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Les
âmes
du
temps
perdu

Découvrez le premier chapitre du roman de David Perroud, aux éditions Jouvence. Ariel, scientifique de haut vol, risque sa vie lors d’un pèlerinage vers un monastère caché dans les contreforts de l’Himalaya. Au même moment, Arold, historien de renom, tente de dater un artefact au nord de l’Antarctique. De l’archéologie à l’énergie quantique, en passant par les mémoires akashiques, l’auteur nous amène dans un univers inspirant...
Les âmes du temps perdu
Inspirations

Himalaya


Ariel se sent à bout de force.
On lui avait pourtant dit qu’atteindre le monastère de Norhunpo en plein hiver relevait de la pure folie. Aucun guide n’avait voulu l’accompagner, malgré une offre généreuse en dollars américains. Certains avaient tout de même dit vouloir essayer et avaient insisté pour être payés d’avance mais Ariel, loin d’être naïve, savait qu’ils auraient trouvé mille excuses pour abandonner à mi-chemin. « C’est insensé, jeune fille, lui avaient rétorqué les plus expérimentés, il faut attendre le printemps. » Cela aurait dû suffire à la convaincre mais elle n’était pas venue jusqu’au fin fond du Bhoutan pour poireauter des mois dans l’attente des beaux jours. Et le message était très clair : elle devait rejoindre le temple, sans délai.
Ariel est têtue.
Courageuse aussi.
Ces deux traits de personnalité lui coûteront-ils la vie ?
Épuisée, elle ne parvient plus à avancer dans cette neige fraîche qui l’engloutit jusqu’à la taille.

Tout allait bien jusqu’à l’avant-veille lorsqu’elle s’était levée dans l’un des plus beaux paysages qu’il lui ait été donné d’admirer. Le ciel bleu cristallin resplendissait, les sommets culminant à plus de 7 000 mètres se dressaient majestueusement devant elle en arc de cercle. Elle aurait presque pu les toucher. Une couche de neige fraîche scintillante recouvrait tout le décor, y compris sa tente. L’air était pur, glacial. Le silence total, comme si les bruits se noyaient dans cet épais manteau blanc. Ambiance féérique détrônant les meilleurs contes de Noël. Ariel s’était hâtée d’enfiler ses grosses chaussures pour aller soulager une envie pressante un peu plus loin. C’est au moment de sortir de sa tente igloo qu’elle avait compris dans quel bourbier elle était venue se fourrer. À peine hors de son abri, elle s’était enfoncée dans la neige jusqu’aux hanches. Il lui avait fallu cinq fois plus de temps que la veille pour atteindre son coin « toilettes » et un effort digne d’un court [sic] de fitness de haute intensité pour réussir à s’accroupir.
Marcher avec son paquetage s’était alors avéré au-dessus de ses forces ; elle avait renoncé au bout d’à peine trois kilomètres, remonté son bivouac et dormi douze heures d’affilée.

Il avait neigé à nouveau durant son sommeil, à tel point qu’au réveil, lorsqu’elle avait réussi péniblement à se hisser hors de son campement, seul le haut du dôme arrondi de sa tente dépassait d’une mer blanche immaculée. Ses traces de la veille relevaient déjà du souvenir, même aux endroits qu’elle avait pourtant abondamment piétinés. Le paysage était néanmoins d’une beauté et d’une quiétude à couper le souffle. Elle se donna le temps de bien réfléchir et, selon ses calculs, elle se trouvait à environ huit kilomètres du monastère. Elle arrivait au bout de ses vivres et poursuivre ainsi avec tout son matériel semblait voué à l’échec. Elle avait donc pris le risque de n'emporter que le strict minimum afin de pouvoir atteindre sa destination avant la nuit : ses habits les plus chauds, les trois barres de céréales qu’il lui restait, une gourde remplie à demi, un briquet et son petit réchaud à gaz presque vide pour faire fondre la neige en eau.
Au prix d’un effort surhumain, elle s’était approchée du temple, réduisant ainsi la distance au point de l’avoir largement atteint. Pourtant, à la nuit tombante, rien, aucun signe de vie, pas une trace de pas humain.

C’est donc là qu’Ariel s’écroule, désespérée dans une longue vallée déserte, totalement épuisée, le battement de son cœur dans ses oreilles pour unique compagnon. Elle décide de se bâtir un abri de fortune avec les maigres forces qui lui restent. Il n’y a rien dans ces longues plaines d’altitude qui puisse l’y aider. Seule option : creuser un trou dans la neige. Éreintée, elle parvient juste à faire une petite tranchée et à se protéger modestement du vent glacial. « C’est toujours ça », se dit-elle pour se donner un peu de courage.
Elle allume son réchaud et parvient à boire un peu d’eau tiède, ce qui la soulage temporairement. Pourtant, au bout d’une poignée de minutes, il s’éteint ; panne de gaz. Et le froid la gagne à nouveau. Intense, mordant, engloutissant son corps entier, ralentissant son flux sanguin. Ariel, intelligente, comprend la gravité de sa situation. Une profonde tristesse l’envahit. Vingt-huit ans, c’est tôt pour mourir.
Elle se sent soudain stupide et impuissante. La digue de courage qui a guidé ses pas jusqu’ici se rompt d’un coup, tel un ballon trop gonflé. Elle éclate en sanglots. Ironiquement, des larmes tièdes coulent jusqu’à ses joues avant de se refroidir et de rester figées, gelées sur son visage.
Au moment où des épines glaciales s’apprêtent à lui lacérer le cœur, une vague de feu les repousse. Soulagement in extremis, elle va mieux. Elle a même chaud, trop chaud. Elle se débarrasse de ses gants et de son bonnet, enlève sa grosse veste en plume et son pantalon d’expédition. Ce n’est pas assez, elle suffoque et continue de retirer les couches de vêtements comme on pèle un oignon. Puis elle s’allonge, le dos directement dans la neige, et s’observe ainsi nue, les tétons de ses petits seins pointant comme deux framboises sur une peau blanche marbrée de bleu. Ce contraste insolite revêt une beauté dramatique qui la fait rire, congédiant sa tristesse abyssale le temps d’une joie euphorique.
Elle se sent si légère, tout semble parfait. Le froid, le chaud n’existent plus. A-t-elle jamais goûté pareille quiétude ? Chose étrange, elle flotte à deux mètres du sol et voit son corps longiligne, étendu dans la neige, un bras sur son ventre, l’autre en arc de cercle autour de son visage aux mille taches de rousseur, les yeux clos, ses longs cheveux châtain clair en guise d’oreiller. Elle ressent une profonde empathie pour cette « guerrière » capable de défier les éléments les plus hostiles afin de poursuivre ses rêves.
Elle pense au monastère qu’elle doit absolument atteindre et prend immédiatement de l’altitude pour découvrir son toit de tuiles ocre et bordeaux à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau, dans la vallée parallèle. « Bravo ma belle, se dit-elle, tu y es presque, tu t’es juste trompée à la dernière croisée des chemins, pas étonnant vu ton état de fatigue. »


David Perroud, Les âmes du temps perdu, éd. Jouvence, 2021, p. 19 à 22.
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