L’effet placebo est entré dans le vocabulaire courant.
Mais il désigne souvent un leurre, une sorte d’illusion qui se passe « dans la tête »
du patient. Une manière de contourner le caractère inexpliqué et dérangeant du phénomène.
« C’est simplement un effet placebo » : voilà comment est souvent évacuée une réalité qui continue de déranger – l’esprit a un effet sur la matière de nos corps. L’effet placebo rend caduque la séparation conceptuelle entre corps et esprit instaurée par Descartes. Le comprimé « placebo » est certes un leurre, vide de substance active, pourtant son effet est mesurable et tangible. C’est cet effet mesurable du placebo qui sert de point de référence pour évaluer l’efficacité spécifique d’une molécule dans un médicament. Comment le comprendre ? Selon une étude publiée cette année dans
The Lancet, revue médicale britannique de référence, tout traitement comporte un effet placebo.
C’est la part de l’invisible dans le traitement. Elle repose sur une multiplicité de facteurs, depuis la capacité et la force de conviction du médecin, jusqu’à la présence ou l’absence de stress et d’optimisme du patient, en passant par la possibilité pour ce dernier de donner un sens à sa maladie, etc. Cette énumération masque en fait mal notre ignorance des mécanismes psychologiques en jeu.
Un phénomène mystérieux
Depuis une quinzaine d’années, le phénomène de l’effet placebo – et son contraire, l’effet nocebo – ont fait l’objet d’études nombreuses qui ont permis de préciser certains de ces mécanismes.
« On sait maintenant que quand on guérit d’un cancer à Lourdes, c’est probablement parce qu’on a fabriqué des interférons, multiplié les globules blancs, bref, qu’on a mis en place des systèmes immunitaires de lutte contre le cancer ; l’effet placebo peut aussi fonctionner en obligeant l’organisme à fabriquer des médicaments endogènes, naturels, des endo-somnifères par exemple », explique le psychiatre Patrick Lemoine, spécialiste du phénomène.
Parkinson, dépression, douleur, la liste des états et pathologies explorés ne cesse de s’allonger, mais bien des questions restent en suspens.
« On connaît les instruments de musique, mais on ignore qui est le chef d’orchestre », résume Patrick Lemoine. Pourquoi, lorsque j’ai mal aux dents et qu’on me donne un placebo, mon corps secrète-t-il des endo-antalgiques ? Comment expliquer que des facteurs aussi divers que l’administration d’un comprimé de sucre pris pour une substance active, une croyance, un espoir transmis d’un médecin à son patient, voire l’imposition des mains d’un guérisseur, mobilisent notre pharmacopée interne avec tant de précision et d’efficacité ?
C’est un cas mystérieux qui a initié la réflexion de Patrick Lemoine sur l’effet placebo il y a une trentaine d’années. Des confrères lui adressèrent une femme, paysanne, atteinte d’un ulcère à l’estomac qui se perforait, causant d’importants saignements. Tous les traitements ayant été essayés sans succès, les médecins allaient se résoudre à une ablation de l’estomac. Pris d’une inspiration subite, le médecin, à l’époque jeune interne en psychiatrie, dessina sur une feuille de papier un estomac et la tendit à la femme en lui demandant.
« À quoi ça vous fait penser ? » –
« On dirait une chaussette, docteur. » Il lui indiqua sur le dessin l’emplacement où se trouvait son ulcère et lui dit :
« Qu’est-ce que vous faites quand vous avez un trou dans votre chaussette ? » –
« Docteur, je mets dedans un œuf en bois et puis je la ravaude. » Patrick Lemoine énonça alors cette étrange prescription :
« Tous les jours, vous allez mentalement glisser un œuf en bois dans votre estomac chaussette et vous allez prendre un bon moment à le ravauder. »
« Une semaine plus tard, elle était guérie. Les chirurgiens n’en sont pas revenus. C’est vraiment une histoire qui m’émerveille », conclut le médecin. En thérapeutique, il a depuis développé cette approche.
« Si quelqu’un a un cancer, je lui dis bien sûr qu’il faut se faire soigner chirurgicalement. Mais je lui demande également comment il se représente son cancer. » Une femme atteinte d’un cancer du sein avec des métastases a l’impression d’avoir
« un homard dans le ventre », qui la pince. Comme elle est gourmande et bonne cuisinière, il lui conseille d’écrire mentalement une recette de homard chaque jour, puis de consacrer un bon moment à dévorer en esprit son homard cancer. Après plusieurs centaines de recettes,
« elle va très bien ; je ne dis pas que c’est moi, mais cette technique est un complément utile. »
La placebo-sensibilité est plutôt un signe de bon équilibre mental.
Mobiliser les capacités d’autoguérison
Selon lui, l’efficacité des guérisseurs pourrait s’expliquer par l’induction d’un très fort effet placebo, autrement dit une capacité puissante de déclencher chez le malade des mécanismes d’autoguérison. Cette hypothèse qui a le mérite de reconnaître l’efficacité du travail des guérisseurs n’explique certes pas « comment » ils peuvent aider dans les processus de guérison, mais constate la réalité de cette aide. À cet art de l’activation des mécanismes d’autoguérison, le guérisseur serait meilleur que le médecin qui lui, dominerait dans d’autres domaines, lorsqu’il s’agit, par exemple, de poser un diagnostic. Comme le souligne le neuropsychiatre David Servan-Schreiber :
« Un effet placebo qu’on contrôle, qui, à chaque fois qu’on l’utilise, guérit le patient, n’est plus un placebo, c’est un traitement ! »
« Il n’y a pas si longtemps que la médecine n’est plus un ramassis de charlatans. Du coup, elle est terrorisée à l’idée qu’on considère qu’elle fait de la magie et essaie d’avoir une position complètement matérialiste », analyse Patrick Lemoine. Certains praticiens considèrent encore que les individus sensibles au placebo sont plus faibles d’esprit que les autres. Or, c’est l’inverse,
« la placebo-sensibilité est plutôt un signe de bon équilibre mental », note le psychiatre. Autrement dit, plus l’esprit est fort – l’individu a confiance en lui, en l’autre, en la vie –, plus le corps lui répond. Cette réalité est aujourd’hui reconnue dans les laboratoires. Mais de vieilles croyances s’opposent à ce qu’on puisse en tirer toutes les conclusions. Une autre illustration du pouvoir de l’esprit !