Une spiritualité vivante
Eric Grange – Organisateur de voyages en conscience.
Lorsque quelqu’un demande conseil à Éric Grange sur le choix d’une destination, le fondateur d’Oasis Voyages l’incite plutôt à s’interroger sur l’expérience qui l’appelle. «
Quel est votre pays intérieur ? demande-t-il.
Qu’est- ce qui vous inspire ? » La beauté féérique du désert d’Atacama ? La ferveur grouillante des bords du Gange ? La préparation minutieuse des rituels des Balinais ? L’intransigeance des Aborigènes ? Le silence, la pierre, le désert, les traditions, la guérison ?
Aux commandes depuis 8 ans d’une agence qui fait voyager les gens « en conscience », Éric Grange fait aujourd’hui partir 1000 personnes par an. «
J’ai commencé à voyager pour m’émanciper de certains schémas relationnels et de pensée que je trouvais pesants », confie-t-il.
Il rejoint
Nouvelles Frontières en tant qu’accompagnateur, en marge de son métier d’informaticien. Puis sa route croise celle du développement personnel ; il se frotte à la PNL, au rebirth, aux constellations familiales, à la spiritualité baha’ie. Au contact du monde, il comprend que la spiritualité peut s’inscrire dans la vie, que l’ouverture de conscience passe aussi par le plaisir et la beauté : un coucher de soleil, une rencontre inattendue, un concert de mantras, la participation à un rituel en immersion dans la population... «
Pourquoi ne concevoir le développement personnel que sous forme de retraite ? s'interroge Éric Grange.
Comment en est-on arrivé à vivre la spiritualité comme une dissidence sociale ? À Bali, la spiritualité est partout, elle fait partie du système social. J’ai voulu plonger les participants de mes groupes dans cette expérience. » À Bali, ils sont invités à confectionner leurs propres offrandes, puis à revêtir la tenue traditionnelle et à se purifier dans les sources sacrées. «
Chaque symbole et chaque geste sont expliqués en amont, pour que le moment prenne tout son sens. Après cette journée, les gens sont transformés. »
Pour autant, l’entrepreneur ne veut pas qualifier ses voyages d’initiatiques. «
Qui peut dire qu’un voyage va l’être ? Nous créons un contexte favorable, mais les clés sont aussi entre les mains de chaque personne. » Au gré de ses séjours, aux 4 coins du monde, Éric Grange a lui-même vécu des expériences fortes. Dans l’obscurité du sphinx, en Égypte. Aux côtés du dalaï-lama, au Ladakh. Au cœur du monastère de Samyé, au Tibet, au moment où les moines se sont mis à chanter – «
On pleurait tous ! » Parfois, convient-il, «
les voyages sont complexes à monter, il faut explorer longtemps avant de trouver les bons guides, les bons guérisseurs, les bons lieux, les bons moments », ceux qui vont faire opérer la magie et nourrir les participants en corps, en cœur ou en esprit, «
mais j’observe la malice des synchronicités et comment la solution m’est finalement donnée. La planète est merveilleuse, variée. J’aimerais tant voyager plus encore, et revenir chaque fois grandi ! »
J’aimerais tellement voyager plus encore, et revenir chaque fois grandi !
La magie de chaque instant
Nawang Jinpa – Ex-ingénieure agronome, auteure d’un livre sur les terres sacrées du Lahaul.
Imaginez 1 millier de moines et de nonnes en robe carmin, sac à dos et chaussures de randonnée. Imaginez-les cheminer au fin fond de l’Himalaya, du Sikkim, de la vallée du Gange ou du Sri Lanka, à la suite d’une des plus hautes autorités du bouddhisme tibétain. Vous êtes sur le Pad Yatra, un pèlerinage pédestre ouvert aux monastiques comme aux laïcs, à l’initiative de Sa Sainteté le Gyalwang Drukpa. «
Dans le monde tibétain, c’est révolutionnaire ! , explique la nonne française Tsunma Nawang Jinpa.
Il est
traditionnellement impensable qu’un grand maître marche. Là, non seulement il marche pendant 1 mois, mais il porte son sac. Le voir faire est un exemple de courage et d’humilité. Parfois, on enchaîne de forts dénivelés. On est crevés mais lui avance avec la même fraîcheur, entonnant des mantras que tout le monde reprend. Il a des ampoules aux pieds, comme nous ! Mais il
est porté par des énergies cosmiques d’amour et de compassion. »
Un jour, ils ont eu à franchir un col enneigé. «
C’était très pénible. Un Occidental s’est mis à invectiver l’organisation. Mais le Pad Yatra n’est pas un simple trek : c’est une pratique spirituelle de purification. Lui résistait par la colère. Il faut s’abandonner, prendre soin de son esprit et s’en remettre à plus grand. Personnellement, je me dis à chaque pas que je ne marche pas pour moi, mais pour tous les êtres. »
Vivre un mois dans ces conditions, c’est aussi comprendre le sens de la relation, accepter que d’autres décident. «
On est obligé d’être dans l’instant présent. » Aller au rythme de ses pieds, marcher dans la nature, y manger, y dormir, c’est « vivre au ras de la terre, à égalité avec les animaux et les plantes », entrer avec respect en contact avec eux. «
Le dernier Pad Yatra est passé par la ville de Bodhgaya, au moment d’une fête de Bouddha, raconte Nawang Jinpa. Je me réjouissais de la célébrer avec Sa Sainteté, mais il a annoncé que le programme était de nettoyer la ville de ses plastiques. J’ai eu un quart de seconde de déception, mais au final, contribuer à améliorer ainsi le monde fut une expérience spirituelle forte. »
La force du Pad Yatra tient enfin à la charge des lieux traversés, aux vibrations laissées par ceux qui y ont atteint l’éveil, aux forces de la nature et aux présences subtiles qui la peuplent, ainsi qu’aux rituels effectués pour activer ses énergies. Peu à peu, un pont se crée entre soi et l’environnement, un processus d’unification se met à l’œuvre. «
Je me souviens d’un soir du côté de Rajgir », conclut Nawang Jinpa. 1 000 personnes assises par terre, écoutant l’enseignement du Gyalwang Drukpa. Des danses sacrées, un rituel sous les étoiles. «
J’entendais les chacals hurler, on aurait dit des rires. Je me disais que les divinités étaient là. Je ressentais la joie pure, simple et noble de vivre, ensemble, une journée sur la Terre. Selon certains, un Pad Yatra vaut plusieurs vies de pratique spirituelle. »
Je me dis à chaque pas que je ne marche pas pour moi, mais pour tous les êtres.
Le génie de l’humanité
Antoine Gigal – Égyptologue.
Ne vous fiez pas à son nom. Antoine Gigal est une femme. Égyptologue. Cherchant
depuis 20 ans à percer le mystère de cette civilisation. En marge des cercles académiques, mais pas sans rigueur. «
Mon père travaillait pour l’Unesco, dit-elle ;
une de ses missions était de juger de la valeur muséale des découvertes archéologiques. » Afrique noire, Amérique du Sud : son enfance est bercée par le voyage. Attirée par les textes anciens, portée par le sentiment que les traductions disponibles n’en perçaient pas tous les degrés de compréhension, elle étudie les langues orientales, s’inscrit en parallèle en archéologie. Elle apprend le chinois, le sanskrit, les hiéroglyphes. Mais le goût du terrain ne la quitte pas.
Direction l’Égypte, où elle se met à l’arabe et trouve un travail. «
Je n’avais alors aucun intérêt pour les pyramides, sourit-elle.
Je me suis d’abord passionnée
pour le vieux Caire et les écrits de grands scientifiques, géographes et historiens arabes du Moyen Âge. Ce qu’ils disaient des découvertes réalisées dans les
pyramides m’a interpellée. » Elle finit par se rendre à Gizeh. Étrange : le lieu lui semble familier. En bonne universitaire, elle entame des recherches, plonge dans les manuscrits, obtient des autorisations, descend dans les souterrains, s’imprègne,
s’interroge sur la topographie, fait appel à l’expertise d’ingénieurs et de géologues, écoute les traditions orales, jusqu’à obtenir une perception d’ensemble cohérente. «
Mon but est de comprendre la vérité profonde, explique-t-elle,
tout en écoutant les signes subtils. Il y a quelques semaines, je suis partie à la recherche d’un temple dont le nom revenait dans les textes que j’étudiais. J’ai fini par le localiser. Là, posé sur un palmier dénudé, un oiseau me regardait. On aurait dit Horus sur l’axe du monde. L’intangible rejoignait la réalité tangible. Je me suis dit que j’étais bien sur un centre important. »
De ses années de recherche, Antoine Gigal retient surtout l’extraordinaire savoir de la civilisation égyptienne, fondé sur une intelligence de la nature très supérieure à la nôtre. «
Ils avaient percé le secret des grands cycles. Ils savaient que des catastrophes reviennent ; et que l’homme doit veiller à ses comportements, en restant le plus proche possible du divin. » Elle estime ainsi que la grande pyramide était un rempart au déluge. «
Au départ, je n’accordais aucun crédit à cette hypothèse, précise-t-elle,
mais mes investigations l’ont accréditée. Pourquoi sinon bâtir un ouvrage doté de fermetures hermétiques et capable de résister à des pressions énormes ? À quoi servaient ses souterrains, sinon à préserver des savoirs et abriter des gens ? Par leur observation des astres, les Égyptiens s’étaient rendu compte que quelque chose commençait à clocher dans le ciel, qu’une catastrophe risquait de survenir. Leur perception du monde était plus holistique, plus en symbiose avec l’immensité de la terre et du ciel. »
Mon but est de comprendre la vérité profonde tout en écoutant les signes subtils.
Un lien primitif
Claude Arz – Explorateur de la France mystérieuse.
Il vous capte de son œil bleu, s’amuse à jouer
les ténébreux, puis se régale à égrainer le récit de ses aventures. «
La scène se passe du côté de Lignières, dans le Berry, raconte-t-il.
Le druide qui présidait aux cérémonies prétendait que l’église Saint-Denis-de-Condé avait été édifiée à l’endroit même où
l’assemblée des druides se réunissait chaque année,
il y a plus de 2 000 ans. Une partie de la matinée se
passa à examiner l’étrange décor de l’église, notamment un dessin où se mêlaient 5 lunes. Au crépuscule, des participants venus de toute l’Europe se mirent en cercle et invoquèrent les anciens dieux de la nature. Une danse rituelle a clos la cérémonie autour d’un grand feu. »
Tel est l’art de Claude Arz : conter les légendes et traditions mystérieuses de nos régions. Conter ceux qui les font vivre. Conter l’âme de la terre,
les forces célestes, l’énergie des pierres, la capacité de l’humain à franchir les portes de l’invisible et à réenchanter le monde... Sans chercher à théoriser : ce qui le motive, c’est l’expérience, le ressenti. «
Je suis un curieux, un néoromantique », dit-il. Un perceptif, aussi. «
Mon père était guérisseur, magnétiseur et radiesthésiste. Il m’a appris à ressentir la nature, à me recharger auprès des arbres, à communiquer avec eux. Depuis l’aube de l’humanité, certains lieux nous appellent. On y sent des vibrations, on a envie d’y retourner. Je me souviens avoir accompagné un groupe près de l’hôtier de Viviane, en forêt de Brocéliande. Au contact de cette pierre, les gens ressentaient des choses, ça leur faisait du bien. » Originaire du Finistère, Claude Arz aime les forêts, les montagnes boisées. En Bretagne, en Alsace, en Auvergne : «
Perchée à 1200 mètres dans la forêt de Sancy, la table des bergers, avec ses inscriptions gravées dans la pierre, est un site extraordinaire de pèlerinage et de rites. » illustre-t-il. A l’étranger, il cite les runes danoises, les lignes sacrées d’Islande…
«
Les peuples traditionnels avaient une profonde connaissance des énergies subtiles. Nous avons tous la capacité de les percevoir, mais nous l’avons perdue. Il faut la retrouver. C’est ce que j’essaie de transmettre dans mes livres », en inscrivant sa démarche dans un cycle plus vaste : «
La révolution industrielle a permis des avancées, mais elle a coupé l’homme de la terre. Depuis 40 ans, on réalise qu’on fait partie d’un écosystème. Redécouvrir notre lien aux forces de la nature, ressentir leurs bienfaits, peut favoriser l’émergence d’un nouveau monde, plus respectueux de la planète. L’idée n’est pas de revenir en arrière ; je suis optimiste sur l’aptitude des nouvelles technologies à soutenir cette ouverture de conscience. Mon engagement n’a rien de mièvre. Il faut être avec la nature. Sinon, on risque de le payer. On le paie déjà. »
Depuis l’aube de l’humanité, certains lieux nous appellent. On y sent des vibrations.