Enfant, à peine âgée de 7 ans, vous lisiez
la Bible, le Livre des morts tibétain, le
Coran… Vous aviez déjà un appel très
fort de spiritualité ?
Je percevais déjà en moi quelque chose de
très vaste, sur le plan de l’amour. Dans le
quotidien, je ne voyais rien qui pouvait
y répondre de façon aussi absolue. Mes
parents étaient catholiques, et à 6, 7 ans, j’ai dévoré
la Bible, fascinée par ce texte qui comblait mes attentes.
Je cherchais tout simplement à communier
avec l’infini. C’est ainsi que ma quête a commencé.
J’ai d’abord cherché à l’extérieur, en empruntant
des voies religieuses, ésotériques, initiatiques, spirituelles,
avant de faire cette rencontre à l’intérieur. Au
fond, je cherchais déjà à goûter cette unité.
Vous avez mis au point une approche spécifique : la
Communification. Quelle est sa spécificité ?
J’ai cherché une voie qui couvre à la fois les champs
« relatif » et « spirituel », une approche qui marie à
la fois la dimension humaine, et celle plus « absolue »,
pour cesser de les opposer. J’ai rencontré de
nombreuses personnes engagées dans des voies spirituelles
qui ne tiennent pas compte de la dimension
humaine, avec des blessures qui n’ont jamais été
travaillées sur le plan thérapeutique. Trop souvent,
sous couvert de spiritualité, on dégage d’un revers
de la main l’ego et les blessures qui sont considérées
comme une « illusion ».
Or mon expérience est que
la souffrance n’est pas une
illusion.
L’illusion est ce pour
quoi je me prends, pas ce que
je ressens. La Communification
est née du constat qu’il
y avait un chaînon manquant
entre les deux voies. Elle repose
sur des approches permettant
de mieux communiquer
avec soi, l’autre, et de guérir les blessures
du passé. Dans le même temps, elle développe une
conscience globale, une vision éclairée, qui permet
de changer de vision sur qui je suis, avec des exercices
pédagogiques favorisant le retour vers cette
unité dont nous avons perdu le chemin.
À quelle question essentielle cherche à répondre
cette approche, pour ce retour à l’unité comme voie
de paix intérieure ?
Comme dans le château du Graal, la question est :
«Qui sert-on ?» . Sommes-nous au service de ce moi
« identifié » à nos sensations, nos émotions, nos pensées,
qui cherche sa complétude perdue, ou bien
sommes-nous au service de la vie qui nous traverse
de sa plénitude ? Si on se tourne vers la vie, alors
on va recevoir tout ce qu’on cherche, cette coupe
débordante, ce Graal… Ensuite, on peut aller vers
le monde, les autres, pour donner ! En réalité, nous
souffrons beaucoup dans nos relations, parce que
nous allons chercher à l’extérieur une communion
qui ne peut se goûter dans sa plénitude qu’à l’intérieur
de nous-mêmes. Là se trouve tout ce que
nous cherchons : la complétude, la paix, l’infini,
la détente, la joie, sans condition et pour toujours.
L’immuabilité, la perfection, la sérénité, vécues de
manière durable, ne peuvent exister que dans l’espace
que nous sommes, qui est la source de tout ce
qui est.
Sommes-nous au
service de la vie qui
nous traverse
de sa plénitude ?
Vous êtes une figure emblématique de la
Communication NonViolente (CNV). Comment
peut-elle nous permettre ce retournement
intérieur, et favoriser la guérison de nos blessures
relationnelles ?
La CNV est une intention avant d’être un langage.
L’intention de se relier à l’endroit où naît cet élan
naturel de contribution les uns pour les autres.
Marshall Rosenberg, son fondateur, s’est posé
la question de ce qui favorisait ou pas le vécu de
cette intention. Il a découvert que nous utilisions
habituellement un langage
qui ne soutenait pas cet élan,
que nous communiquions
à partir de nos manques, de
nos jugements, avec une attention
fixée sur les résultats
plutôt que sur la qualité de la
relation. Il a alors élaboré un
processus au service de son
intention, qui nous invite à
placer notre attention sur :
- nos observations (en les distinguant de nos pensées
et de nos jugements) ;
- nos sentiments (en vérifiant que nous en prenons
la responsabilité) ;
- nos besoins (en les différenciant des moyens pour
les nourrir) ;
- nos demandes (en vérifiant qu’elles ne sont pas
des exigences).
C’est un langage de déconditionnement, de changement
de paradigme, qui requiert d’être d’abord
pratiqué intérieurement avant d’être utilisé avec autrui. Cheminer avec les quatre étapes du processus
transforme peu à peu notre manière de penser. Une
question que je garde souvent à l’esprit est : qu’est-ce
qui augmente mes chances de vivre une relation
cœur à cœur avec l’autre, dans laquelle nos besoins
vont être mutuellement rejoints ?
La notion de « reliance au vivant » est centrale dans
votre approche. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de regarder comment goûter d’instant en instant
la vie que nous sommes. La plupart du temps,
nos identifications à nos perceptions, à nos pensées,
à nos émotions et à nos sensations
nous empêchent d’y
accéder. Par exemple, quand
nous avons une pensée, nous
nous prenons pour le penseur,
nous avons cette idée
absolument fascinante que
nous produisons nos pensées.
Dans les séminaires, j’ai
l’habitude de demander aux
participants :
« Quelle sera votre prochaine pensée ? » Et
c’est le blanc ! Parce que tout naturellement, notre
attention se tourne vers l’espace où apparaissent les
pensées et là, il n’y a rien. Cet espace est notre nature
véritable. Lorsque la conscience se tourne vers
elle-même pendant un instant, nous goûtons ce
que nous sommes : une conscience consciente. Ainsi,
quand je parle du vivant, je parle de cet espace
ouvert, de cette conscience consciente, la vie elle-même,
qui s’expérimente en tant que tout ce qui
existe. Au moment où je tourne mon attention vers
cela, je découvre tout ce que je cherche habituellement
en tournant mon attention vers le monde
extérieur. L’enjeu devient alors : comment faciliter
l’accès quotidien à cette conscience consciente,
afin de vivre davantage la paix et la joie que nous
sommes ?
L’apaisement provient
de l’accueil de ce qui
est, sans désir de
le changer.
Vous évoquez cette voie directe qui nous permet
d’accéder à notre nature véritable, en quelque
sorte. De quelle manière contacter ce champ de
conscience ?
J’ai pu observer, bien souvent, qu’employer des
mots conceptuels nous éloignait de l’endroit où
nous pouvons vivre l’expérience directe de notre
nature originelle. Il s’agit d’attirer l’attention de la
personne à l’endroit où elle a le plus de chances de
rencontrer ce qu’elle souhaite rencontrer : l’unité !
Faisons une expérience : vous êtes dans la nature,
les oiseaux pépient, les feuilles bruissent, et tout à
coup, c’est l’agitation : « J’ai des courses à faire pour
mes invités ce soir ! » Là, je peux observer mes sensations,
mon énervement… Or si je tourne mon
attention vers la conscience consciente, ce qui perçoit
à la fois les bruits de la nature et mes pensées et
sensations de stress, je trouve… le calme. J’ai alors
le choix : ou bien je continue à nourrir mes pensées
et à me noyer dans l’émotion, ou bien pour un instant,
je m’établis dans cette conscience consciente.
Depuis ce calme, je vais alors pouvoir accueillir dans
l’immensité bienveillante des bras de la conscience,
l’agitation, les peurs, en leur disant :
« Vous êtes les
bienvenues, je ne vous demande pas de disparaître, je
vous offre mon espace de calme,
pour vous y déposer, exactement
telles que vous êtes. »
Ainsi, lorsque la conscience
consciente accueille
avec tendresse
ces parts d’elle-même,
sous ces formes agitées, la détente
arrive. L’apaisement provient
de l’accueil de ce qui est,
sans désir de le changer.
Quel regard portez-vous sur ce monde qui paraît
très mal en point ? Et quel pourrait être l’apport
d’un éveil des consciences ?
Personnellement, je n’ai pas une vision optimiste
ou pessimiste. Pour moi, la question est : quelle est
la racine de la souffrance du monde ? La violence,
les inégalités et les guerres sont rendues possibles
parce que nous n’avons pas conscience de notre
unité originelle (en tant que tout) et de notre interdépendance
(en tant qu’êtres humains). C’est parce
que nous n’avons pas conscience que nous sommes
« un », que nous pouvons faire violence à un « apparent
autre ». Le problème est donc d’ordre spirituel
avant d’être politique, écologique ou économique.
Tant qu’une masse critique d’êtres humains n’aura
pas fait un chemin en conscience pour découvrir cet
espace de conscience consciente et appris comment
se relier à l’endroit où il y a cet élan naturel à contribuer,
il y aura de la violence, des inégalités sociales,
etc. Aucune solution externe ne viendra régler cela.
C’est pourquoi je consacre tout mon temps et mon
énergie à vivre et partager les clés de cette transformation
intérieure qui fera qu’un jour nous pourrons
vivre sur une terre où chacun sera relié à son élan
naturel de contribution…
Bio express
Née en 1964 à Nice, Isabelle Padovani travaille
en centre hospitalier avant de se lancer dans une
quête spirituelle et humaine aux multiples
chemins. Aujourd’hui elle enseigne dans les
domaines spirituel, relationnel, thérapeutique et
énergétique. Elle a créé la « Communification »,
dont l’intention est d’unifier plans relatif et absolu,
par des pratiques emblématiques telles que la
Communication NonViolente et la Voie Directe.
Pour aller plus loin:
www.communification.eu