De plus en plus confrontée à l’extraordinaire, comment la psychiatrie peut-elle répondre ? Serge Tribolet, psychiatre et docteur en philosophie, nous explique pourquoi la psychiatrie devrait envisager une étude approfondie des phénomènes surnaturels.
Art de vivre
Maria Orlova/Pexels
L’extension de la psychiatrie au registre du surnaturel est non seulement une exigence intellectuelle mais aussi une exigence éthique. Exigence intellectuelle parce qu’elle ouvre un champ de réflexion qui répond à de nombreuses questions portant sur la symptomatologie et plus encore, sur le sens de la folie ; exigence éthique parce qu’elle peut, dans nombre de cas, engager l’orientation thérapeutique. Mon propos porte sur ces deux exigences.
La psychiatrie devrait être la discipline idéale pour mener une étude cohérente et suivie des phénomènes surnaturels. Elle devrait permettre de rassembler ces phénomènes selon leurs divers aspects : les perceptions extra-sensorielles, les phénomènes divinatoires, les phénomènes langagiers (glossolalie…), l’influence de l’esprit sur la matière (effet placebo), les capacités amnésiques prodigieuses, les physiologies inexpliquées etc. Je dis « elle devrait être » parce que justement « elle n’est pas ». Trop engoncée dans ses réflexes positivistes, trop enraidie par les contraintes médico-légales, la psychiatrie ne s’autorise pas le dépassement du cadre exigu du rationalisme. Mais il ne s’agit pas pour autant de critiquer et même de rejeter la réflexion rationnelle. « Deux excès, dit Pascal, exclure la raison, n’admettre que la raison » (Pensée 214, Sellier). Je n’aime pas utiliser le terme « irrationnel » pour qualifier les phénomènes surnaturels. Ce terme cache le plus souvent une rationalité qui ne peut être appréhendée par nos concepts habituels parce qu’elle dépasse les limites dessinées par la science, limites spatio-temporelles. Il existe un savoir qui n'est pas « normé », pour cette raison il est qualifié de paranormal c'est-à-dire hors norme, hors sujet. Ce que la science ne peut atteindre, elle l'exclut du champ du possible et le qualifie de paranormal ou anormal. La folie est un autre exemple de l’anormalité. Folie et Paranormal ont une destinée commune; un même chef d’accusation; l’anormalité; une même sanction : l’exclusion.
Pour désigner les phénomènes qui n’entrent pas dans les catégories de la science, le mot surnaturel est intéressant parce qu’il indique le dépassement hors du domaine physique, hors de la réalité sensible. Ce mot a un poids ! Il n’est pas utilisé à la légère par les théologiens, les philosophes, les spécialistes de l’art. Dans le champ de la psychiatrie, nombre de phénomènes surnaturels peuvent être questionnés, même s’ils peuvent se manifester en dehors de pathologies strictement psychiatriques. D’ailleurs pour ces questions particulières il est très souvent difficile de définir le domaine de la pathologie. Freud disait : « entre le normal et le pathologique, la frontière est conventionnelle ; tout individu la franchit plusieurs fois par jour ». Les personnes qui ont vécu des phénomènes étranges de type surnaturel ont non seulement des difficultés à trouver les mots adéquats pour communiquer leurs sensations, mais elles hésitent souvent à témoigner de peur d’être affublées de quelque trouble psychiatrique. Cette réticence est justifiée au regard de la virulence des rationalistes et de la bêtise des obscurantistes. Tout se passe dans notre société comme si le débat sur le surnaturel était confisqué par les deux seuls camps totalement incompétents en la matière : rationalistes et obscurantistes. Le comble du dérisoire est qu’ils finissent par être les mêmes. Combien de scientifiques, au nom de la raison, bafouent les règles les plus élémentaires de la démarche scientifique : modestie et curiosité. Ils bornent leur champ d’investigation aux limites de ce qu’ils proclament eux-mêmes comme étant la raison. Au nom de la raison, ils annulent le savoir, ils le déconsidèrent. Ils sont les nouveaux obscurantistes. Pour sortir de cette impasse, il faut éviter toute argumentation stérile qui consisterait à traiter le surnaturel à l’aune de la science positiviste. Nous devons dans un même temps refuser les arguments qui rejettent le bien fondé de la science. Reconnaître les limites de la méthodologie et de l’objectivation scientifique, ce n’est pas disqualifier la science. De la même manière, reconnaître les limites de la pensée, ce n’est pas la disqualifier. Reconnaître les limites du langage, ce n’est pas nier son efficacité....
Serge Tribolet est psychiatre des Hôpitaux de Paris et docteur en philosophie. Parallèlement à son activité médicale, il est enseignant, conférencier et auteur de nombreux ouvrages spécialisés. ...
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