Cette douleur n'est pas la mienne
Traumatismes hérités de nos ancêtres : comment ça marche ?
Publié le 20/11/2024 - Bonnes feuilles 6min
Se libérer d’une blessure transgénérationnelle peut être compliqué, mais pas impossible. L’auteur Mark Wolynn sort un nouvel ouvrage consacré à cette question publié aux éditions Courrier du Livre : Cette douleur n’est pas la mienne – Comment briser le cercle de la transmission familiale. Dans cet extrait, il nous explique les mécanismes des traumatismes perdus et retrouvés de nos lignées, dont les plus impactants remontent sur trois générations.
Trois générations d’histoire familiale partagée : le corps familial
J’ai l’intime conviction d’être influencé par des choses ou des questions que mes parents, mes grands-parents et mes ancêtres plus lointains ont laissées inachevées et sans réponses. Souvent, il semble qu’une famille soit soumise à un karma commun, transmis par les parents aux enfants. J’ai toujours eu l’impression que je devais… aboutir, ou peut-être continuer des choses que des générations précédentes n’avaient pas terminées*.
Carl Jung, Memories, Dreams, Reflections
L’histoire que vous partagez avec votre famille commence avant même que vous soyez conçu. Dès que vous prenez forme sur le plan biologique, alors même que l’ovule qui va vous donner naissance n’est pas encore fécondé, vous partagez déjà le même environnement cellulaire que celui de votre mère et de votre grand-mère. Quand votre grand-mère était enceinte de votre mère de cinq mois, l’ovocyte dans lequel vous vous êtes formé existait déjà dans les ovaires de votre mère.
Cela signifie que votre mère, votre grand-mère et les toutes premières traces de vous-même appartenaient à un seul et même corps. Avant même que votre mère soit née, trois générations partageaient le même environnement biologique1. Cette idée n’est pas neuve : les manuels d’embryologie l’énoncent depuis plus d’un siècle. De la même manière, on peut retrouver les premières traces de votre existence dans votre lignée paternelle. Les spermatozoïdes du sperme à l’origine de votre conception existaient chez votre père alors qu’il n’était qu’un fœtus dans le ventre de sa mère2.
Maintenant que nous savons, grâce aux études de Yehuda et à d’autres, que le stress peut se transmettre de différentes façons, nous pouvons envisager comment des traces biologiques de traumatismes vécus par votre grand-mère peuvent se transmettre et provoquer des effets de grande envergure.
Il faut cependant souligner la différence biologique majeure dans l’évolution de l’ovule et du sperme. Le sperme de votre père a continué à proliférer au-delà de l’âge de la puberté, alors que votre mère est née avec une réserve d’ovules pour toute sa vie. Une fois que les ovules se sont formés dans le ventre de votre grand-mère, les cellules ont cessé de se diviser3. Si bien qu’une douzaine ou une quarantaine d’années plus tard, un de ces ovules, fécondé par le sperme de votre père, est finalement devenu ce que vous êtes aujourd’hui. Dans un cas comme dans l’autre, nous disent les scientifiques, les cellules de l’ovocyte et celles du sperme portent l’empreinte d’événements potentiellement capables d’affecter les générations suivantes. Parce que le sperme de votre père est en constante mutation, tout au long de l’adolescence comme de l’âge adulte, son sperme est susceptible d’être marqué par des traumatismes, quasiment jusqu’au moment de votre conception4. Les implications de ce phénomène s’avèrent étonnamment vastes, si l’on en croit les recherches en cours.
La biologie cellulaire
Les scientifiques ont d’abord pensé que les gènes de nos parents formaient un plan à partir duquel nous étions fabriqués, et qu’avec une dose suffisante de conseils et de nourriture, nous nous développions comme prévu, sans heurts. On sait désormais que notre carte génétique n’est qu’un point de départ ; notre environnement nous influence, dès notre conception, et nous façonne émotionnellement, psychologiquement et biologiquement, et ce tout au long de notre vie.
Bruce Lipton, un pionnier en biologie cellulaire, a démontré que notre ADN est influencé par des pensées, des croyances et des émotions, négatives comme positives. En tant que professeur en médecine et chercheur en sciences, le Dr Lipton a passé des dizaines d’années à étudier les mécanismes par lesquels les cellules reçoivent et traitent les informations. De 1987 à 1992, alors qu’il était expert chercheur à Stanford, il a démontré que les signaux environnementaux pouvaient opérer à travers la membrane d’une cellule et contrôler ainsi le comportement et la physiologie de celle-ci, ce qui peut ensuite activer ou taire un gène. Ses idées et ses découvertes, controversées à une époque, ont été corroborées depuis par de nombreux chercheurs. Ses travaux sur les cellules animales et humaines nous ont permis de mieux comprendre comment la mémoire cellulaire passe du ventre de la mère à l’enfant à naître.
Selon Lipton, « les émotions de la mère, telles que la peur, la colère, l’amour, l’espoir collectif, peuvent modifier de manière biochimique l’expression génétique de sa progéniture5 ». Pendant la grossesse, les nutriments présents dans le sang de la mère parviennent au fœtus par la paroi placentaire. En même temps que ces nutriments, elle libère également tout un tas d’hormones et d’informations générées par les émotions dont elle fait l’expérience. Ces signaux chimiques activent dans les cellules des protéines réceptrices spécifiques qui déclenchent un flot de changements physiologiques, métaboliques et comportementaux dans le corps de la mère comme dans le fœtus.
Les émotions chroniques ou répétitives de la mère comme la colère ou la peur peuvent marquer son enfant, essentiellement pour préparer ou « conditionner » la manière dont l’enfant s’adaptera à son environnement6. Lipton explique : « Quand les hormones de stress traversent le placenta (chez l’humain)… les vaisseaux sanguins du fœtus se resserrent dans les viscères, et renvoient plus de sang en périphérie pour préparer le fœtus à une réponse comportementale consistant à lutter ou à fuir.7 » En ce sens, un enfant qui a vécu dans un environnement stressant in utero peut devenir réactionnel dans une situation stressante similaire.
Aujourd’hui, de nombreuses études renseignent le fait que le stress chez une femme enceinte, même pendant le premier trimestre de sa grossesse, peut avoir des effets sur son enfant. L’une d’elles, publiée en 2010 dans Biological Psychiatry, étudie le lien entre le stress prénatal et ses effets sur le développement neuronal des enfants. Les chercheurs ont mesuré le cortisol, hormone régulatrice du stress, dans le liquide amniotique de 125 femmes enceintes pour déterminer les différents niveaux de stress. Les résultats montrent que les bébés exposés à des taux de cortisol élevés in utero, même seulement dix-sept semaines après la conception, présentent des problèmes de développement cognitif lorsqu’ils sont évalués à l’âge de 17 mois8.
Dans son livre Nurturing the Unborn Child. A Nine-Month Program for Soothing, Stimulating, and Communicating with Your Baby**, Thomas Verny, psychiatre, nous dit : « Si une femme enceinte éprouve un stress aigu ou chronique, son corps fabrique des hormones de stress (y compris de l’adrénaline et de la noradrénaline) qui passent dans le sang et se transmettent par l’utérus, provoquant le même état de stress chez son enfant à naître.9 » Verny continue : « Nos études prouvent que les mères qui subissent un stress intense et constant ont plus de chances d’avoir des bébés prématurés, pesant moins lourd que la moyenne, irritables et sujets aux coliques. Dans des cas extrêmes, ces bébés naissent avec des pouces à vif à force d’être sucés, voire avec des ulcères.10 »
Lipton souligne l’importance de ce qu’il appelle l’« accompagnement parental conscient », c’est-à-dire l’accompagnement parental qui consiste, avant même la conception et jusqu’au développement postnatal, à prendre conscience que l’éveil et la santé d’un enfant dépendent profondément des pensées, attitudes et comportements de ses parents11. « Les parents qui n’ont pas souhaité avoir d’enfant, les parents qui doivent constamment se soucier de leur survie, et par conséquent de celle de leur progéniture, les femmes qui sont maltraitées physiquement ou émotionnellement pendant leur grossesse, tous ces gens vivent dans des situations où les signaux adverses, émis par leur environnement avant et après la naissance de leur enfant, peuvent se transmettre à leur progéniture.12 »
Sachant que les émotions peuvent se communiquer biologiquement et du fait que trois générations partagent le même environnement biologique in utero, imaginez ce scénario : un mois avant la naissance de votre mère, votre grand-mère apprend une terrible nouvelle, son mari a été tué dans un accident. Alors qu’elle se prépare à l’arrivée de son bébé, et qu’elle trouve difficile de pleurer son mari, il est fort possible que votre grand-mère enfouisse ses émotions dans le corps qu’elle partage alors avec sa fille et son petit-enfant. Vous et votre mère saurez certainement quelque chose de cette perte au plus profond de vous, à l’endroit même que vous avez partagé à trois.
C’est dans cet environnement partagé que le stress peut provoquer des changements dans notre ADN. Dans la partie qui suit, nous examinerons la manière dont nos gènes sont affectés par les traumatismes de notre histoire familiale. […]
Cette douleur n’est pas la mienne, Mark Wolynn, éd. Courrier du Livre, 2024, p. 45 à 50.
* Notre traduction.
** Sustenter l’enfant in utero : un programme de neuf mois pour apaiser votre bébé, le stimuler et entrer en relation avec lui (notre traduction).
1. C. E. Finch et J. C. Loehlin, « Environmental Influences that May Precede Fertilization: a First Examination of the Prezygotic Hypothesis Service Presse from Maternal Age Influences on Twins », Behavioral Genetics, vol. 28, n° 2, 1998, p. 101.
2. T. W. Sadler, Langman’s Medical Embryology, 9e ed., Baltimore : Lippincott Williams & Wilkins, 2009, p. 13.
3. C. E. Finch et J. C. Loehlin, « Environmental Influences that May Precede Fertilization », art. cit., p. 101-102.
4. T. Bale, « Epigenetic and Transgenerational Reprogramming of Brain Development », Nature Reviews Neuroscience, vol. 16, 2015, p. 332-344, doi:10.1038/nrn3818.
5. B. H. Lipton, «Maternal Emotions and Human Development », Birth Psychology, https://birthpsychology.com/free-article/maternal-emotions- and-human-development.
6. B. H. Lipton, The Wisdom of Your Cells: How Your Beliefs Control Your Biology, Louisville, CO: Sounds True, Inc., 2006, audiobook, partie 3.
7. Ibid.
8. K. Bergman, et al., « Maternal Prenatal Cortisol and Infant Cognitive Development: Moderation by Infant-Mother Attachment », Biological Psychiatry, vol. 67, n° 11, 2010, p. 1026-1032, doi:10.1016/j. biopsych.2010.01.002, Epub 25 février 2010.
9. T. Verny et P. Weintraub, Nurturing the Unborn Child: a Nine-Month Program for Soothing, Stimulating, and Communicating with Your Baby, (e-book) New York: Open Road Media, 2014, dans le chapitre « Why the Program Works ».
10. Ibid.
11. B. H. Lipton, « Maternal Emotions and Human Development », art. cit.
12. Ibid.
- Mots clés
- Auto-guérison
- thérapie
- Transgénérationnel
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