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Spinoza
:
Vivre
libre
dans
un
monde
divin

Spinoza était un penseur révolutionnaire qui a rejoint les grandes sagesses de l’humanité telles l’hindouisme ou le bouddhisme, alors qu’il ne les connaissait pas. Pour lui, l’univers tout entier est divin et le bonheur consisterait à s’accorder avec notre nature la plus profonde.
Spinoza : Vivre libre dans un monde divin
Inspirations
« Il est assez fréquent qu’un philosophe finisse sa vie par un procès. Cependant, il est nettement plus rare qu’il la commence par une excommunication », note Gilles Deleuze, auteur de Spinoza, philosophie pratique. À l’âge de 23 ans, en juillet 1656, Spinoza est banni de la communauté juive d’Amsterdam. « Nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza » , déclare le conseil des anciens. Par la suite, un inconnu tentera de le poignarder. Le jeune homme était-il indiscipliné, voire hargneux ? Non, de l’avis de tous, Spinoza était un élève studieux au tempérament modéré et dont les prouesses intellectuelles auraient fait penser au grand rabbin qu’il avait peut-être trouvé son successeur.

Ce n’est pas le comportement de cet homme qui dérangeait. C’est la puissance de sa pensée. Sa lecture critique de la Bible, des religions et sa vision démocratique ont annoncé les révolutions politiques et sociales à venir. Son idée de Dieu comme étant la substance de toute chose, engendra la création du concept de « panthéisme », influença le romantisme, et ainsi, l’écologie. Sa conception de la liberté, comme prise de conscience de nos conditionnements, préfigura l’engouement pour l’existentialisme et la psychologie. Révolutionnaire presque malgré lui, par excès de lucidité pourrait-on dire, Spinoza est pourtant toujours resté bienveillant, maître de ses passions et prudent. Il fut aussi un grand philosophe du bonheur. « Il est avant tout un sage qui cherche à changer notre regard afin de nous rendre libres et heureux, comme il le fut lui-même », souligne Frédéric Lenoir auteur de Le miracle de Spinoza. Goethe, Nietzche, Marx, Flaubert, Freud, Bergson ou Einstein – pour ne citer qu’eux –, ont rendu hommage à la grandeur de sa pensée. Jugée hérétique au XVIIe siècle, n’est-elle pas encore audacieuse aujourd’hui ?

Le but de l’existence est de grandir en puissance dans un univers tout entier divin.


Une humble personne


Les ancêtres de Baruch de Spinoza sont des juifs « marranes » : convertis au catholicisme de force, ils pratiquaient le judaïsme en secret. Ayant fui l’Espagne, puis le Portugal devant les persécutions, ils s’installent aux Provinces-Unies des Pays-Bas. Baruch naît ainsi le 24 novembre 1632 dans une république florissante. Il est éduqué à la synagogue, mais est également marqué par l’enseignement d’un chrétien, Franciscus Van den Enden, qui prône la liberté d’expression, l’éducation pour tous et l’idéal démocratique. À la suite de son excommunication, à laquelle il répond en assumant calmement ses idées, Spinoza quitte son quartier, pour finalement s’installer à la campagne. Tenant à vivre de son travail de polisseur de verre pour lunettes, il refuse plusieurs aides financières, ainsi qu’un poste à l’université. Il ne se marie pas, mène une vie simple qu’il dédie à la philosophie et participe à des cercles de réflexion et il entretient de longues correspondances avec des penseurs de toute l’Europe. Ses idées étant décriées, il ne publie que deux ouvrages de son vivant. Son oeuvre majeure l’Éthique est imprimée post mortem et sans nom d’auteur. Elle est rapidement interdite par les autorités.


Des propos hérétiques


Spinoza parle et lit dix langues, dont l’hébreu, l’araméen, le grec et le latin. Outillé pour analyser les textes anciens, il commence par dénoncer la valeur historique et prophétique de certains passages de la Bible. Il souligne, par exemple, que l’Ancien Testament ne peut avoir été écrit par Moïse – ce qui sera attesté par la suite – et que la valeur « divine » de certaines déclarations est relative : les prophètes restent des êtres humains susceptibles de déformer les paroles de Dieu. Il convient donc pour lui, de remettre ces textes dans leur contexte, où ils ont joué un rôle politique. Ce que Spinoza dénonce sont les mécanismes de superstition et de manipulation sur lesquels il voit les religions se fonder. Le philosophe se déclare même surpris de constater que, parfois, les hommes « combattent pour leur servitude, comme s’il s’agissait de leur salut », écrit-il dans son Traité théologico-politique. « Spinoza critique avec la même force toutes les religions lorsqu’elles activent les passions tristes des individus, notamment la peur, pour mieux les asservir ; lorsqu’elles se détournent de leur unique vocation – favoriser le développement de la justice et de la charité par le biais de la foi – pour distiller la haine de l’autre et l’intolérance », résume Frédéric Lenoir.


Quel Dieu ?


Spinoza avance que les hommes, cherchant à expliquer le pourquoi des événements de leurs vies, ont imaginé un Dieu à figure humaine et extérieur au monde – monde qu’il a créé une bonne fois pour toutes et qu’il continue de réguler. « Pour Spinoza, un Dieu transcendant, créateur et organisateur du monde, un Dieu providentiel, est le fruit de l’appétit et de l’ignorance humaine », explique Chantal Jacquet, auteure de Spinoza ou la prudence. Ainsi, selon ce qu’il se passe dans le monde, les hommes pensent que Dieu enverrait des signes bénéfiques ou néfastes. Il conviendrait donc de lui obéir, mais aussi de l’amadouer, car il serait capable d’exaucer des prières ou de punir les mauvaises actions. Pour le philosophe, chaque homme « inventa des moyens divers de rendre un culte à Dieu, afin que Dieu l’aimât plus que tous les autres et mît la nature entière au service de son désir aveugle », écrit-il. À la suite de tel propos, Spinoza est accusé d’être athée.


« Dieu, c’est-à-dire la Nature »


Spinoza croyait en Dieu… mais une toute autre sorte de Dieu. Pour lui, Dieu n’est pas un personnage, c’est la substance même de l’univers, c’est la Nature. « Tout ce qui est, est en Dieu », déclare-t-il. Dieu est donc immanent. Il est présent en tout selon différents modes, et donc présent en l’homme, dont l’âme ne peut avoir « chuté » dans un monde qui serait juste matériel et vide de toute essence spirituelle. Au contraire, pour Spinoza, le but de l’existence est de grandir en puissance dans un univers tout entier divin. Aucune séparation n’est donc possible entre le corps et l’esprit, entre la matière et la conscience, aucune séparation entre l’homme et le reste du monde non plus. « L’homme n’est pas un empire dans un empire », indique Spinoza. L’homme ne peut bénéficier d’un statut à part dans la création. Ainsi, le philosophe réenchante l’univers, dans lequel tout possède un esprit. Mais autant dire que son « panthéisme » – qui rejoint pourtant les pensées orientales telles que l’hindouisme ou le bouddhisme –, est un ovni dans une tradition occidentale foncièrement dualiste. Frédéric Lenoir parle de « miracle ».

Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l’ordre harmonieux de ce qui existe, et non en un Dieu qui se préoccupe du sort et des actions des êtres humains. »
- Albert Einstein


La liberté d’être soi


Mais si tout est Dieu, y a-t-il un libre arbitre ? Avec beaucoup de subtilité, Spinoza explique qu’il n’y en a pas. Tout est déterminé par la nature divine. Cependant, plutôt que de concevoir la liberté comme la possibilité de tout faire à tout moment, Spinoza la voit comme la possibilité de connaître les lois naturelles et d’être en accord avec elle. Notre véritable liberté serait d’être profondément nous-mêmes, parce qu’à ce moment-là, nous ressentons de la joie. La joie, qui surgit lorsque notre être est dans une posture juste, lorsque notre être grandit en puissance, devient l’étalon du chemin spirituel. « Plus nous sommes dans cette adéquation fine de soi à soi et de soi au monde, plus nous persévérons dans notre être, comme le dit Spinoza, plus nous ressentons de la joie et grandissons en puissance », indique Bruno Giuliani, auteur de Le bonheur avec Spinoza. Et il est de la responsabilité de chacun de faire ce chemin. Là encore, Spinoza rejoint de nombreux courants de pensées orientales, mais pas uniquement. « Seule ta vérité te fera libre », annoncent les Évangiles (Jean, VIII, 32).

Spinoza pointe que les hommes pensent prendre des décisions libres alors qu’ils sont le jouet de forces inconscientes. Le bonheur consisterait alors à transformer par la raison nos idées inadéquates, nos affects passifs qui créent de la tristesse, afin d’accéder à des affects actifs qui mettent dans la joie. « Spinoza propose une voie de libération fondée sur une observation minutieuse de nous-mêmes. Il nous invite à un dépassement des religions par la sagesse philosophique, qui conduit à un amour rationnel de Dieu, source d’une véritable béatitude », expose Frédéric Lenoir. Le mal n’aurait donc pas de réalité en soi et résulterait d’un manque de connexion profonde. Spinoza a ainsi souvent été perçu comme le précurseur de la psychanalyse et des psychothérapies. « J’admets tout à fait ma dépendance à l’égard de la doctrine de Spinoza » , écrit Sigmund Freud en 1931. Robert Misrahi auteur de Le bonheur : essai sur la joie, montre que pour Spinoza, « l’itinéraire de la sagesse ne sera donc pas une ascension vers le ciel ou l’au-delà indicible, mais un approfondissement de l’existence elle-même ».


Une philosophie du bonheur


Finalement, Spinoza est à la recherche d’un bonheur profond et durable qui ne dépende pas des événements extérieurs. « Spinoza nous libère de l’ego, car il ne s’agit plus de satisfaire nos passions, mais de faire ce qui nous met dans une joie essentielle. Il en résulte que ce qui est bon pour nous est bon pour le monde », poursuit Bruno Giuliani. Alors, qui de la poule ou de l’oeuf ? En grandissant, nous faisons grandir le monde et comme le monde ne cesse de gagner en réalité, une créativité divine s’exprime à travers nous. Spinoza meurt heureux, en février 1677.

Une étrange similarité avec l'Advaïta-Vedanta


« Spinoza s’extrait du dualisme métaphysique traditionnel de l’Occident pour établir un monisme : Dieu et le monde ne sont qu’une seule et même réalité. Or c’est le coeur même du plus grand courant philosophique de la pensée indienne : l’Advaïta-Vedanta, la voie de la non-dualité. (…) Le chemin de la sagesse consiste à prendre conscience que chaque individu est une partie du Tout cosmique », Frédéric Lenoir dans Le miracle de Spinoza.


À
propos

auteur

  • Miriam Gablier

    Auteure et journaliste
    Titulaire d'un Master de philosophie, de diplômes de thérapie psycho-corporelle et d'homéopathie (Grande-Bretagne), Miriam Gablier s'intéresse particulièrement au potentiel humain et à l'intelligence du vivant. Ses enquêtes sur les thérapies, la psychologie, la philosophie, la spiritualité et les sciences du vivant, lui permettent notamment de traquer les données se rapportant à la notion de conscience et à la relation corps-esprit. Miriam Gablier est auteure de Les mystères de la conscience ...
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Être soi

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Appréhender nos émotions et la complexité de l’égo, trouver sa place dans le monde, s’ouvrir à notre multidimensionalité, traverser les épreuves et se reconstruire, parfois commencer un chemin spirituel… Tous ces questionnements qui élaborent le Soi semblent aujourd’hui incontournables. Et si nous cherchions tous à aller mieux pour que le monde s’améliore ?

Nous avons envisagé ce dossier avec Inexploré comme une gymnastique de haut vol, avec pour toile de fond le prisme vertigineux de cette nouvelle conscience, pour inspirer notre incarnation quotidienne dans notre monde évolutif. Un beau chemin pour nous aider à dévoiler la pierre des sages qui sommeille au fond de nous, et éclairer les jours qui arrivent d’éclats de joie, d’amour, de sérénité et de lucidité... Meilleurs vœux à toutes et à tous !

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