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Experte dans la question du pouvoir, la psychologue et philosophe Ariane Bilheran est une spécialiste de ses dérives pathologiques : du harcèlement à la manipulation. Elle met en lumière ces mécanismes pervers à l’œuvre dans la profonde crise de civilisation que nous traversons.
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Sciences

Notre dossier est consacré aux croyances : comment se forgent-elles ?


Il faut d’abord définir ce qu’est une croyance : une croyance est une opinion que l’on peut se faire sur un sujet, et qui nous paraît vraie à un moment donné. La plupart du temps, elle est non vérifiable. La limite entre croyance et dogme, c’est qu’avec ce dernier, on est absolument certain que cette croyance est vraie et l’on n’accepte pas qu’elle soit remise en question ou que d’autres pensent autrement. Les croyances ne sont pas problématiques tant que l’on ne les érige pas en vérité absolue. Les limites sont là.


Par quel biais parvient-on à « implémenter » des idées, même fausses, qui à la longue peuvent devenir de vraies croyances dans l’esprit des gens ?


Par le prosélytisme : le fait de chercher à convaincre et d’imposer à tout prix sa propre croyance, même non vérifiée. Pour l’ancrer, il y a deux voies : convaincre et persuader. Convaincre passe par un discours (des arguments, une logique) visant à susciter l’adhésion. Mais attention aux faux raisonnements logiques ! Persuader s’adresse à la dimension affective : à l’émotion, aux sentiments. On joue sur la corde sensible de la peur, de la culpabilisation, de l’empathie... Or, la vérité ne peut se satisfaire du seul registre émotionnel.


Quel chemin emprunte la quête de vérité ?


La recherche de la vérité doit toujours se confronter à l’expérience vécue ; c’est-à-dire notre lien au réel. Guy Debord écrivait dans son essai La Société du spectacle : « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. » La vérité est relative dans cette société folle qui entretient la confusion. Si l’on prend la crise sanitaire dans laquelle nous nous enlisons, le refus du débat contradictoire et l’utilisation de multiples injonctions paradoxales (par ex. : on invoque notre sens des responsabilités mais on nous infantilise ; on traite une maladie qui présente des symptômes respiratoires en nous empêchant de respirer avec le masque obligatoire, etc.) font voler en éclat tout ce qui fonde les bases de la logique. Cela revient à casser les repères des individus, qui sont d’autant plus vulnérables.

Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux.


Cette confusion est aggravée, me semble-t-il, par le matraquage incessant d’informations qui « embrument » nos pensées...


Pour implanter une croyance, on va essentiellement recourir à des méthodes sectaires. Actuellement, on voit à l’œuvre des techniques de propagande et de lavage de cerveau qui sont fondées sur la répétition. La répétition est intéressante dans le processus d’apprentissage, mais lorsqu’il s’agit de matraquer tous les jours, en boucle, les mêmes informations anxiogènes et culpabilisantes, cela finit par nous « ronger ». Surtout, cette répétition restreint l’espace de pensée. Les phénomènes totalitaires adorent ça ! Pour conditionner les gens, on va recourir aux émotions : faire peur, provoquer de la terreur, susciter de l’empathie, de la compassion... Aristote disait que les émotions de peur et la pitié doivent être purgées (catharsis). Se mettre sous le joug de cette suggestion casse notre rapport lucide au monde. C’est pour ça que le théâtre des Grecs anciens avait une fonction cathartique qui venait libérer des passions et des émotions, afin d’être moins manipulables dans le champ de la politique. Dans notre civilisation de l’immédiateté, nous n’avons plus le droit d’avoir des pensées plurielles, d’en débattre, ni même d’évoluer dans sa pensée au fil du temps. Cette rigidité est de la folie !


On voit surgir un nouveau langage autour du coronavirus : pensez-vous que l’utilisation de ces néologismes relève de la manipulation ?


Le langage fait partie du patrimoine historique ; il fait le lien avec nos ancêtres. Changer le langage de la personne revient à la désorienter sur le plan mental. Selon Lacan, on reconnaît la folie aux néologismes ; le délire tient aussi à l’utilisation de mots qui n’existaient pas auparavant. Dans les néologismes qui ont surgi depuis le début de cette crise, on assiste à une évolution du langage, arrimée à une mécanisation du vivant (qui augure de la folie du transhumanisme). Cela se traduit par l’utilisation à tout-va d’un vocabulaire technique et mécanique (cf. les travaux de Klemperer, décrypteur de la langue totalitaire) : un virus pris en tenailles (ce qui ne veut rien dire), des mesures de freinage, etc. Pourquoi dire « en présentiel », « en distanciel », alors que l’on peut très bien dire « en présence », « à distance » ? La personne n’est plus traitée en sujet, elle est objectivée. Il faut également souligner que la manipulation à l’œuvre passe aussi par l’image, omniprésente dans notre civilisation. Or, l’image va directement au cerveau et peut effracter le psychisme sans filtre. Par un mécanisme archaïque de survie, le cerveau n’a pas le temps de trier l’information : il retient qu’il y a danger. Il se coupe donc de ses capacités de réflexion, d’élaboration, de créativité, d’imagination... Bref, on fait tout sauf nous responsabiliser !


(...)

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À
propos

auteur

  • Carine Anselme

    Journaliste
    Après avoir aiguisé son art journalistique en qualité de rédactrice en chef de divers magazines belges, Carine Anselme décide un jour de ne plus tremper sa plume que dans ce qui la touche au plus profond de son être et qu’elle rassemble sous le vocable « écologie humaine ». De « Psychologies magazine » (édition belge) à « Bioinfo », en passant par « Gael », « Nest » ou encore « Terre Sauvage », elle est devenue une journaliste incontournable sur tous les sujets qui touchent aux médecines altern ...
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Inexploré n°52

Éclairer ses croyances

dernière parution

En ces temps troublés, à quoi pouvons-nous nous raccrocher, si ce n’est à nos croyances ? Héritages, connaissances emmagasinées, références scientifiques ou bien spirituelles... elles ne dépendraient que de notre ouverture d’esprit.

Comment être sûrs que nos croyances ne nous influencent pas dans la mauvaise direction ? À qui se référer ? Le fait de croire modifie-t-il notre cerveau ? Que disent la science et la psychologie à ce propos ? Peut-on se libérer des croyances limitantes ? De quels outils disposons-nous pour cultiver notre discernement ?

Nos croyances sont à la fois le reflet de notre chemin intérieur et en résonance avec notre époque. Au-delà des illusions, la rédaction d’Inexploré nous emmène, des origines à aujourd’hui, à la rencontre de nous-mêmes, dans notre individualité et notre collectivité. Afin de voguer vers une conscience éclairée du monde et de la réalité...

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