Nos ancêtres comme alliés

Petite, j’avais l’habitude d’accompagner ma grand-mère à l’église, où un petit groupe se réunissait pour chanter le lundi soir. Je ne comprenais pas les paroles, mais j’ai mais l’écho des voix sur les murs en briques, l’attention que les doyennes me portaient et l’odeur de l’encens. Au fil des années, je me suis pourtant rebellée contre la religion, rejetant le catéchisme et refusant de communier. Je me souviens cependant d’avoir désespérément recherché la reconnaissance de ma grand-mère pendant cette période, probablement dépassée par l’éducation qui m’était donnée.

Dans la famille, je me suis toujours sentie comme la brebis galeuse qui rêvait de s’échapper pour vivre au grand air. Adulte, je me suis installée à Arras et passais la majorité de mon temps dans les villages voisins. J’aimais y aller, pour le temps passé dans mes bottes en caoutchouc, les longues balades dans la forêt et l’odeur du feu de bois qui imprégnait les murs de chaque maison. Je me sentais chez moi sur ces terres, loin de la ville. Plus tard, ma grand-mère m’a raconté que sa famille était originaire de ces villages. Enfin je ressentais que quelque chose me reliait à elle, une note sur laquelle nous pouvions, toutes les deux, nous accorder. Un sentiment d’appartenance a commencé à grandir, avec l’impression que ma présence sur ces terres était justifiée et légitimée. C’est là que mon intérêt pour la généalogie est né et qu’un arbre familial a été amorcé, dans les archives du Pas-de-Calais. Mes ancêtres m’avaient-ils rappelée sur ces terres ?

Dix ans plus tard, alors que je me trouvais dans le centre australien, plus ouverte aux subtilités du monde, une série de visions non sollicitées me montrèrent ma mort tragique dans ce que je soupçonnais être une vie antérieure. Cela m’amena à m’interroger sur les origines de cette incarnation. Nos vies antérieures sont-elles liées à nos lignées biologiques? Notre âme se réincarne-t-elle au sein d’un même arbre généalogique ? Pourrais-je retrouver des informations sur ce qui me semblait être mon incarnation passée ? S’agissait-il bien de mon incarnation ou de celle d’une ancêtre qui souhaitait que son histoire soit révélée ?

Les archives départementales, désormais numérisées, m’ont permis de continuer, à distance, les recherches commencées dix ans plus tôt. À l’époque, je ne savais pas vraiment ce que je cherchais. Aujourd’hui, je sais que c’était un sens à ma vie, un sentiment d’appartenance à ma famille et à une réalité plus large, au-delà de la société dans laquelle j’évoluais.

En août 2018, je découvris le travail du Dr Daniel Foor, auteur du livre Guérir avec ses ancêtres. Après quatre mois de recherches obsessionnelles qui peinaient à combler mon vide, malgré une foule de découvertes sur mon histoire familiale, son approche représentait le chaînon manquant. Un contact direct avec mes ancêtres, une relation avec eux par le biais de la perception intuitive.

Alors que je suivais ses enseignements à distance, j’ai rencontré Daniel en Australie, lors d’un atelier de Guérison des Lignées où je fus guidée dans la guérison de la lignée de mon grand-père maternel. Au cours de cet atelier, j’ai pris conscience que le soutien et la magie que j’avais toujours désirés au sein de ma famille, ou même de la société, existaient depuis toujours au-delà du visible. J’ai découvert qu’au-delà des informations de mon arbre familial, il y avait des ancêtres non incarnés et bienveillants, en mesure de me comprendre, moi et mon irrépressible besoin de liberté. Ils m’attendaient pour me soutenir et me guider.

Je pris conscience de la profondeur de ce travail, non seulement à travers mon expérience personnelle, mais aussi grâce au partage des autres participants et, plus surprenant, à travers ce que vécut ma famille en France, ce même week-end. Ma mère rêva de l’ancêtre-guide que je venais de rencontrer et me le décrivit en détail, avant même que je lui mentionne cet atelier. Ma sœur, qui vivait alors dans la maison de nos défunts grands-parents, venait de passer deux jours à pleurer parce qu’elle ressentait leur présence dans la maison de manière vive pour la première fois. Coïncidence ? J’ai alors compris que je secouais les racines de notre arbre familial depuis l’Australie et que l’épicentre de ce mouvement se trouvait sur la terre de mes ancêtres.

Savoir qui appeler

Il existe une multitude de méthodes qui permettent de se (re)connecter aux racines de notre arbre généalogique pour comprendre les forces et les fardeaux dont nous avons hérité. Des pratiques que j’ai utilisées dans le passé et auxquelles j’ai encore parfois recours, comme les Constellations Familiales Systémiques, la Psychogénéalogie, la Régression de Vie Antérieure, etc. Mais c’est avec l’approche de Guérison avec les Ancêtres que je résonne le plus, car j’y trouve une profondeur et une sûreté inégalées, bien que ces pratiques soient finalement complémentaires les unes des autres.

À travers son approche, Daniel Foor introduit une dimension relationnelle et invite à une connexion continue aux ancêtres. Mais ce que j’apprécie surtout, c’est l’accent mis sur la sûreté rituelle et la distinction qu’il maintient entre les défunts et les ancêtres. Car s’il existe des ancêtres bienveillants capables de soutenir les vivants, « tous les morts ne présentent pas le même bien-être spirituel⁽¹⁾ ». Dans la psychanalyse transgénérationnelle, la notion de fantôme définit d’ailleurs les résidus psychiques et émotionnels ancestraux qui agissent inconsciemment sur un descendant. Que ces fantômes soient présents sous forme d’esprit, d’énergie, de mémoire ou métabolisés dans notre ADN n’est pas la question. La présence des ancêtres, comme celle des défunts, prend une forme propre à la vision du monde, aux croyances et aux expériences de chacun, et nous influence que nous en soyons conscients ou pas. Sans cette compréhension, nous prenons le risque d’invoquer involontairement les plus troublés dans notre espace.

En soi, les ancêtres sont ceux qui ont été initiés, qui ont intégré leur vie sur Terre, embrassé leur plénitude et leur potentiel, capables de naviguer avec souplesse et conscience dans les profondeurs des sphères émotionnelles et physiques. Une qualité qui leur confère la capacité de transmettre la sagesse et la mémoire collective, assurant un rôle d’éclaireur, de passeur, pour ceux qui ne sont pas encore sur cette voie, comme les défunts, les âmes en souffrance. Je considère important de faire, ici, la distinction, entre les défunts et les ancêtres afin de comprendre qui, dans nos lignées, est à même de nous aider.

Réflexion : Quelle est votre vision de l’au-delà ? Avez-vous déjà eu l’impression qu’un être cher défunt se trouvait à vos côtés ? Comment l’avez-vous ressenti ?

Recueillir les forces de nos lignées

L’analogie d’une rivière m’a un jour été donnée par la ritualiste Shannon Willis pour illustrer l’influence des âmes défuntes en souffrance sur les vivants, et apprécier le flux continu de bénédictions, de force et de génie que nos ancêtres nous transmettent.

Imaginez vos lignées tel un fleuve, avec vos ancêtres les plus lointains en amont. La source de ce fleuve remonte à la création de l’Univers, au vide cosmique dont nous sommes tous issus, puis à l’histoire de l’évolution de la Terre. Plus en aval serpentent nos ancêtres humains, ceux qui dansaient et chantaient encore avec l’ensemble du Vivant. Ils représentent un collectif d’ancêtres sains, forts et sages, portés par la vivacité d’une relation profondément enracinée dans la Vie, sous toutes ses formes.

Plus en aval encore se trouvent nos ancêtres qui ont vécu la domestication du feu, l’essor de la sédentarité, de l’agriculture, de l’écriture, du patriarcat, du capitalisme et des religions monothéistes. Viennent aussi les récits de migrations, d’invasions, de colonisations et de guerres auxquelles beaucoup ont participé ou que beaucoup ont enduré de manière active ou passive.

Enfin arrive l’influence de l’industrialisation et des nouvelles technologies, dans laquelle nous baignons tous aujourd’hui. Des eaux devenues de plus en plus troubles au fil des âges, notamment au cours de notre histoire moderne. Des eaux qui ne représentent en définitive que 2 % de notre expérience humaine, mais qui agissent parfois à la manière d’un barrage, limitant la circulation des sagesses, des forces et des richesses provenant de nos ancêtres. Un barrage qui brouille potentiellement notre connexion aux uns aux autres et au Vivant.

Aujourd’hui, il est de notre responsabilité de choisir l’eau dans laquelle nous souhaitons voir les générations futures baigner. Nous avons le choix entre continuer à patauger dans ces eaux vaseuses, tels des oiseaux mazoutés tentant de garder la tête en surface, ou de contribuer au nettoyage en profondeur de ces eaux avant qu’il ne soit trop tard. Braver les eaux troubles nécessite de faire face aux blessures du passé, de reconnaître notre déracinement et de veiller à ce qu’il ne perdure pas. Cela exige de se souvenir d’où nous venons et qui nous sommes à l’état naturel en puisant dans les forces de nos ancêtres bienveillants et dans notre lien au monde sauvage lui-même.

Il y a dans les méandres de ces eaux troubles des lueurs d’espoir, des passages d’eau claire, des ancêtres plus conscients, plus sensibles, qui ont tenté de faire la différence, ou qui ont contribué à transformer le monde dans lequel ils vivaient. Certains ont laissé des traces dans l’histoire, d’autres ont œuvré dans la discrétion et l’anonymat. Nous avons tous des ancêtres capables de nous aider à transformer les blessures du passé en sources de résilience, capables de nous accompagner et de nous guider dans nos intentions de reconnexion au Vivant. Puisse ce livre être l’une des nombreuses façons d’aider à clarifier ces eaux. [...]


(1) Daniel Foor, Guérir avec ses ancêtres, Véga, 2023.


La sagesse des ancêtres, réveillez votre lien au vivant, Hazel Marie Volk, éd. Vega, 2023, p. 125 à 131.