Née Diane Perry, Tenzin Palmo est l’une des grandes figures du bouddhisme contemporain. Son parcours est extraordinaire, ses réalisations révolutionnaires. Rencontre avec une pionnière de l’Éveil au féminin.
Quelques jours après Losar – le Nouvel An tibétain –, le printemps éclot sur la plaine du Kangra, en Inde du Nord, dans l’État d’Himachal Pradesh. Dans cette région verdoyante célèbre pour son thé, les bougainvilliers et les magnolias fleurissent en taches éclatantes. Et même si des filets de nuages s’accrochent encore aux sommets himalayens tout proches, il fait bel et bien chaud lorsque nous parvenons à Dongyu Gatsal Ling, une communauté de 90 nonnes bouddhistes, fondée par Tenzin Palmo il y a près de quinze ans…
Tenzin Palmo, une femme dont le destin singulier est nimbé des mystères de la spiritualité. Qu’est-ce qui a poussé une jeune Anglaise élevée dans un quartier populaire de Londres à tout quitter pour l’Inde et à raser ses boucles châtain pour devenir la deuxième nonne occidentale de l’histoire du bouddhisme tibétain ? Où a-t-elle trouvé la force de méditer pendant douze ans dans une grotte sombre et humide ? La dame a aujourd’hui 72 ans. Tandis que nous franchissons la grille du couvent, sa devise résonne dans nos têtes, tel un gage d’exigence : «
Tant qu’à faire quelque chose, autant le faire correctement. »
Des dispositions innées
De loin, la silhouette élancée de Tenzin Palmo atteste de son caractère bien trempé, émaillé d’une détermination tournée vers l’efficacité. Sa poignée de main est franche et généreuse ; son regard azur pétillant nous invite à oser. Elle nous demande cependant de patienter un moment, car elle doit rendre visite à une nonne souffrante. Aider les autres est pour elle une priorité non négociable. À son retour, l’immense sourire dont elle nous gratifie témoigne de sa disponibilité. Pas de doute : cette femme rayonne de la même présence que les plus grands maîtres spirituels. Tenzin Palmo n’aime pas se raconter. Si on insiste, elle consent pourtant à évoquer sa vie, comme elle l’a fait il y a quinze ans sous la plume de Vicki Mackenzie dans
Un ermitage dans la neige – à la condition que le livre puisse être source d’inspiration pour d’autres femmes. Son père décède en 1945, alors qu’elle n’a que deux ans. Sa mère, ancienne femme de ménage, travaille dur pour élever ses deux enfants… et organise des séances de spiritisme. Diane en est le témoin.
« Ces expériences m’ont beaucoup appris, indique-t-elle.
Personne ne peut me soutenir que la conscience n’existe pas après la mort, car j’ai pu constater maintes fois la preuve du contraire. »
L’enfant se dit pourtant que le mystère est plus profond. Que le cycle des renaissances peut être dépassé. Qu’il existe en l’homme une nature parfaite qui ne demande qu’à être découverte. De fortes fièvres lui donnent la sensation de sortir de son corps. S’ancre en elle la perception « d’autres formes d’existence ». Encline à l’introspection, elle est aussi curieusement fascinée par l’Asie et
« passe, dit-elle,
des heures à dessiner des Japonaises en kimono ». Quand le premier restaurant oriental ouvre à Londres, elle n’a de cesse que sa mère l’y emmène pour enfin
« voir des visages asiatiques ». Pourtant, dans sa famille, personne n’éprouve ce type d’intérêt !
« J’aimais aussi l’idée des nonnes cloîtrées, qui passent leur vie en prière », souligne-t-elle. Adolescente, les thèmes de la souffrance, de la vieillesse et de l’après-vie la hantent. Elle se rappelle avoir regardé un bus passer et observé les gens parler et rire à l’intérieur. Et s’être étonnée :
« Est-ce qu’ils ne voient pas, est-ce qu’ils ne savent pas ce qui les attend ? » À treize ans, elle est déjà pleinement consciente que la mort est inéluctable, et que l’existence n’est qu’une
« petite goutte d’eau dans un grand lac ».
Les gens sont enfin conscients de l’existence des nonnes et leur apportent un vrai soutien.
L’appel de l’Inde
L’adolescente s’intéresse au christianisme et au Coran, mais la dualité entre le bien et le mal, ou entre l’homme et le divin, ne la satisfait pas. À quinze ans, elle se met au yoga, s’émerveille en classe d’apprendre qu’il existe un dalaï-lama. Gaie, audacieuse, elle croque la vie, aimant sortir avec ses amis, mais sait qu’un destin l’attend :
« Tu es jeune, amuse-toi, dit en elle une voix.
Quand le moment sera venu, tu auras vraiment quelque chose à abandonner. » Un livre, à 18 ans, bouleverse sa vie. Signé John Walters, il s’intitule
Mind Unshaken et parle de bouddhisme. Arrivée à la moitié de l’ouvrage, Diane déclare :
« Je suis bouddhiste. » Sa mère lui répond :
« Termine-le et on en reparle ! » Mais la jeune femme a trouvé sa voie et s’y engage de toutes ses forces. Elle rejoint la Buddhist Society, la plus ancienne organisation bouddhiste d’Occident, puis s’oriente vers le bouddhisme tibétain lorsqu’elle lit dans un texte le nom de la lignée Kagyu.
« Tu es kagyupa », lui susurre sa voix intérieure. Elle suit des cours de tibétain, rencontre des lamas exilés en Angleterre tels que Chögyam Trungpa, auteur des premiers best-sellers bouddhistes, qui devient son professeur de méditation. Mais son objectif est clair : partir à la recherche de son maître. En 1964, elle embarque sur un cargo pour un voyage de deux semaines qui la mène à Bombay, puis gagne l’Inde du Nord où elle trouve un poste de professeure d’anglais dans une école pour moines. Malgré des conditions de vie spartiates, sa volonté de devenir nonne ne faiblit pas. Lorsque sa directrice reçoit une lettre du 8
e Khamtrul Rinpoché, un dignitaire tibétain récemment exilé en Inde, la jeune femme s’émeut :
« Je ne savais rien de lui, mais entendre son nom a éveillé une grande foi en moi », raconte-t-elle. Lorsqu’il se présente à l’école, le jour des 21 ans de Diane, celle-ci accourt pour le saluer, sans oser le regarder.
« Dites-lui seulement que je veux prendre refuge avec lui », murmure-t-elle à sa directrice.
« Bien sûr », répond-il sans attendre. Lorsqu’elle lève le regard, c’est la révélation.
« J’avais l’impression de rencontrer quelqu’un que je n’avais pas vu depuis très longtemps. J’avais envie de lui dire : quel plaisir de vous revoir ! En même temps, c’est comme si la partie la plus intime de moi s’était matérialisée à l’extérieur de moi. Cela ne m’est jamais arrivé avec quelqu’un d’autre. J’ai tout de suite su que c’était mon maître et il a tout de suite su que j’étais son disciple. »
La cause des femmes
Diane est ordonnée trois semaines plus tard par le 8
e Khamtrul, dont elle reçoit le nom de Tenzin Palmo. Le crâne rasé, elle se sent «
plus légère, soulagée ». Entre elle et son maître, le lien est intime, lumineux, comme établi depuis plusieurs vies. Elle le suit au monastère de Tashi Jong, en Himachal Pradesh. Mais, seule femme parmi une centaine d’hommes, elle y fait la dure expérience du machisme. Confrontée à la méfiance et au rejet, elle comprend la nécessité de voir clair dans ses émotions, de se détacher du désir d’affection, ainsi que le défi de parvenir à éprouver de la compassion pour tous les êtres. Là, elle fait aussi la connaissance des Togden, des yogis doués d’aptitudes spirituelles extraordinaires. La jeune nonne exulte lorsqu’elle apprend qu’au Tibet, son maître vivait entouré de Togdenma – la forme féminine des Togden. Hélas, celles-ci n’ont pas survécu à la révolution culturelle chinoise. (...)