Par sauvegarde, notre psyché peut refouler les émotions, parfois aussi ce sont nos parents ou des adultes qui nous ont amenés à réprimer ce que nous ressentons. Plus tard, cette « part d’ombre » peut nous empêcher d’avancer dans la vie. Que nous apporte d’affronter nos démons ?
Lors d’un stage, Bonnie veut travailler sur son « démon ». Cliff Barry l’invite à choisir quelqu’un pour incarner cette part d’elle-même, en lui disant comment il doit se comporter. Le démon est arrogant, il jure et il est agressif. L’animateur demande alors à la jeune femme quelle est sa réaction face à lui. Elle a peur et veut fuir. Une personne incarne alors cette envie de fuite. Et en regardant cette scène de l’extérieur, Bonnie voit aussi qu’elle a honte d’être en prise avec ce conflit. Quelqu’un est chargé d’incarner cette honte. «
Est-ce que cette situation vous fait penser à quelque chose que vous pourriez avoir vécu ? », demande Cliff Barry. Le démon lui rappelle son père qui ne cessait de la réprimander. Bonnie a donc introjecté et refoulé l’image de son père ainsi que sa réaction face à lui. Ceci a créé une part d’ombre dans sa psyché.
En invitant habilement Bonnie à faire parler ses facettes intérieures à travers les personnages extérieurs, Cliff Barry la guide vers la possibilité de faire face à ce démon. Bonnie, qui à ce stade est plongée dans ses sensations et ses émotions, ressent une pression monter en elle. Et pour la première fois de sa vie, elle ne la retient pas. Elle se met à exprimer sans restriction – autre que celle de ne blesser personne et de ne rien casser – toutes les émotions qui la traversent. Elle sort de la peur, de la honte et passe au mécontentement, à la colère, à la rage.
Cette libération émotionnelle crée alors un effet domino. Sur le plan physique, son rythme cardiaque, sa respiration, la circulation de ses fluides et de ses messagers chimiques s’accélèrent. Une vitalité émerge qui lui permet de repousser physiquement le monstre en dehors de la pièce. Sur le plan psychique, les blocages entretenus par le refoulement se délient. Bonnie reconfigure radicalement son rapport au démon et son appréciation d’elle-même. Une joie éclate en elle. «
Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi content ! », indique Alyce Barry, qui rapporte ce cas dans l’ouvrage de référence
Practically Shameless.
À certains moments, il est légitime et bénéfique de sortir des choses de l’ombre.
Un mécanisme psychique
L’ombre est cet espace psychique constitué des matériaux que nous avons écartés, niés, cachés, refoulés, bannis. Parfois semi-consciente, elle est la plupart du temps inconsciente. Robert Bly, auteur de
A Little Book on the Human Shadow, utilise notamment l’image d’un « sac » dans lequel nous aurions enfermé les réactions et les ressentis que nous ne pouvions pas gérer et ce, souvent parce que notre famille, nos éducateurs, notre culture les ont jugés malvenus ou condamnables. Autant dire que nos réponses émotionnelles sont en première ligne de ces matériaux censurés, même lorsqu’elles sont « positives ». La joie peut déranger, un élan amoureux être réprimé, une expression de puissance être sabotée.
«
L’ombre fait partie de notre économie psychique. Mettre des choses dans l’ombre peut être nécessaire pour un individu. C’est aussi un mécanisme culturel. Néanmoins, nous pensons qu’à certains moments, il est légitime et bénéfique de sortir des choses de l’ombre. Lorsqu’elle est bien accompagnée, cette mise en lumière entraîne des transformations profondes et durables », expliquent John et Nicola Kurk, thérapeutes et pionniers du travail de l’ombre en Europe. En effet, le problème serait qu’en refoulant des parties de nous-mêmes, nous réduirions notre mou-vement de vie et bloquerions des ressources, à tous les niveaux de notre être. Résultat : là où notre potentiel pourrait être ouvert à 360 degrés, il se retrouverait restreint. «
Du coup, le travail de l’ombre consiste à mettre notre “sac” sur la table, à voir ce qui fermente dedans – souvent depuis des années – afin d’extraire les pépites d’or qui s’y cachent », indique Gautier Hankenne, facilitateur et formateur francophone en travail de l’ombre. Mais comment accéder à l’ombre, alors que nous faisons justement tout pour ne pas la rencontrer ? (...)