Personnage fascinant dont l’aura perdure encore cinquante après sa disparition, Blanche Rachel Mirra Alfassa, née en 1878, rebaptisée « la Mère » à l’ashram de Pondichéry, fut une pionnière. C’est elle qui entreprit à travers son propre corps la mutation de l’homme actuel à l’homme de la prochaine espèce, l’homme divin. C’est elle qui permit au rêve d’une ville idéale de s’incarner à travers Auroville. C’est elle enfin qui insuffla à des milliers de personnes l’énergie de vivre une vie nouvelle dotée de lumière et de conscience.

Parisienne, dotée de pouvoirs occultes durant la première partie de sa vie, elle y renonce pour se consacrer au service du Divin et à l’émergence d’une nouvelle conscience planétaire. À Pondichéry, en 1914, sa rencontre avec Sri Aurobindo marque le début d’un nouveau souffle spirituel, radical et lumineux. Car tous deux sont mus par une seule quête : trouver la clé de l’énigme du changement véritable, alors que l’humanité se trouve en pleine faillite morale et spirituelle. Telle une souris qui fait tourner inlassablement la roue de sa cage sans bouger d’un seul centimètre, l’homme semble pris au piège de son mental qui tourne en boucle et l’entraîne sur la voie de la destruction.

Pourtant, chaque crise contient une opportunité d’évolution. Dans la perspective de Sri Aurobindo et de Mère, l’être humain est aux portes d’un nouveau cycle. Les conditions extérieures, les conflits, les guerres, la misère sont à l’image de la vie intérieure déséquilibrée de l’être humain. L’œuvre de Sri Aurobindo et de Mère se situe dans cette transformation divine de l’être humain qui aboutira à un monde divin. Ils rejettent la voie de la destruction et de la mort qui entraîne une partie de l’humanité dans des conflits désormais à échelle mondiale. Ce changement de conscience passe par l’intégration du « supramental » ; il s’agit d’une conscience élargie, animée par la conscience du Divin. Mais l’Homme devra choisir d’aller vers un monde nouveau et cette décision lui appartient. Car il n’est ni plus ni moins question que de l’avenir de l’espèce humaine à travers une transformation intégrale de l’être humain. Au cœur : le Divin qui va devenir la clé de voûte du monde, la clé de l’être, du corps, de la pensée, de l’art.

Le Divin, clé de voûte de cette nouvelle conscience

En 1921, elle devient sa compagne spirituelle. Au contact de Mirra, Sri Aurobindo deviendra pour son entourage un guru, ce qui signifie « maître spirituel ». C’est lui qui l’appellera pour la première fois « Mère », en référence à l’énergie de mouvement et d’action, la fameuse Shakti qui sous-tend l’Univers dans la cosmologie hindoue. Ensemble, ils dessinent l’avenir évolutif de l’homme. Lorsque Sri Aurobindo disparaît en 1950, la Mère devient son héritière spirituelle. Dans une vision, en 1958, lui apparaît la descente du supramental (lire l’article sur Sri Aurobindo). À partir de cette date, elle consacre chaque jour de ses dernières années en Inde à la conquête de l’esprit et à la découverte du « mental cellulaire ». En effet, pour que la transformation divine soit effective, transformer jusqu’aux cellules du corps, qui portent les mémoires anciennes, comme les mémoires animales, est nécessaire. De cette expérimentation émergent de nouvelles compréhensions et de nouvelles lois. La matière, à travers le corps, mais aussi la Terre seront illuminées d’une nouvelle conscience : « C’est seulement le mauvais usage que l’on fait de la pensée et de son influence sur le corps qui lui enlève cette certitude de la Victoire. Alors, la première chose à faire, c’est de cultiver cette certitude au lieu de la détruire ; et avec elle, ce n’est plus un effort qui est nécessaire pour aspirer, c’est tout simplement un épanouissement, un déploiement de cette certitude intérieure de la Victoire. Le corps porte en lui-même le sens de sa divinité », explique-t-elle.

C’est son disciple Satprem qui recueille son témoignage chaque jour au sein des « Agendas », un document rare de près de 6 000 pages. Inlassablement, Mère cherche la vérité, grâce à une ouverture d’esprit très en avance sur son temps. Elle met en jeu son corps et son esprit, et se laisse traverser par des vibrations et des fréquences lumineuses dans le but de vitaliser et d’illuminer ses cellules. Cette voie est neuve et inexplorée, elle ne laisse aucune place aux préjugés, aux idées préconçues, aux opinions séduisantes et autres prisons mentales. Son chemin n’appartient plus à une logique et à un sens humains.

Conscience de soi, conscience du monde

Pourtant, à la lecture de son Agenda, on y découvre non seulement une vie intérieure et des expériences spirituelles intenses, mais aussi la description de grands événements mondiaux, notamment certains épisodes de la Guerre froide. Depuis sa jeunesse, Sri Aurobindo suivait attentivement l’évolution du monde, qui influait directement sur la situation de son pays, l’Inde, colonisée par l’Empire britannique. Cette conscience du monde s’inscrit au cœur de l’ashram de Pondichéry, qui est d’ailleurs le premier ashram non religieux de l’Inde.

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