La médecine occidentale avait annoncé à Réjane Ereau qu'elle ne pourrait pas avoir d'enfants. Pourtant, 8 mois plus tard, elle était enceinte, naturellement. Dans « Un bébé, enfin ! », premier né de la collection « Ouvrez votre esprit ! » de l'INREES en partenariat avec les éditions Trédaniel, elle raconte son chemin vers la fertilité. Extrait de son escale en Inde, à la rencontre d'Amma.
Un reflet sur une mer d’argent. Le soleil qui se couche sur l’océan. Nous sommes le six janvier 2010, il est dix-huit heures sur la plage d’Amritapuri, l’ashram édifié par Amma sur sa terre natale. Une lagune, des palmiers… et un immense sentiment de sérénité.
Hier encore, pourtant, l’idée de me retrouver là ne me faisait ni chaud ni froid. « Puisque vous remontez vers Cochin, arrêtez-vous voir Amma », nous avait conseillé Sambhu, quelques jours avant notre départ.
Amma. « Mère » en hindi. Le nom donné à Mata Amritanandamayi, cette Indienne qui parcourt le monde pour prendre les gens dans ses bras. En l’espace de quarante ans, elle en a serré trente-cinq millions sur son cœur. A New York, Barcelone ou Paris, ils sont vingt mille à l’attendre à chacune de ses visites. So what ? Vu par le prisme des reportages télé, son charisme ne m’avait pas frappée, son initiative me semblait gentiment exotique. Maman Câlin, très peu pour moi.
« En Inde, elle bouscule les lignes », avait argumenté Sambhu. Par le simple fait d’être une femme, issue du peuple, « là où les leaders spirituels sont traditionnellement des hommes, de la plus haute caste des brahmanes ». En étreignant des filles comme des gars, sans se préoccuper de leur confession ni de leur origine, dans un pays où les lois de la bienséance interdisent le contact physique en public. En étant à la tête d’un empire caritatif, incluant des orphelinats, des écoles, des logements sociaux, des hôpitaux, ou encore des aides aux paysans ou aux femmes micro-entrepreneuses, qui se chiffre aujourd’hui en dizaines de millions d’euros.
J’avais dressé l’oreille. « En décembre 2004, lorsque le sud de l’Inde a été touché par le tsunami, Amma s’est mobilisée immédiatement ; le gouvernement, lui, a mis cinq jours pour annoncer son plan d’aide ! » avait continué Sambhu. Après avoir piloté les premiers secours, elle était allée personnellement réconforter les villageois, évaluer les besoins, donner des directives. Dès les premières heures, les locaux de son université avaient été aménagés pour accueillir les réfugiés. Des ambulances, des médecins et des infirmières de ses hôpitaux avaient été dépêchés dans les zones dévastées. Ses équipes avaient construit des abris, distribué des milliers de vivres et de vêtements, mis en place un soutien psychologique... « Amma incarne cette énergie féminine, instinctive et pragmatique, dont le monde a besoin, avait conclu Sambhu. Là où les politiciens tergiversent, où le système peine à être opérationnel, elle agit avec cohérence, rigueur et efficacité » – trois mots qui, en Inde, sonnent parfois comme un miracle.
Bref, nous voilà devant l’ashram.
Avec ses échoppes, ses temples, ses tours d’habitation, ses disciples vaquant à leurs occupations, Amritapuri a tout l’air d’un village affairé. La porte à peine franchie, mon regard bute sur un essaim d’Occidentaux agglutiné autour d’un stand pizza. Au secours, sortez-moi de là ! Une femme nous interpelle en français : « Vous venez d’arriver ? Filez au petit temple, Amma y donne son darshan . Posez vos sacs, je vous les garde. » Comment refuser ?
A l’intérieur, l’ambiance est au recueillement. Assis par terre, des dizaines de fidèles vêtus de blanc tendent vers elle un regard chargé d’une douce ferveur. A leurs côtés, une vingtaine de personnes attendent leur tour en silence. Aux quelques touristes de passage, s’ajoutent des familles indiennes venues parfois de loin pour que la gourou les embrasse, bénisse un enfant, prodigue un conseil, résolve comme par miracle une difficulté. Dans la file, la dignité et l’émotion sont perceptibles. Les gens avancent, Amma les enlace, leur susurre « mon fils chéri » ou « ma fille chérie » dans leur langue, puis leur glisse un bonbon et des cendres sacrées entre les doigts.
Elle est souffle de vie...
Une demi-heure plus tard, c’est à moi. Ma nationalité ? « French. » Pendant qu’elle m’étreint, son assistante cherche fébrilement dans son ordinateur la formule en français. La tête entre les seins d’Amma, j’attends. Elle aussi. Tout à coup, nous éclatons de rire ; peu importe les mots, l’essentiel n’est pas là ! Il est dans la sincérité du geste, la chaleur qu’il incarne, l’énergie qu’il transmet. Simple bon moment pour certains, l’expérience peut être bouleversante pour d’autres. Tant de gens aujourd’hui souffrent de ne plus être enlacés !
« Un ami m’avait parlé d’elle, me racontera des années plus tard une jeune russe. En voyant sa photo sur le web, j’ai su qu’il fallait que j’essaie de la croiser. Lorsque mon mari m’a offert un voyage en Inde, il a accepté que nous allions assister à l’un de ses darshans – sans attente particulière, juste par curiosité. Quand nous sommes arrivés, le lieu était noir de monde. Je me suis dit : “laisse tomber”. Plutôt que de me mettre dans la queue, je me suis adossée à un mur. De là, je l’ai regardée ; ça m’a fait un coup au cœur. Deux minutes plus tard, quelqu’un est venu m’aborder. “Vous n’avez jamais rencontré Amma ? Alors suivez-moi.” Nous avons remonté la foule jusqu’à l’estrade. Tout s’est passé très vite. Amma m’a prise dans ses bras. Par ce simple contact, j’ai compris que j’étais protégée, que la vie avait un sens, qu’il ne fallait pas que je m’inquiète ni que je perde courage, malgré les terribles épreuves que j’avais traversées. Depuis, j’essaie d’aller la voir à chacun de ses passages en Europe. C’est comme un appel. Pour moi, elle n’est pas qu’une rencontre physique ; c’est une connexion spirituelle. »
De mon côté, je comprends soudain qu’Amma n’est pas qu’une machine à câlin. Sous son apparente bonhommie, l’Indienne irradie de présence. Quand elle quitte le temple, elle émane d’une puissance. Enracinée, captant chaque regard, tendant la main vers celui qui se met en retrait… Amma n’est pas que douceur : elle est souffle de vie. Elle n’est pas qu’accueil et réconfort, elle est tempérament et énergie. Une mère, oui, au sens Pachamama du terme : solide, tellurique, qui porte le monde, le nourrit et lui impulse son élan.
Ma vision de la maternité en change radicalement.