«
Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts », conseillait Marguerite Yourcenar. Et si, au crépuscule de la vie, existait un possible éveil, éclairé par la lucidité terminale ?
«
David ne répondait plus à aucune sollicitation. Pour moi, c’est comme s’il n’était déjà plus là. Ce vendredi, je me sentais mal à l’aise lors de ma visite, dans cette chambre aux côtés de sa famille en larmes... Le lendemain, le lit était vide. Dans le couloir, je fus interpellé par une infirmière. Elle me confia que David s’était réveillé après mon départ, comme s’il n’était plus malade. Un miracle. Pendant près de cinq minutes, il avait fait ses adieux à sa famille, souriant, et les avait serrés contre lui, avant de plonger de nouveau dans un état comateux et de décéder dans l’heure », confiait le D
r Scott Haig au
Time Magazine, témoignant de cette lumineuse percée au cœur des derniers instants de ce patient atteint d’un cancer en phase terminale. Ces fulgurances, marquées par une soudaine diminution des symptômes ou un regain d’énergie, sont relatées depuis l’Antiquité.
Mystérieux rebond
C’est au biologiste Michael Nahm que l’on doit, en 2009, le nom de « lucidité terminale » pour désigner ce processus faisant partie intégrante des expériences exceptionnelles de la fin de vie. Pour quelques minutes, quelques heures, plus rarement quelques jours, on assiste à un retour inattendu de la clarté mentale, des capacités de communication, de la mémoire ou encore de l’appétit. Une telle récupération spontanée frappe d’autant plus les esprits lorsqu’elle se produit chez des personnes dont les fonctions cognitives et motrices étaient dégradées depuis des années (maladie d’Alzheimer, schizophrénies avancées, tumeurs cérébrales, lésions post-AVC...). Michael Nahm a ainsi recensé près de 83 cas cliniques de ce phénomène, publiés dans des revues médicales par près d’une cinquantaine d’auteurs, avec des témoignages remontant jusqu’à Hippocrate. Ces retours de conscience inexpliqués demeurent une énigme médicale, encore peu documentée et peu étudiée du fait de son statut d’anomalie. Sur le « terrain », ce phénomène est pourtant bien connu par les équipes soignantes, mais d’une manière informelle. «
Les soignants désignent ces derniers instants de conscience fulgurants par différentes expressions : le mieux de la fin, la lumière avant la fin du tunnel ou encore le chant du cygne », souligne Maryne Mutis. Doctorante du laboratoire InterPsy de l’université de Lorraine et du laboratoire SuLiSoM de l’université de Strasbourg, cette jeune psychologue clinicienne mène, dans le cadre de sa thèse, le projet Lucideuil (voir encadré « Appel à témoignage »), consacré à mieux comprendre la lucidité terminale pour mieux l’accompagner. À l’aune des recherches actuelles, l’une des principales hypothèses proposées pour expliquer ce phénomène le présente comme une réponse adaptative du corps humain cherchant à rétablir son homéostasie face à la maladie, permettant une courte période d’amélioration avant un nouveau déclin face à l’épuisement de l’organisme. Une autre hypothèse repose sur l’idée que la lucidité terminale ne pourrait pas être expliquée uniquement par ces processus biologiques, et propose qu’elle soit plutôt la manifestation d’une conscience autonome vis-à-vis du corps, comme viendraient l’attester d’autres expériences paranormales survenant au seuil de la mort
(1).
Le message à faire passer est qu’il s’agit de vivre pleinement cet épisode.
Entre faux espoir et deuil créateur
Les travaux menés par Maryne Mutis, en collaboration avec d’autres chercheurs, pointent le paradoxe de la lucidité terminale. Cette expérience peut en effet aider au processus du deuil, tout comme elle peut le compliquer. Versant positif, elle permet de retrouver le malade dans un meilleur état de santé, rendant un échange possible. «
Cette occasion d’engager une dernière fois des interactions positives favoriserait la reconnaissance et l’acceptation de la mort, et ainsi le travail du deuil pour les familles », relève Maryne Mutis. Une recherche effectuée auprès de veufs togolais montre que les adieux contribuent au « deuil créateur », conférant un sens existentiel à la mort. Cependant, il existe également un risque de complication du deuil, marqué par le coup de tonnerre d’une bouffée d’espoir qui vient rompre ce continuum de la fin de vie, alors que l’entourage s’était préparé à la disparition. Maryne Mutis évoque cette différence possible de vécu au travers d’un cas emblématique. Atteinte d’un cancer du foie, cette patiente d’une soixantaine d’années était dans le coma, après une encéphalopathie toxique. Ses proches se préparaient à sa mort, quand elle est soudainement sortie de cet état d’inconscience. Sa belle-fille, Anouck, proche d’elle, a eu la surprise de la retrouver en pleine forme, assise dans le lit, en train de discuter avec son fils, Cédric (compagnon d’Anouck). Après une phase d’étonnement et d’espoir, Anouck a vite compris qu’il ne s’agissait pas d’une guérison miracle. Elle a alors pu profiter de ces derniers instants pour échanger sereinement avec sa belle-mère sur leur relation, sur la mort, sur la vie, sur les petits-enfants. Tandis que cela a été un choc pour Cédric, convaincu de la guérison de sa mère. Cette dernière sentait qu’elle allait mourir, mais n’osait pas le dire à son fils émotionnellement fragile. Malgré les mises en garde d’Anouck, il a cru au miracle. Quand sa mère est morte, cela a été l’effondrement, avec l’impression d’avoir vécu deux décès. D’où un deuil difficile.
Des moments de pleine vie
La lucidité terminale, dernière fenêtre sur la vie, offre des moments extrêmement forts et signifiants. «
Le message à faire passer est qu’il s’agit de vivre pleinement cet épisode ; de profiter des uns et des autres uniquement sur cet instant-là. Être ouvert à ce phénomène permet de ne pas le confondre avec une rémission, une guérison, et de pouvoir “dialoguer” le deuil, la mort, afin de mieux les vivre », conseille Maryne Mutis. Au regard des témoignages recueillis, la balance penche vers l’aide au processus de deuil plutôt que vers la complication traumatique. «
Le pivot entre ces deux perceptions de la lucidité terminale est la communication. D’où la nécessité de parler de ce phénomène. » Ce qui est vrai pour l’entourage l’est aussi pour les équipes soignantes. Encore peu documentée scientifiquement, la lucidité terminale engendre souvent malaise et tabou. Une étude menée dans les hôpitaux argentins démontre ainsi que les soignants ayant à faire face à des expériences qui ne s’expliquent pas présentent en moyenne un niveau de stress plus élevé
(2). «
Il est essentiel de développer des formations autour de ces phénomènes qui jalonnent la fin de vie », souligne Maryne Mutis, contactée dans ce sens suite à sa thèse (toujours en cours).
Cas de conscience
Au-delà d’être un repère informel d’une fin de vie imminente, la lucidité terminale soulève des questionnements fondamentaux, en suggérant que «
derrière la maladie et les dysfonctionnements, la personne et sa conscience seraient toujours présentes et intactes, mais seulement dissimulées et inaccessibles », comme le souligne Michael Nahm. Ce qui vient remettre en cause les représentations des soignants et des proches quant aux personnes lourdement atteintes dans leurs capacités motrices et/ou cognitives, au risque d’un désinvestissement dans le soin, cantonné aux besoins fondamentaux... Ce sursaut de conscience vient par ailleurs questionner la survie de l’âme. «
Les recherches menées sur la lucidité terminale n’apportent pas de réponse à ce stade mais alimentent ce questionnement. Car si l’âme, l’esprit, se cantonne au cerveau, comment expliquer ce phénomène de lucidité terminale ? », interpelle Maryne Mutis. D’autant que les témoignages attestant de ce phénomène proviennent de personnes croyantes, agnostiques, athées, voire sceptiques.
Tandis qu’elle déserte le corps, la vie bouillonne sur d’autres plans.
L’au-delà des mots
Au cœur de ces épisodes de lucidité terminale, l’intime croise l’universel, tant on retrouve de similitudes dans les témoignages. L’utilisation de métaphores, évoquant un « départ » imminent, est ainsi fréquente. «
Lors de cette ouverture de conscience qui précède la mort, l’âme peut parler un langage symbolique », témoigne Lucy Warren. Infirmière en soins palliatifs, praticienne en mémoire cellulaire
(3), elle dit avoir vécu un nombre incalculable de fois cette expérience dans sa pratique d’accompagnement de la fin de vie. «
Tant chez les adultes que chez les enfants, il est souvent question de partir en voyage, de faire sa valise, de prendre son passeport. » Tel un moyen d’apprivoiser sa mort prochaine, mais aussi peut-être d’adoucir l’épreuve pour les proches et d’ouvrir un espace de dialogue. Lucy Warren a également vécu à titre personnel cet au-delà des mots, parcouru de métaphores, en accompagnant, il y a deux ans, la fin de vie de sa mère, atteinte d’une leucémie foudroyante. Lors de cette traversée bouleversante, il y a eu le surgissement de cette «
alarme intérieure qui réveille la personne à la possibilité de sa mort », qui a d’abord plongé sa mère dans l’effroi. Après plusieurs étapes significatives dans ce cours de la lucidité terminale partagée (dialogue autour de la mort et d’un possible au-delà, etc.), sa mère, apaisée, a évoqué symboliquement son départ. Elle a utilisé un vocabulaire en résonance avec l’une de ses passions : «
Je ne sais pas si mon voilier a besoin d’une, deux ou trois voiles... » Ensuite, elle a demandé à téléphoner à des proches. «
Ma mère s’organisait dans cette vie pour régler les choses », décrypte Lucy Warren.
Peu avant son décès, sa mère a poursuivi cette symbolique téléphonique, sur le plan métaphorique : «
La ligne est en train de mourir... Je reste sur cette ligne, mais si ça s’interrompt ne panique pas », dit-elle à sa fille. «
Si on saisit la métaphore, il est question de comment communiquer entre le visible et l’invisible. Maman avait un pied dans les deux mondes », relève Lucy Warren. Encore faut-il comprendre ce phénomène, car ces métaphores sont souvent prises pour du délire ou de la confusion, tant du côté des équipes soignantes que de la famille – au même titre que les autres épisodes dits de « conscience accrue à l’approche de la mort » (visions de paysages grandioses et de proches décédés venus les « chercher », etc.). «
Être en mesure d’écouter ces alertes envoie le message que l’on perçoit ce qui est en train d’arriver ; ça autorise la personne en fin de vie à partir et, avant cette échéance, à régler ce qui doit encore l’être », souligne Lucy Warren. Mettre en ordre les liens et l’existence qui se clôt permet d’accomplir cette ultime mise au monde, ce « travail du trépas », comme l’appelle le psychanalyste Michel de M’Uzan. Ainsi, partir en paix, autant que faire se peut. Et, pour ceux qui restent, d’accomplir un travail de « pré-deuil ». Tandis qu’elle déserte le corps, la vie bouillonne sur d’autres plans. Pour reprendre les mots de K.G. Dürckheim, cette lucidité terminale «
situe l’homme au-delà de ce qu’on appelle la vie et la mort... L’homme peut alors vivre un moment de clarté et, au cœur du non-sens existentiel, il trouve le sens essentiel. » L’accomplissement.
Appel à témoignage
Si, en tant que soignant, vous avez assisté à un épisode de lucidité terminale dans le cadre de votre pratique, vous pouvez contacter maryne.mutis@univ-lorraine.fr qui recueillera votre expérience. Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’un doctorat en psychologie clinique au sein de l’université de Lorraine et de l’université de Strasbourg, validé par un comité éthique.
(1) Chiriboga-Oleszczak (2017).
(2) Parra & Giménez Amarilla (2017).
(3) Lucy Warren est praticienne en mémoire cellulaire et biorésonance cellulaire et formée à la thérapie par la libération d’âme selon l’approche de David Furlong. Pour en savoir plus :
porteursdeau.fr
et
veroniquebrousse.fr.