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La
prière
comme
respiration

« Respirez comme si votre souffle était une prière silencieuse sans mots »… L’expérience que nous murmure l’enseignante de yoga Martine Le Chenic arpente les chemins de la respiration pour faire de nos vies un geste d’ouverture et de reliance à plus grand que soi… Et si ce que nous cherchions à travers l’acte de prier se lovait dans le souffle ?
La prière comme respiration
Savoirs ancestraux
La respiration touche tous les aspects de la vie, du plus grossier au plus subtil, de la vie quotidienne à la vie spirituelle. Ces mouvements naturels d’inspiration, d’expiration et de suspension issus d’un automatisme inconscient, « ce vent que l’on produit en poussant de l’air par la bouche » pour reprendre les mots de l’auteur Pierre Alais, ne cessent qu’à notre mort. « La respiration ne s’arrête jamais, elle ne dort jamais, elle est le miracle de la vie, le soutien du microcosme et par conséquent du macrocosme, elle est le Créateur, elle est Dieu », a écrit Carlo Formichi, linguiste italien et orientaliste né à la fin du XIXe siècle dans La pensée religieuse de l’Inde avant Bouddha. Martine Le Chenic, qui a consacré l’essentiel de sa vie à la pratique et à la transmission de la discipline du souffle par le yoga, le résume ainsi : « Du physique au sacré, un seul pont : le souffle… »


À la fois l’esprit et le vent


Pour éclairer le propos, l’étymologie est riche d’enseignements… Le mot grec pneuma, en latin spiritus, d’où viennent les termes « esprit » et « spirituel », fait d’abord référence pour les Grecs au souffle vital. Issu de la racine pnein qui signifie respirer, il est proche des termes « poumon » et « pneumologie », relatifs à la respiration. En grec ancien, pneuma est donc à la fois l’esprit et le vent. Tout comme le mot hébreu rouakh qui évoque Dieu, l’esprit divin, mais aussi le souffle et le vent quand il se rapporte à l’air. En chinois, le souffle est chi (ou qi), en japonais ki, en sanskrit prāna. En allemand, respirer se dit atmen, la racine est d’ailleurs la même que le sanskrit ātman qui désigne l’âme. En arabe, ruh (l’esprit) est proche de rih (le vent).

« Dans beaucoup de traditions, le souffle est assimilé à l’âme, à la spiritualité et même à Dieu. Lorsque cette identification n’est pas faite, il est alors ce qui est le plus proche de l’âme ou de Dieu », clarifie Pierre Alais dans son livre Le souffle de Dieu. « Dans toutes les traditions, le souffle occupe une place essentielle. Il émane de Dieu dans l’Ancien Testament, il est rattaché à Jésus dans le Nouveau Testament. Dans les temps anciens, il a pour nom spiritus, synonyme d’esprit. Dans la tradition védique, il est considéré comme le dieu de “l’espace intermédiaire”, Vāyu. » Aussi, le terme sanskrit prāna a donné le latin plenum, le plein, le tout… « Retrouver le souffle, c’est retrouver la plénitude ! assure-t-il. Le souffle c’est la vie. Il est évident que c’est le souffle qui nous rapproche le plus de l’essentiel, de l’être, de ce miracle appelé vie, de Dieu. »


Incorporer la prière grâce au souffle


On doit au théologien français Xavier Léon-Dufour la phrase suivante : « L’homme est un être suspendu à Dieu par son souffle même. » Si le souffle nous rapproche de Dieu, n’est-ce pas grâce à lui que nous accédons à la prière ?

Toute petite, la mère de Martine Le Chenic la « trimballait » à l’église. « Ma seule joie était d’essayer de chanter les chants grégoriens, se souvient-elle. Au fil du temps, j’ai découvert que chanter changeait mon existence et que c’était dû au souffle mobilisé pendant le chant et non au chant lui-même », confie l’enseignante de yoga. « Le chant devenait prière beaucoup plus par ce qui se jouait au niveau respiratoire que par les mots eux-mêmes. Dans toutes les religions, la prière est psalmodiée, même si c’est de manière inaudible. Réciter juste les mots n’a pas le même impact sur le souffle, la cellule et le corps, et donc n’amène pas à une conscience plus élevée. » Par le chant impliquant naturellement le souffle, la prière devient « une attitude corporelle », elle peut « s’incorporer, amener une résonance dans le corps » afin de s’ouvrir à recevoir l’inconnu. « Grâce au souffle, la prière devient un chant intérieur, poursuit-elle. Et la façon dont le souffle nous touche à l’intérieur, dans notre matière corporelle va éveiller des choses dont on n’avait pas idée. »


Entrer dans le rythme des vagues


Mais le souffle n’est pas la respiration physiologique. Tentons un rapprochement : la respiration est au souffle ce que la prière est à la foi… Tant que nous sommes vivants, nous ne cessons de respirer. Pour autant, notre respiration est-elle fluide, reliée à sa source, ouverte… comme l’implique l’expérience du souffle ? « Le souffle, dans ce qu’il a de sacré, est une expérience directe qui engage l’être dans l’individu et n’est donc pas réductible à notre seule personnalité », éclaire Martine Le Chenic dans son ouvrage L’art subversif et sacré du yoga.

Par la pratique du souffle, « on brasse la mer intérieure de chacun, on la rend plus homogène, plus harmonieuse », développe Eva Ruchpaul dans le livre entretien de Colette Poggi Dans la confidence du souffle – Rencontre avec Eva Ruchpaul, une yogini impertinente. « Vraiment, il ne s’agit pas là d’un organe en particulier mais d’une fonction diffuse qui sous-tend et englobe toutes les formes de vie. » Devenir conscient de son souffle, l’autoriser à s’amplifier et à s’approfondir permet d’appréhender un champ de connaissance et de vie plus vaste. De s’ouvrir et de se relier à plus grand que soi, comme dans la prière… Car, appuie-t-elle, « tout est dans le souffle, tout est par le souffle, le souffle est en tout ». Cette femme âgée aujourd’hui de 96 ans dévoile comment aborder l’univers du souffle de manière sensible, sans être trop technique… « Pourquoi pas par l’observation du rythme des vagues, au bord de la mer ? suggère-t-elle. Entrer dans le rythme fluide des vagues, s’ouvrir, s’émouvoir de cette musique, c’est une initiation à celle qui nous est le plus proche, en nous. J’ai d’ailleurs remarqué que, la plupart du temps, se succèdent six flux et reflux, suivis d’une plus grande vague qui s’étale, se suspend quelques instants, puis repart. »


Inviter un morceau du ciel


À n’en pas douter, on ne pratique pas la respiration « comme on ferait la vaisselle », prévient Eva Ruchpaul. Respirer équivaut à « je mange, j’invite un morceau de ciel ». Celle qui fut l’une des premières femmes yogi d’Europe témoigne que « le souffle sait éveiller le sentiment d’être vivant, il est vecteur de vitalité, de maturation et d’intelligence. Il est à la fois essence de l’énergie créatrice et du laisser-agir. » N’est-on pas là au plus près de la prière ?

Pour Martine Le Chenic, « devenir l’épicurien du souffle et se nourrir de l’air, le respirer comme un parfum serait déjà quelques pas vers un souffle plus conscient. Et c’est déjà quelques pas vers la prière… » Elle invite à une rencontre amoureuse avec le souffle, au-delà de soi, ouvert au « Tout-autre ». « La méditation est une respiration, la prière est une respiration, l’extase, l’amour sont une respiration, célèbre-t-elle. Pour communiquer avec le ciel, avec ce qui nous dépasse, avec la terre et l’en dessous, il suffit de respirer profondément, un peu comme si on embrassait quelqu’un qu’on aime infiniment. » Dans la prière, on entre en intimité avec plus grand que soi. Et pour nous guider dans cette relation, le souffle qui est notre lien le plus personnel n’est-il pas notre meilleur allié… ? « Rejoindre le souffle comme un chant que l’on entend à l’intérieur de soi, susurre Martine. Et c’est le souffle qui œuvrera au rythme de notre ouverture. »

À
propos

auteur

  • Angélique Garcia

    Journaliste
    Angélique Garcia est journaliste depuis une dizaine d'années. Elle a été rédactrice en chef d’un média indépendant en région Occitanie consacré essentiellement aux thèmes de la culture, de l’art, du patrimoine et de l’écologie. Sa collaboration avec l’INREES / Inexploré lui permet de continuer à approfondir des sujets qui l’inspirent depuis longtemps (la conscience, la spiritualité…). En parallèle, elle se consacre à l’écriture. Elle pratique la danse ainsi que le yoga auquel elle se forme en v ...
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