans. Or, environ soixante-dix d’entre eux vont s’en sortir, devenir de jeunes adultes responsables, bénéficier d’un travail stable, fonder une famille et s’intégrer dans la communauté. Ce qui va mener Emmy Werner à imaginer le concept de résilience – elle nomme d’ailleurs ses ouailles « mes résilients » – et à rechercher chez eux les qualités essentielles, par exemple leur aptitude à résoudre des problèmes. Elle arrive ainsi à cerner plusieurs aspects de leur personnalité, comme l’autonomie, la confiance en soi, l’altruisme, la sociabilité et l’habileté à trouver des soutiens.
Le monde anglo-saxon reprendra ces données jusqu’en 1995, et, là, Boris Cyrulnik intervient. Ses travaux tournaient déjà pour la plupart autour de ces mêmes idées – pourquoi certains arrivent à tenir debout et à sortir plus ou moins indemnes des pires épreuves. Il va donc s’en saisir, les approfondir, en devenir le spécialiste. Du reste, qui mieux que lui peut en témoigner ? Son très beau livre Un merveilleux malheur est un exemple absolument extraordinaire de cette vulnérabilité invincible dont parle Emmy Werner.
Extraordinaire parce que, premièrement, tout le monde n’est pas résilient, en tout cas pas à ce point, et, secondement, les Japonais l’ont démontré, l’organe cœur peut vraiment s’effondrer.
En France, on a donné à cette anamorphose le nom de « syndrome du cœur brisé ». Sous l’effet d’un choc, d’un deuil, d’une rupture, d’un ou de plusieurs stress, le cœur tout à coup se déforme, s’allonge, prend la forme curieuse d’une amphore, celle que les pêcheurs japonais fabriquent pour en faire des pièges à poulpe, d’où justement le nom de cette maladie : le tako-tsubo.
C’est la goutte d’eau qui fait déborder le cœur ! Une multitude de petits points noirs apparaît, on ressent une énorme fatigue et, comme pour un infarctus, on peut en mourir, sauf que ce ne sont ni les mêmes causes ni les mêmes circonstances !
En fait, on a épuisé sa résilience !
Nietzsche a dit : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » Eh bien, serait-ce toujours vrai ? On ne peut pas affirmer que l’on est comme ça, tout à coup, plus fort. Ce qui est plus exact, c’est que l’on meurt à ce que l’on était et que l’on devient quelqu’un d’autre.
Quelle est cette nouvelle personne, comment la construit-on ? Cela dépend peut-être des circonstances, de nos gènes et, pourquoi pas, de nos mémoires antérieures !
Maîtres dans le raffinement, les Japonais ont également inventé l’art du kintsugi (kin = or, tsugi = jointures), qui est à la fois une réparation et une philosophie.
Quand une céramique s’abîme, se brise ou se fendille, le travail consiste à saupoudrer les cassures avec une laque de poudre d’or afin de la réparer de la façon la plus poétique possible. Les blessures restent apparentes mais sont enjolivées, magnifiées, et aboutissent à un renouveau de la beauté. L’objet précieux devient tout autre en restant dans la continuité de son histoire.
Le kintsugi est un beau symbole de résilience.
Le psychiatre et écrivain Christophe André l’a joliment décrit dans une interview pour Le Point :
« J’aime bien cette pratique qui a bien sûr quelque chose d’étonnant, à une époque où on jette volontiers ce qui est usé ou brisé. Je l’aime d’autant plus que j’ai parfois l’impression de rencontrer des humains kintsugi ! Des humains que la vie a cabossés, mais qui ont réussi à s’en remettre et qui n’ont pas gardé d’amertume ou de ressentiment. Au contraire, qui ont progressé, qui se sont à la fois reconstruits et agrandis, améliorés, bonifiés… »
Dorothée Leurent, Les chemins de la résilience : surmonter l’épreuve, aimer à nouveau la vie, éd. Le Courrier du Livre, 2020, p. 19 à 25.
Et si l’être humain couvait un inextinguible feu de vie lui permettant de traverser, voire de transmuter, la brûlure des épreuves et les blessures de l’âme ? Puissance, beauté, mais aussi limites de la résilience.
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