Sur les souhaits repose un essentiel de la pratique spirituelle du bouddhisme et de l’hindouisme. Leur puissance transformatrice révèle à la fois la force de l’esprit humain, mais aussi ses capacités d’amour, dans l’intention altruiste et le désir d’éveil qui portent le pratiquant vers la réalisation de sa voie.
Âme du monde
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Dans le bouddhisme et l’hindouisme, la notion de « force des souhaits » fait référence à l’intention puissante qui sous-tend les vœux ou aspirations des pratiquants, tant pour eux-mêmes que pour le bien-être de tous les êtres sensibles. Stéphane Arguillère, professeur de langue et civilisation tibétaines à l’Inalco, souligne : « Le mot “souhait” peut rendre divers termes dans les langues historiques du bouddhisme, allant de la simple intention ou aspiration (même vague, diffuse, tacite, implicite dans une action) jusqu’à la formulation explicitement articulée d’un vœu. Le souhait, même dans ce dernier cas, est d’abord l’expression de la résolution personnelle d’atteindre un certain objectif. » Dans la tradition du Mahayana, par exemple, les souhaits altruistes de devenir un bouddha (un être en chemin vers l’Éveil pour aider tous les êtres, voir encadré) sont perçus comme ayant le pouvoir de favoriser la pratique spirituelle. En tibétain, on utilise le terme meunlam (de meun, « aspirer », et lam, « chemin » ou « démarche »), ce qui évoque une pratique, un entraînement à « souhaiter ». En sanskrit, on emploie le mot sankalpa, qui signifie littéralement « intention » ou « vœu déterminé », englobant également une conduite éthique.
Ces souhaits, souvent exprimés en prières ou vœux, reposent sur l’idée que l’esprit possède un potentiel immense et que des intentions positives, lorsqu’elles sont sincères et motivées, peuvent influencer la réalité. Ce qui s’appuie sur l’interconnexion des choses et la conviction que l’esprit, dirigé avec pureté et compassion, peut transformer les situations, générer des mérites et des énergies bénéfiques pour soi-même et pour les autres.
Ouvrir son esprit
Les systèmes théistes, qu’ils soient monothéistes ou polythéistes, placent leur foi en un ou plusieurs principes supérieurs et tout-puissants. Dans ce contexte, l’acte de prier revient souvent à se tourner vers un au-delà, un être supérieur, dans l’espoir d’être exaucé, d’obtenir de l’aide pour atteindre un but. En revanche, le bouddhisme est un système non théiste. Cependant, il propose aussi un objectif à atteindre, qui diffère, car il n’est pas dirigé vers une puissance supérieure. La pratique des souhaits, considérée comme un entraînement quotidien, s’associe au bodhicitta, qui consiste à aspirer au développement de l’amour et de la compassion. Ensemble, la prière et les souhaits peuvent, de prime abord, sembler positionnés entre crainte et espoir, comme l’explique le lama Jean-Marc Falcombello, responsable du centre Kagyu de Genève : « Craindre et espérer, cela ne nous
permet pas d’accueillir ce qui se produit. Espérer, c’est s’en remettre à un extérieur et se mettre en fragilité, plutôt que d’avoir la force d’accepter ce qui arrive. Il y a de l’inquiétude derrière ce qui soumet mon état et mon bonheur à des conditions extérieures, et c’est une étroitesse. » Puisque la réalité ne se déroule jamais exactement comme nous le souhaitons, nous pouvons élargir notre vision dans une perspective à long terme :
« Souhaiter – puissé-je recevoir les choses telles qu’elles se présentent, puissé-je avoir suffisamment d’amour et de compassion pour avoir l’ouverture qui me permette d’entendre tout ce que je ne comprends pas – nous entraîne vers quelque chose de bien plus vaste que le monde étroit dans lequel nous nous croyons enfermés, nous invitant à nous ouvrir à l’infinité des mondes, à l’infinité de l’espace, à l’infinité des êtres… et à la libération de ces conditionnements » (1), précise Jean-Marc Falcombello. Ainsi, souhaiter notre libération est le but ultime.
Enfin, lors de la pratique, l’intention est fondamentale et peut être à la fois implicite et confuse (si l’on accomplit des rites de manière plus ou moins machinale) ou bien consciente. « Elle peut être orientée (avec plus ou moins d’intensité, selon le degré de conviction et
d’engagement) vers trois types d’objectifs : 1. simplement obtenir des avantages « mondains » (des réincarnations relativement agréables) ; 2. la délivrance personnelle dans le nirvāna ; 3. l’obtention du suprême et parfait éveil pour le bien de tous les êtres », rajoute Stéphane Arguillère.
Quand il s’agit de méditation ou de rituels, la notion de souhait est aussi liée à la réversion à la fin, sous forme d’offrandes de mérites. « Un acte, toutes choses égales par ailleurs, est d’autant plus méritoire qu’il vise le bien de plus d’êtres : on trouve parfois l’idée d’une multiplication des vertus de l’acte par le nombre d’êtres auxquels les bienfaits sont dédiés. C’est pourquoi le bodhisattva ne cesse de formuler des souhaits pour le bien de tous les êtres : ce faisant, il multiplie ses mérites à l’infini et hâte ainsi l’obtention de l’éveil qui lui permettra de faire effectivement ce bien qu’il souhaite », conclut Stéphane Arguillère.
Le lien entre karma et intentions
« Dans le bouddhisme, le karma n’est pas de l’ordre d’une justice supérieure rétribuant les actes selon leur qualité morale, mais se ramène plutôt à l’idée que l’on devient ce que l’on fait. “Devenir” inclut ici toute la vie, y compris ses aspects matériels (l’aspect de notre corps), voire extérieurs (les circonstances au sein desquelles je vis) », enseigne Stéphane Arguillère. Les souhaits peuvent donc modeler la vie, mais leurs effets se manifestent sur le long terme, nécessitant du temps. Bien que la doctrine du karma explique que les souhaits portent leurs fruits, le bouddhisme ne prône pas « la libre volonté créatrice » ; il ne défend pas une morale relative, « il ressemble plutôt à la médecine qui, sans nous faire un devoir “moral” d’adopter une certaine conduite, met cependant devant nos yeux les conséquences fatales de différents styles de vie », explique le spécialiste.
Le bouddhisme différencie les aspirations vertueuses et non vertueuses, ces dernières, teintées de passion (kleśa), menant inévitablement à la souffrance. « Par exemple, aspirer à devenir riche, fût-ce jusqu’à l’obsession, ne suffit pas à atteindre ce but, en l’absence de la générosité, cause principale de la richesse. Les actes (y compris mentaux) ont tous des conséquences, à condition d’être volontaires ou du moins colorés par une intention et donc une forme d’aspiration, même si elle peut être très obscure et confuse, très peu consciente », analyse Stéphane Arguillère. Tous les actes, même s’ils relèvent du mental, ont des conséquences karmiques. Il est donc essentiel d’accumuler les mérites pour atteindre son objectif. D’autant qu’il y a une rétribution directe à s’entraîner à souhaiter l’amour à profusion, en dehors du bien-être que l’on génère pour soi.
Journaliste et rédactrice en chef adjointe d'Inexploré magazine
Melanie Chereau est journaliste et auteur de plusieurs ouvrages. Ses thèmes de prédilection sont la spiritualité, la naturopathie et les médecines douces.
Elle pratique le bouddhisme depuis plus de 17 ans, est formée en Reiki et en aromathérapie. ...
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