Cela fait trente ans que Maud Kristen pratique la voyance. Mue par un souci de transparence presque déroutant, animée d’une conscience éthique inaltérable, elle n’a eu de cesse d’exposer son activité au public, aux médias, aux scientifiques afin que chacun puisse venir s’y confronter. Ce que Maud Kristen aimerait, c’est que nous nous penchions davantage sur l’énorme chantier qu’est l’étude des phénomènes extrasensoriels. Pourrions-nous sans folklore ni fioriture, sans a priori ni rejet, sans déplacer le sujet vers des débats annexes, regarder l’extrasensorialité en face ? La voyante ne lâche pas le morceau. Si les résultats positifs des recherches en parapsychologie ne suffisent pas à faire que des recherches officielles soient lancées en France, si malgré les émissions télévisées, les livres, les conférences, un débat public mature n’est pas réellement mené, il reste peut-être un moyen : mettre en évidence le fait que nous sommes tous porteurs de ce potentiel et qu’il y a un véritable intérêt à y avoir recours. Maud Kristen crée alors une école. Les résultats qu’elle obtient sont surprenants.
Comment en êtes-vous arrivée à fonder l’École Maud Kristen ?
C’est l’aboutissement d’une longue réflexion sur notre difficulté à reconnaître la voyance comme un phénomène à étudier. Comme l’explique Bertrand Méheust, sociologue, historien et spécialiste de la parapsychologie, notre culture met en place des stratégies pour la déplacer. Nombreux sont ceux qui disent par exemple :
« J’y crois » , ou pas. Mais cela n’a rien à voir avec une croyance ! C’est comme dire :
« Je crois en l’eau qui bout. » Certains essaient ensuite de départager les voyants honnêtes des charlatans. Encore une fois, cela n’éclaire pas le fait en lui-même : comment les perceptions extrasensorielles sont-elles possibles ? On me dit aussi parfois que je fais du bien aux gens. Cependant, réduire ma pratique à un soutien psychologique empêche de regarder la réalité du phénomène en face. Et c’est sans parler de tous ceux qui inventent des constructions délirantes pour démontrer que je triche. On m’a parfois accusée d’avoir des écouteurs dans les dents !
Quelle position avez-vous alors adoptée ?
Après avoir essayé d’exposer le phénomène de manière brute à travers les médias et les expériences scientifiques – notamment à l’Institut métapsychique international (IMI) en France, à la Parapsychological Association à Chicago, au College of Parapsychology à Édimbourg –, et avoir été déçue du peu d’impact que cela a eu, j’ai pensé que montrer que la voyance est universelle et accessible à tous serait un moyen plus efficace de faire bouger les mentalités. J’ai planché sur les méthodes de parapsychologie et, étrange synchronicité, j’ai été contactée par M6 pour faire une émission sur la possibilité d’enseigner la voyance en quelques weekends. Le casting s’est fait dans la rue,
Les Initiés a été diffusée en 2005. Résultat : les participants ont accédé à des informations objectives surprenantes. Cela m’a donné envie d’aller plus loin. En 2008, j’ai proposé une formation d’un semestre à Bruxelles pour laquelle j’avais affiné mes exercices. Par exemple, je me mettais dans une pièce à part, je regardais une photo pour faire émetteur. Pendant ce temps-là, je demandais aux participants d’écrire ce qu’ils ressentaient. Ensuite, je les rejoignais et leur proposais quatre images : trois leurres et la cible. Là, j’ai eu un choc, plus encore que pendant l’émission de M6 ! Et ça m’a aidée à mieux comprendre la voyance, notamment le fait que c’est un phénomène subjectif.
Avez-vous un exemple ?
Une fois, j’ai proposé une photo de la bague de ma marraine à mes élèves en leur demandant de « voir » qui était la propriétaire de ce bijou. Elle était chef d’une entreprise de matériel électroménager à Nice. Elle était toujours bien habillée, et menait son affaire de main de maître. Durant l’exercice, elle a été perçue précisément par deux hommes. Le premier, un peu âgé, avait dû être communiste dans sa jeunesse. Il a décrit une femme autoritaire, rigide, peu sympathique. L’autre était un aristocrate. Il s’est exclamé :
« Mais qui est cette grosse bonne femme qui crie sur tout le monde au milieu de sa batterie de cuisine ? Elle est forte en voix et engoncée dans ses tailleurs. » Donc les deux avaient bien vu qui elle était mais le premier l’a perçue comme dominante, le deuxième comme étant un peu vulgaire. Leur prisme culturel a filtré leurs perceptions. Un autre participant a même dit :
« Elle est morte à Nice. » Quelle est la probabilité que ce fait ressorte à partir de la photo d’une bague anodine ? Certains ont vu ses problèmes de santé, ses cheveux roux. C’était bluffant.
Au fil de ces formations, vous avez donc affiné votre méthode ?
Ce que je propose maintenant est bien plus abouti. J’ai mené beaucoup d’expériences avec Bertrand Méheust – relatées dans son livre
Les Miracles de l’esprit, Qu’est-ce que les voyants peuvent nous apprendre ? –, durant lesquelles je me suis rendu compte que je décris ce que je « vois » comme je décris un souvenir. Étrangement, la voyance fonctionne comme la mémoire. Vous voyez des images, ressentez des émotions, et en arrière-plan, il se passe quelque chose qui est encore flou mais qui peut se clarifier si vous y prêtez attention, comme si vous vous en souveniez. Aussi, tout comme la mémoire, la voyance est sélective, vous ne voyez pas tout. Par exemple, vous vous souvenez des temps forts de vos vacances, mais pas des numéros de siège que vous occupiez dans l’avion. Et plus votre vocabulaire mémoriel est riche, plus vous savez comment y avoir accès, plus il sera facile de percevoir une foule de détails, puisque c’est le contenu de votre mémoire qui va composer ce qui est perçu par votre sixième sens.
Vous ne faites jamais mention d’éventuels « esprits » ou autres formes de conscience désincarnées.
Nous n’avons pas besoin d’êtres de lumière pour expliquer les perceptions extrasensorielles. Ce qui ne veut pas dire qu’à titre personnel, je n’aie pas une connexion avec une intelligence particulière qui me donne des informations. Simplement, je fais bien la différence. Qu’il y ait d’autres plans de conscience, c’est une chose, mais qu’ils soient nécessaires à l’apparition du sixième sens, certainement pas ! Surtout, cela peut – encore une fois – évacuer le problème. D’un seul coup, il n’est plus question du mécanisme même de la voyance, mais de la nature de l’entité contactée. Cela peut aussi engendrer une déresponsabilisation. La personne peut être tentée de se décharger sur l’entité puisque ce ne serait plus elle qui parle.
Avez-vous découvert d’autres facteurs favorisant les perceptions extrasensorielles ?
Il faut oublier les limites de son ego. Pour pouvoir se projeter sur ce que X ou Y est en train de faire à 10 000 kilomètres, il faut faire l’expérience d’une sorte de « reliance » universelle. Nous sommes des individus avec une histoire et des limites personnelles. Cependant, il y a aussi une part de nous qui est plus vaste qui peut sortir de ça. Et c’est avec cette part-là qu’il faut travailler. J’ai élaboré un programme pour que mes élèves apprennent à devenir « un autre ». Je leur demande notamment de devenir des animaux spécifiques. Certains ont été si bouleversés que cela a modifié irrémédiablement leur regard sur le monde vivant !
Le 6e sens, est une faculté intelligente qui nous indique où porter notre attention.
Ensuite, vous utilisez vos protocoles de parapsychologie ?
Oui. Je fais travailler les participants sur des photographies de lieux, de personnes, sur la précognition. Je leur demande par exemple de se concentrer sur le film que je serai en train de regarder à un moment déterminé dans le futur – en sachant que je ne sais pas de quel film il s’agit puisqu’il sera tiré au sort par la suite. Ensuite, le jour et l’heure dits, je regarde le film et je compare avec les descriptions données auparavant. Certains font des séances qui valent les démonstrations que j’ai faites à la télévision ! Et les informations captées par les participants portent sur la cible en tant que telle, mais aussi sur l’état psychologique des personnes choisies ou sur l’atmosphère à ce moment-là. Une fois où mon compagnon était la cible – et au-delà de la précision des détails qui ont été donnés sur ce qu’il faisait et le lieu où il était –, une participante a demandé :
« Quelle est cette histoire de police et de voiture ? Pourquoi cet homme est-il si en colère à cause d’une voiture ? » Mon compagnon a en effet eu des problèmes de voiture. En France avec un garagiste, puis en arrivant en Uruguay – où nous vivons maintenant –, puisqu’il ne connaissait pas encore le code de la route du pays. Cela correspond donc à un vécu très précis !
Donc nous pouvons percevoir des faits objectifs, mais aussi subjectifs ?
Les élèves accèdent souvent à des éléments plus importants que ce que demande l’exercice. Vous avez même parfois des informations incroyablement pertinentes, sauf celle demandée par le protocole ! Comme si le sixième sens était une faculté intelligente qui indique où porter notre attention. Une élève a raconté comment elle s’est réveillée au milieu de la nuit, avec la forte impression qu’il fallait qu’elle aille dans le box d’un de ses chevaux. Il venait en effet de se faire piquer par une bête, son antérieur gauche avait doublé de volume. Le vétérinaire a confirmé que s’il n’était pas intervenu aussitôt, la situation aurait été très dommageable pour le cheval. La voyance donne accès à des ressources précieuses ! Je pense qu’il faut rétablir cet outil dans le champ collectif – outil qui permet aussi d’étudier les mécanismes de la conscience. C’est une recherche philosophique et scientifique majeure !
Bio express
Maud Kristen est voyante et sujet psi. Largement médiatisée depuis son passage dans Les Dossiers de l’écran en 1987, elle se prête également à des expériences parapsychologiques, comme dans le documentaire Le Sixième Sens, Science et paranormal de Marie-Monique Robin.
Auteure de sept ouvrages, dont Fille des étoiles , elle a cofondé Delta blanc , une association qui a établi un code éthique pour les arts divinatoires. En 2016, elle a ouvert l’École Maud Kristen.