Qu’il s’agisse de retrouver des personnes disparues (environ 40 000 par an en France, d’après le ministère de l’Intérieur) ou de résoudre des affaires criminelles, les institutions comme la police et la gendarmerie, les cabinets d’avocats privés ou des associations de victimes peuvent collaborer ponctuellement avec des médiums ou radiesthésistes. Parfois, ce peut être aussi des services d’espionnage ou de contre-espionnage qui font appel à des personnes « sensibles » utilisant leurs facultés intuitives.
Outre-Atlantique, les autorités sont plus habituées à traiter avec de tels profils. Les
psychic detectives ont le vent en poupe sur les plateaux télé, à l’image de Nancy Myer qui aurait résolu 90 % des 700 enquêtes sur lesquelles elle a travaillé. La série
Medium (2005-2011), dans laquelle le personnage interprété par Patricia Arquette vit des flashs lui révélant les auteurs des crimes les plus atroces, a également servi à populariser le sujet. En 2006, une émission de téléréalité
Sensing Murder voit même le jour : en communiquant avec les victimes décédées, trois médiums sont invités à fournir des preuves utiles pour résoudre de célèbres cas de meurtre. En France, le phénomène reste plus discret, bien que présent. Notre pays semble présenter un profil plus cartésien de policiers, moins enclins à ce genre d’expériences.
L’outil, en radiesthésie, est considéré comme essentiel.
Des relations historiques avec les radiesthésistes
Pourtant, la presse du XX
e siècle regorgeait d’histoires alliant affaires criminelles, médiums et radiesthésistes. Dans l’hebdomadaire de faits divers
Détective, le 2 mai 1935, est relatée l’intervention de l’abbé Mermet (1866-1937), célèbre radiesthésiste, dans plusieurs histoires de disparition, dont celle de l’expédition Nobile au pôle Nord en 1928. L’abbé ne s’était pas trompé en désignant pas moins de cinq endroits où se trouvaient des humains, morts ou vivants. Quand le journaliste Roger Frey interroge Armand Viré, docteur ès sciences, président de la société internationale des Amis de la radiesthésie, sur l’application de cette dernière aux affaires criminelles, il prend la question au sérieux : «
Le domaine de la radiesthésie est infini ; et nul, parmi les plus grands savants d’entre nous, ne peut se vanter d’en connaître les limites. » La radiesthésie était considérée à l’époque comme une science naissante pouvant apporter des résultats. Presque un siècle plus tard, elle se révèle être un outil de recherche efficace. Sans pour autant bénéficier d’une reconnaissance officielle, elle continue à être usitée dans des affaires de personnes disparues, à l’initiative des autorités ou des familles qui voient en elle l’ultime recours. Le père Jean-François Gaillard témoigne qu’un objet ayant appartenu à la personne disparue peut être utile à la connexion : «
J’ai été réquisitionné par les gendarmes pendant deux jours, payés par mon travail, pour rechercher un skieur d’une famille connue dans les Pyrénées, en compagnie d’un radiesthésiste auprès de qui je me formais. Sa chaussette nous a servi d’antenne pour indiquer l’endroit où il était tombé. Son corps y a été retrouvé lors du dégel. »
L’un des plus grands représentants contemporains de la radiesthésie en France fut sans nul doute Jean-Louis Crozier, surnommé « le radar humain », qui affichait sur sa carte de visite «
282 disparus, morts ou vifs, sur 1 284 sollicitations ». À sa mort, en 2008, ces chiffres avaient encore augmenté. Il a épaulé la gendarmerie et les pompiers pendant plus de quarante ans, guidé par son pendule, depuis son bureau situé à Aubenas, en Ardèche. Il travaillait à partir d’une photo récente de la personne disparue, de son prénom, de son adresse et de l’endroit où elle avait été vue pour la dernière fois. Comme tout radiesthésiste, la première question à laquelle il tentait de répondre était : la personne disparue est-elle vivante ou morte ? Aujourd’hui, sa fille Stéphanie a pris la relève en décidant de se consacrer surtout à retrouver les vivants, ce qu’elle détermine dès qu’elle se met en connexion. Cette passion pour la radiesthésie est une histoire de famille qui s’est transmise de père en fils puis en fille, depuis l’arrière-grand-père. Pour Jean-Louis Crozier, la condition pour être un bon radiesthésiste était avant tout d’aimer les autres et de vouloir les aider.
Comment fonctionne la radiesthésie
Pour l’abbé Bouly (1865-1958), radiesthésiste émérite qui a prêté plusieurs fois assistance à la police, la radiesthésie est un procédé de
détection qui repose sur la sensibilité aux radiations de certaines personnes. Grâce à cette croyance, il serait possible de localiser des sources, de retrouver un objet perdu, une personne disparue ou encore d’obtenir des réponses concernant la santé. Ainsi, il faut distinguer deux écoles de radiesthésie, celle des physiciens et celles des mentalistes. La première est une « radiesthésie physique » qui se pratique sur les lieux : elle consiste à utiliser un support tel qu’une baguette ou un pendule dont la forme et la matière (pierre,
métal ou bois) créent une vibration spécifique. L’outil est dans ce cas considéré comme essentiel, possédant les capacités intrinsèques à la réussite de la détection. La seconde se pratique à distance, via, par exemple, une carte de l’état-major : il s’agit de « radiesthésie mentale ». Celle-ci est davantage orientée vers les capacités du praticien, indépendamment de la nature de l’outil. Ainsi, quand certains identifient plutôt la radiesthésie comme une technique faisant appel au bon sens, d’autres pensent qu’elle relève d’un
don. Le débat reste à ce jour ouvert. Toujours est-il qu’elle nécessite une hypersensibilité, une réceptivité déclenchée par l’intuition, donc des facultés psychiques bien particulières.
Médiums ou voyants ?
Bien que fonctionnant différemment, la plupart du temps sans support, la médiumnité correspond au sens large à la capacité de percevoir le monde spirituel (aura, défunts, etc.). Dans un sens plus restreint, le médium a la capacité d’entrer en communication avec un esprit et de lui servir d’interprète, selon la codification spirite vieille de 150 ans d’Allan Kardec (cf.
Le livre des esprits, 1867). Il peut ainsi se mettre en contact avec une âme pour localiser une personne disparue, donner des informations sur une personne décédée, mais plus difficilement pour identifier et localiser son assassin, comme le démontre l’expérience de l’assassinat de Monsieur Poinsot (voir encadré). En général, il passe par un intermédiaire, un guide spirituel, même s’il est compliqué d’avoir des certitudes dans ce domaine. En tout cas, «
le médium attirera et se mettra en contact avec des esprits qui correspondent à son évolution morale, selon la loi d’affinités », affirme Richard Buono, président de l’Union spirite française et francophone, qui tient à souligner la différence entre médium et voyant : «
La voyance est d’ordre divinatoire, le médium clairvoyant voit les esprits. » Parmi ceux qui collaborent avec la police, il y a les deux, médium et voyant, sachant que l’un comme l’autre sont loin d’être à 100 % fiables.
Au cours de cette enquête, même si certains services de police et de gendarmerie nous ont répondu être régulièrement sollicités par des médiums, voyants ou radiesthésistes, aucun ne nous a dit travailler avec eux, ne niant pas la réalité du phénomène, mais prétextant ne pas y avoir recours. Chez les médiums, en revanche, beaucoup ont revendiqué une collaboration avec les forces de l’ordre. Certains ou certaines l’ont même relaté dans un ou plusieurs livres, à l’image de Geneviève Delpech qui a travaillé avec Karl Zéro sur des enquêtes de crimes non élucidés. La plupart du temps, le journaliste se contente d’envoyer une photographie à la médium qui lui rapporte ses ressentis et visions. Et les informations communiquées permettraient, d’après ce qui est évoqué dans leur livre
Le médium et l’enquêteur face aux grandes affaires criminelles (First éditions, 2021), de résoudre certaines affaires. Noreen Renier, aux États-Unis, relate également dans un livre
(1) avoir aidé le FBI (
Federal Bureau of Investigation) sur plus de 400 enquêtes criminelles. Un autre médium rencontré à Nice, qui ne souhaite pas dévoiler son nom, confie lui aussi travailler régulièrement avec les autorités et une journaliste sur des affaires criminelles, mais « en souterrain ». Ancien militaire de carrière, exerçant aujourd’hui un autre métier que nous tairons, ses capacités médiumniques se sont imposées à lui tout d’abord par l’écriture automatique. Il s’interroge sur son rôle : «
Pourquoi m’a-t-on donné cette faculté ? Pourquoi suis-je toujours confronté à des morts violentes d’adolescents et d’enfants (affaires Leprince, Magali Part, Marine Boisseranc, Fiona, etc.) ? Pour aider les familles et les victimes, je suppose... » Le plus important est de faire cela gratuitement, précise-t-il encore. Ce qui fait l’unanimité chez tous les médiums rencontrés.
Carine Wyss exerce en tant que médium et géobiologue en Suisse. La première fois qu’elle a travaillé sur une affaire, c’est la fille de la personne disparue qui l’a sollicitée. Contre toute attente, la police avait transmis à cette dernière ses coordonnées. Toutes les informations canalisées par la médium ont été communiquées aux enquêteurs, les aidant ainsi à retrouver le corps dans l’eau d’un fleuve, exactement à l’endroit pressenti. Puis la police judiciaire s’est tournée vers elle pour d’autres dossiers, trois en tout. Carine Wyss remarque une ouverture aux phénomènes psi de la part des autorités suisses. Parmi sa clientèle, elle compte d’ailleurs des policiers, des avocats... Ce n’est peut-être pas un hasard si d’anciens enquêteurs de terrain, à force de travailler leur intuition, finissent par développer aussi des capacités psychiques et, pour certains, devenir médiums. C’est le cas de Virginie Lefebvre, ancienne policière municipale au Havre. À l’époque où elle exerçait, elle se pensait « chanceuse ». Ses collègues étaient « bluffés » par son intuition qui la conduisait vers des éléments utiles pour retrouver, par exemple, l’auteur d’un délit de fuite, un voleur à l’étalage, des scooters volés. «
Inconsciemment, grâce à mon ancien métier, j’ai travaillé mon intuition, même si je n’osais pas parler de médiumnité à l’époque parce que j’avais peur du regard de mes collègues », nous confie-t-elle. Elle regrette que la médiumnité ne soit pas davantage reconnue au sein des services de police, par qui elle est aujourd’hui sollicitée, mais de manière officieuse ou par un intermédiaire, comme la famille de la victime ou une association. «
Dans de nombreux cas d’accidents ou de crimes, la médiumnité va pouvoir aider à apporter la pièce manquante, utile à l’aboutissement de l’enquête », précise-t-elle dans son livre
Les secrets de l’âme (éd. Michel Lafon).
Les limites
Faire appel à des capacités psychiques hors norme peut poser un double problème aux autorités. Tout d’abord, il s’agit de s’assurer que la personne qui est porteuse d’informations est saine d’esprit, psychologiquement stable. «
Or, les médiums et les voyants ont souvent un psychisme fragile, ce qui n’encourage pas les autorités à les solliciter », fait remarquer Gérard Berrier, qui a travaillé trente ans à la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). D’autant plus qu’il y a eu des exemples d’erreurs tristement célèbres, comme celui de Didier Derlich. Répondant, en direct sur RTL
(2), à un appel angoissé d’une mère dont le fils Loïc a disparu, il dit : «
Je suis convaincu que votre fils est vivant. Je suis convaincu que votre fils, vous le reverrez... » L’après-midi même de l’émission, le petit garçon est retrouvé noyé dans la Dordogne. Évidemment, lors d’une connexion avec un esprit, les risques de parasitage par d’autres entités existent, ce qui n’aide pas à recueillir une information fiable. «
Un bon médium doit savoir discerner à quel type d’esprit il a affaire. Or, certains ne contrôlent rien, se font assaillir par des entités pendant la nuit... Je ne compte plus le nombre de médiums qui ont fini en psychiatrie, par manque de connaissance et d’entraînement », souligne Richard Buono. Par ailleurs, user de ses capacités psi peut poser un problème d’éthique et de conscience. Ainsi, l’un des médiums rencontrés, sous couvert d’anonymat, s’interroge sur sa responsabilité à intervenir dans telle ou telle affaire : «
Ai-je le droit d’utiliser mes capacités pour retrouver un être disparu et intervenir dans le cours des choses ? Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Qui peut le dire ? »
À cela, Richard Buono répond que ce n’est pas au médium de décider : il n’est qu’un instrument. «
Il y a ce qui lui est permis et ce qui ne le lui est pas, en fonction des lois de causalité et du libre arbitre. » La révélation d’une information engendre en effet des conséquences sur le libre arbitre de chacun. Le médium Pierre Yonas qui a travaillé en collaboration avec les autorités à plusieurs reprises précise : «
Le médium n’est ni juge ni bourreau, il est tel un scribe qui va retranscrire des informations brutes. À partir du moment où il reçoit un message de la part d’un esprit, c’est que ce dernier sait que les personnes réceptrices peuvent l’entendre. » Les esprits disposent de leur libre arbitre pour transmettre ou non une information. Tout comme les familles et les enquêteurs disposent du leur pour prendre en compte ou non les messages transmis par le médium. Enfin, l’auteur présumé du crime, s’il y a, dispose, lui aussi, de son libre arbitre pour accepter de se dénoncer ou pas. C’est d’ailleurs sans doute en raison de la loi du libre arbitre que plusieurs études visant à déterminer la performance des médiums dans des enquêtes ont été particulièrement décevantes. Citons celle de Reiser, Ludwig, Saxe & Wagner, en 1979
(3), impliquant douze médiums qui se sont vu remettre plusieurs enveloppes scellées contenant des preuves physiques de quatre crimes. Alors que 21 faits clés étaient vrais pour le premier crime, les médiums n’en ont identifié qu’une moyenne de quatre. De même, sur les 33 faits connus concernant le deuxième crime, les médiums ont correctement identifié une moyenne de 1,8 seulement. Cette étude a été très médiatisée pour démontrer qu’un médium n’obtient pas plus de résultats qu’une personne sans don, voire qu’une enquête rationnelle serait parfois plus fiable. Mais surtout, elle montre que les esprits, usant de leur libre arbitre, ne sont pas toujours disposés à répondre !
Utiliser les capacités psi de certaines personnes n’est donc pas anodin. Les forces de l’ordre n’hésitent cependant pas à les solliciter lorsqu’ils sont dans une impasse et, au bout du compte, si chacun agit en conscience, cela peut s’avérer utile. Le tout est de rester prudent et de conserver la distance raisonnable nécessaire pour ne considérer ce recours que comme un outil parmi d’autres.
L’assassinat de Monsieur Poinsot
Le monde de l’invisible est extrêmement structuré et régi par des lois, dont celle du libre arbitre. « S’il suffisait de faire appel à un médium pour trouver un assassin, cela se saurait », souligne Richard Buono, président de l’Union spirite française et francophone, avant de raconter un cas d’école, l’assassinat de Monsieur Poinsot, président de chambre à la Cour de Paris. Ce crime a eu lieu le 6 décembre 1860 dans un wagon de première classe reliant Mulhouse à Paris : l’homme a reçu trois coups de feu tirés à bout portant. Alors qu’une enquête était en cours, les spirites ont tenté, lors d’une séance, de prendre contact avec l’âme de ce monsieur décédé. Un autre esprit leur aurait répondu : « Monsieur Poinsot ne peut répondre à votre appel ; il ne s’est encore communiqué à personne : Dieu le lui défend pour le moment [...] » À la question « pourquoi », il répond : « Parce que des révélations de ce genre influenceraient la conscience des juges qui doivent agir en toute liberté. » Cette histoire montre que ce sont aux hommes de mener leur enquête pour découvrir la vérité. Et le 15 octobre 1861, la cour d’assises de la Seine condamna à la peine de mort un dénommé Jud qui n’en était pas à son coup d’essai. Il ne faut pas oublier que les spirites croient en la survivance de l’âme et en la réincarnation. C’est ainsi que, toujours interrogé sur cette même affaire, l’esprit répond encore : « L’innocent condamné injustement par les hommes aura sa réhabilitation. Cette condamnation, d’ailleurs, peut être une épreuve utile à son avancement : mais quelquefois elle peut être la juste punition d’un crime auquel il aura échappé dans une autre existence. »
(1)
Médium : enquêtrice pour le F.B.I., Noreen Renier, éd. Original Books, 2011.
(2) Dans l’émission
Média Médium du 30 mars 1988.
(3) Wiseman, R., West, D. & Stemman, R. (1996). « An experimental test of psychic detection. »
Journal of the Society for Psychical Research, 61(842), p. 34-45.