Depuis toujours, nous nous construisons à travers nos lieux de vie. Foyer, nature, voyages reflètent notre quête intérieure. Carl G. Jung en fit l’athanor de son évolution, y décelant aussi des reflets de l’inconscient collectif. Que peut-on apprendre de son parcours ?
Perceptions
Jussi Puikkonen / Alamy Stock Photo
En grec, les verbes se rapportant à l’habitat, oikein, naein, demein renvoient au fait d’exister. Et de fait, notre maison incarne symboliquement notre ancrage au monde… Le psychiatre Fabien Agneray ainsi que ses co-auteurs(1) écrivent que « l’habitat, en tant que prolongement de l’intime […] symbolise une interface du sujet avec le monde. L’individu construit un chez-soi, qui devient ainsi un point d’ancrage à partir duquel se dessinera une organisation du maillage de ses liens avec le monde. » En la matière, les relations que tissera Carl G. Jung avec ses demeures sont riches d’enseignements.
Deux habitats pour deux facettes
Au bord du lac de Zurich, en Suisse, se trouve une vaste maison bourgeoise, assortie d’un faste jardin. Dès 1908, cette maison fut celle de Jung, son épouse Emma et leurs cinq enfants. C’est là qu’il exercera son activité de psychanalyste jusqu’à sa mort, en 1961. À Küsnacht, Jung reçoit d’éminents patients ; il y déploie son quotidien et sa vie de famille. C’est le Jung « au costume et au nœud papillon », celui en proie au réel, comme il le décrira dans son livre autobiographique Ma vie(2) : « La conscience que j’avais un diplôme de médecin, que je devais secourir mes malades, que j’avais une femme et cinq enfants, et que j’habitais […] à Küsnacht – c’étaient là des réalités qui me sollicitaient et s’imposaient à moi. Elles me prouvèrent, jour après jour, que j’existais réellement et que je n’étais pas seulement une feuille ballottée au gré des vents de l’esprit… »
Mais en chacun de nous cohabitent différentes personnalités, des facettes qui peuvent sembler en tension avec notre lieu de vie. Comment, alors, réconcilier nos opposés ? Dans cette maison cossue, on décèle un appel à autre chose. Au fronton de la porte, des mots mystérieux ont été gravés : « Vocatus atque non vocatus deus aderit » : « Convoqué ou non convoqué, Dieu est là. » Si Küsnacht incarne son port d’attache avec le réel et les responsabilités, Jung aura besoin d’aller vers la complétude, vers la totalité qui le constitue – ce qu’il nomme « processus d’individuation » – en édifiant un second lieu de vie. « Il a besoin d’aller contacter son autre personnalité, le Jung seul, qui vit dans la nature, l’introspection, qui crée… », nous explique Carole Sédillot, formatrice en symbolique et mythologie, spécialiste de Jung.
L’individu construit un chez-soi, qui devient ainsi un point d’ancrage à partir duquel se dessinera une organisation du maillage de ses liens avec le monde.
Un lieu « vêtement d’âme »
À deux heures de bateau de Küsnacht, Jung construit d’abord un petit abri de pêche, puis, à partir de 1923, il crée une tour, puis une seconde, et enfin de quoi relier les deux. Ce processus mené sans plan d’ensemble durera 33 ans ! Bollingen est la maison du Jung secret, un antre alchimique caché derrière un bois, niché dans les roseaux… On y découvre une cour intérieure surprenante : « Très petite, cernée par un mur qui clôt la vue sur le lac, elle ne s’ouvre que vers le ciel. Jung tenait à ce dispositif inspiré du plan des mosquées visitées au Caire », décrit la géographe Chantal Delacotte(3).
De cette bâtisse insolite, à l’allure d’un petit château de conte de fées, Jung dira(2) : « À Bollingen, je suis dans les choses comme elles sont... Ma maison est comme un corps de pierres, avec lequel je vis dans une intimité si profonde que j’ai le sentiment qu’elle fait partie de moi. » Si Jung façonne son habitat comme une extension de lui-même, il existe diverses manières d’investir nos lieux de vie, comme le décrit Fabien Agneray(1) : « Les événements qui concernent l’habitat atteignent son habitant, en fonction de la valeur que celui-ci attribue consciemment ou inconsciemment à son habitat ; mais également en fonction de la place qu’occupe intimement cet habitat dans l’équilibre psychique du sujet. »
En accord avec ce processus, tout dans la bâtisse de Jung est propice à l’introspection. La tour, avec ses toutes petites fenêtres, dévoile une ambiance tamisée, peut-être pour mieux rencontrer sa lumière de l’intérieur ? Bertrand Eveno, éditeur du Livre rouge, explique que cet habitat a été construit sur le modèle d’une case africaine. « Dans une case africaine, il y a une porte basse et l’on doit se courber pour entrer. À l’intérieur, tout est sombre, sauf le feu central... Cette architecture en terre cuite et en paille donne une impression de protection du monde dangereux, d’un ventre maternel, chaleureux, accueillant, protecteur et en même temps sacré. »
Journaliste, réalisatrice et auteure, Aurélie Aimé est spécialiste du monde des spiritualités et de l'écologie. Son parcours professionnel lui a permis d’explorer inlassablement ces sujets et de partager ses découvertes.
D’abord, elle a été journaliste et animatrice télé sur M6, spécialiste de « récup’ » et d’ « astuces de grands-mères » pour l’émission 100% Mag. Puis en 2014 elle a rejoint la rédaction de l'INREES, de Kaizen, puis de Natives, entre autres.
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Inexploré n°66
Inconscient
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