« J’étais une personne sérieuse et responsable, en clair une gestionnaire particulièrement stressée », se souvient la Québécoise Linda Leclerc. Jusqu’à ce qu’un brutal accident de voiture survienne, lui laissant comme séquelles des douleurs lancinantes. Un article sur le yoga du rire, lu dans la salle d’attente de son médecin, va changer le cours de sa vie ! Quant à Corinne Cosseron, le rire est dans son ADN ; enfant, sa mère lui disait déjà : « Choisis un mari qui te fasse rire, sinon le temps va te sembler vraiment long ! » Un reportage sur Arte fait office de déclic ; peu de temps après, elle lance un club de rire sur la plage dans le Midi de la France. Le point commun entre ces deux femmes ? Un questionnement : et s’il suffisait de rire pour aller mieux ? Toutes deux ont fondé, respectivement, l’École du yoga du rire, en 2005 au Québec, et l’École internationale du rire et du bonheur, en 2002 en France. Rarement pris au sérieux, le rire fait pourtant l’objet de nombreuses études. Il est entré à l’hôpital et les clubs de rire fleurissent partout dans le monde ! Avec nos deux ambassadrices des zygomatiques, enquête sur le retour en fanfare du rire et des nez rouges, antidotes parfaits pour une époque avide de joie !
Les pionniers du rire médecin
Hippocrate (460-355 av. J.-C.) médecin grec du siècle de Périclès, père de la médecine moderne, prescrivait déjà à ses patients de rire pour guérir. De nos jours, c’est en 1964 que le journaliste américain Norman Cousins, atteint d’une maladie incurable, la spondylarthrite ankylosante, décide de se soigner « en riant ». Si la maladie pouvait être déclenchée par des pensées « négatives », il était possible d’inverser le processus par une approche « positive ». Sa méthode, fondée essentiellement sur le visionnage de films comiques et la consommation de vitamine C, entraîne des effets notables sur la douleur et l’amélioration de son état. Son livre,
Comment je me suis soigné par le rire , devient un best-seller et piquera la curiosité du monde scientifique. En 1980, le Dr Patch Adams va redorer le blason du rire, en l’utilisant comme thérapie pour soigner les enfants. Il décide de se promener vêtu en clown dans les couloirs de sa clinique et démontre que ses jeunes patients, plus détendus et joyeux, réagissent mieux aux traitements. Ces recherches ont inspiré des associations telles que Le Rire Médecin ou Les Clowns de l’Espoir, qui s’implantent peu à peu dans certains hôpitaux français. C’est seulement en 1995 qu’apparaît officiellement le premier club de rire, à Bombay, en Inde, sous la houlette d’un médecin, le Dr Madan Kataria. Sa technique, inspirée du yoga, consiste à provoquer le rire sans raison, afin que le corps sécrète des endorphines, générant un profond bien-être chez ceux qui le pratiquent. Depuis, les clubs de rire se sont multipliés ; on en dénombre aujourd’hui plus de 5 000 dans le monde.
Le cerveau cherche à mettre du sens partout, même là où il n’y en a pas.
La sagesse du corps
Comment expliquer les effets extraordinaires sur le corps de ces secousses incontrôlées ?
« Il faut faire confiance à la sagesse du corps qui a les mécanismes du rire inscrits en lui. L’existence même du rire prouve donc qu’il est nécessaire » , écrit le Dr Henri Rubinstein, spécialiste de l’exploration fonctionnelle du système nerveux, en introduction à son ouvrage
Psychosomatique du rire . Ainsi, le rire joue un rôle fondamental, au carrefour des manifestations musculaires, respiratoires, nerveuses et psychiques de l’individu. Véritable jogging intérieur, le rire agit sur le cœur, qui se met à battre aussi vite que lors d’un 100 mètres, tandis que les poumons rejettent d’énormes quantités d’air. D’après le spécialiste,
« quand on rit, on consomme presque deux litres d’air, ce qui entraîne une fonction d’oxygénation cérébrale importante » . Le corps cède ensuite irrésistiblement à une détente bienfaisante et régénératrice, suite à la production importante d’endorphines, les antidouleurs naturels du corps. En même temps, le rythme cardiaque ralentit, provoquant une dilatation des artères et une baisse de la tension artérielle, conférant ainsi au rire des vertus de prévention du risque cardiovasculaire. Des effets démontrés par le Dr Michael Miller de l’Université du Maryland, qui affirme qu’une bonne dose quotidienne de rire peut avoir des effets comparables à l’exercice physique pour le système cardiovasculaire en stimulant la circulation sanguine. Par ailleurs, « se taper une bonne tranche de rigolade » régulerait les fonctions vitales de l’organisme et agirait tant sur la digestion, en opérant un massage des intestins, que sur le sommeil. L’éminent Dr Rubinstein conclut :
« Le rire serait une des façons de récupérer le silence des organes, soit la santé. »
Une clé de notre équilibre psychique
« Nous sommes devenus tellement sérieux ! », déplore Corinne Cosseron. Les Français rient en moyenne seulement 4,6 fois par jour, une moyenne qui diminue avec l’âge. D’après une enquête, 28 % des personnes de 18 à 24 ans déclarent rire plus de 10 fois par jour, contre 15 % chez les plus de 65 ans (Source : AFP 28/02/2013). Or nos deux spécialistes considèrent le jeûne zygomatique dangereux pour l’équilibre psychique.
« Le rire est une porte de libération des émotions », affirme Corinne Cosseron. Lorsqu’elle pose la question à son groupe sur les bénéfices des séances de rire, les réponses la surprennent. «
Rire m’a permis d’exprimer ma colère. Avant, je gardais tout à l’intérieur » , expose Lucie.
« Rire m’a fait prendre conscience de la tristesse que je portais et qui m’empêchait de prendre du plaisir à vivre » , confie Marc. Cette pionnière pousse plus loin sa réflexion ; si le rire n’est pas une émotion, il va nous permettre de les manifester.
« J’ai pu entendre de puissants rires de joie, quand tout va bien, mais aussi parfois d’inconfort (rires gênés, rires nerveux) et de colère aussi (rires jaunes, grinçants ou sarcastiques). » En tenant compte des autres émotions, sans les refouler, mais en les traversant, le rire va permettre d’accéder à une joie authentique avec tous ses attributs, à savoir l’espièglerie, la légèreté et l’esprit de jeu.
Un graal qui demande toutefois un prérequis !
« Il faut avoir le courage de laisser tomber son investissement dans la plainte » , prévient Corinne Cosseron. Il ne s’agit nullement de faire comme si tout allait bien quand tout va mal, mais bien de faire le choix lucide et consenti de la joie de vivre et de cultiver volontairement les sentiments positifs. Inutile de nous voiler la face ; nous sommes devenus trop rigides dans nos sociétés modernes, avec une fâcheuse tendance répétitive à rationaliser à l’extrême, ou à nous donner de l’importance. Rire, en court-circuitant les bavardages de l’ego, va contribuer à enclencher un cercle vertueux stimulant notre créativité, bien précieuse pour résoudre nos problèmes.
« Rire permet aussi naturellement de se projeter dans le plaisir et, par rebond, de faire preuve de davantage de souplesse » , soutient Linda Leclerc. Ainsi, on peut apprendre à rire des petits tracas de la vie, comme une location de vacances désastreuse, une porte qui se claque alors que les clés sont à l’intérieur…
« Tout comme des événements plus “dramatiques” qui ne manquent pas de survenir dans la vie » , ajoute Corinne Cosseron.
Le rire va permettre d’accéder à une joie authentique avec tous ses attributs.
S’esclaffer, ça s’apprend
« Rire, lorsqu’on est déprimé, ou face à des passages difficiles, permet au contraire de prendre de la distance, d’en sortir » , a pu constater notre spécialiste dans ses ateliers. Comme en témoigne cette anecdote particulièrement touchante sur un stage animé par Steve Wilson, psychologue américain fondateur du
World Laugh Tour . Alors qu’il animait un groupe de théra pie pour des patients souffrant de cancer, le groupe d’à côté vient frapper à la porte. Attirés par les rires tonitruants, ils souhaitaient se joindre à eux.
« Plus on est de fous, plus on rit » , leur répond l’animateur. Lors des partages de clôture, il apprend que ce groupe se réunissait autour du deuil : chacun d’eux avait perdu un être cher. Cette parenthèse leur avait permis de reprendre leur souffle, pour affronter leur malheur.
« On ne rit pas parce que l’on est heureux, on est heureux parce que l’on rit » : tel est le postulat du fondateur du yoga du rire, le Dr Madan Kataria. Cette pratique ne nous transforme pas en optimiste béat, mais en personne consciente et résolue à ne pas attendre les occasions externes de rire.
« Nous apprenons à les créer nous-même, à trouver le rire en nous, et non pas à l’extérieur » , précise Linda Leclerc. En effet, une fois adulte, il est parfois difficile de s’esclaffer ; on s’imagine facilement avoir besoin d’un prétexte. Alors, comment s’y prendre ? Le yoga du rire préconise, par exemple, le rire blanc ou mécanique. À l’aide d’une respiration saccadée, qui va secouer le diaphragme, le corps va contacter un rire en cascade.
« Peu importe qu’il ne soit pas authentique, l’essentiel est de bénéficier de ses secousses, véritables antidotes contre le mal de vivre » , commente Linda Leclerc. D’autres exercices sont tout simplement « rigolos », comme pratiquer en cercle ou deux par deux, le rire de l’avion, du baragouin lent, de la dispute, des lunettes, etc.
« Nous ne masquons pas nos émotions, nous rions pour modifier volontairement et activement notre état d’esprit » , précise la spécialiste québécoise. À la longue, cette pratique se transforme en réflexe et au bout d’un moment, notre rire naturel jaillit plus facilement au quotidien. Se pratiquent aujourd’hui des séances originales de « rigologie » créées par Corinne Cosseron, qui associe des approches d’hygiène émotionnelle, de méditation et de psychologie positive. Son objectif :
« le rire comme accélérateur de relations humaines dans la joie ! »