Dans toutes les grandes traditions, la prière prend des formes multiples : litanie, louange, bénédiction, action de grâce, oraison, proclamation de foi... Ces mots adressés à plus grand que soi, seul dans le secret ou à travers une ferveur collective, servent de passerelles entre l’humain et le divin. Mais comment trouver les mots pour accompagner notre vie d’intentions spirituelles ?
«
Seule la prière approche de cette concision et de cette pureté qui fondent la vérité de l’écriture. Écrire, c’est comme une prière, aller à l’essentiel », disait l’écrivain et Prix Nobel de la paix Elie Wiesel. Sans détour, la prière marque un retour à nous-mêmes. C’est pourquoi, souvent, nous privilégions les distractions à ce nécessaire retour à soi. Et c’est durant les séquences éprouvantes ou particulièrement bénéfiques de l’existence que nous nous tournons vers elle. Ces formes de prière incarnent ainsi l’expression d’un besoin universel de sens. L’anthropologue et sociologue français Marcel Mauss relate dans son ouvrage
La prière (éd. PUF, 2019) que «
la prière, dont il n’existe à l’origine que des rudiments indécis, formules brèves et éparses, chants magico-religieux dont on peut à peine dire qu’ils sont des prières, se développe ensuite, sans interruption, et finit par envahir tout le système des rites […]. L’évolution de la prière est en partie l’évolution religieuse elle-même ; les progrès de la prière sont en partie ceux de la religion. » Alors, comment prier, dans des moments de douleur ou d’incertitude, alors que nous n’avons plus d’encadrement religieux et que chacun jouit de sa propre liberté ? Comment prier lorsqu’on se sent impuissant face à la violence du monde ? Rendre audible cette voix intérieure et s’assurer qu’elle reflète notre sincérité demande de l’humilité, une estime de soi et de la confiance.
L’humilité : reconnaître notre besoin de guidance
Prier demande une aptitude à accepter notre vulnérabilité. C’est pourquoi, dans les moments de difficultés qui jalonnent la vie, tels qu’une perte matérielle ou humaine, la maladie, ou encore les périodes de doute, nous y sommes plus sensibles car nous sommes plus fragiles, plus « poreux ». Nous reconnaissons ainsi nos limites humaines et acceptons notre besoin de soutien. Car s’il est des choses que nous pouvons obtenir par
« la force de travail » et par la volonté, d’autres appartiennent à des mondes plus subtils, du domaine de la
« grâce ». La prière, dans cet espace, devient un acte de réception : elle est là pour nous permettre d’accueillir ce que la vie peut nous offrir de mieux, sans attendre de rétribution immédiate. Il existe un terme qui s’approche du mot prière : «
L’expression hébraïque de “avodah” : le culte par le cœur (avodah shé balev
). On préfère dire “par le cœur” que “par la bouche” étant donné que la signification de ce qui est dit dans les conduites spirituelles religieuses dépend de l’intention qui est mise dans les mots que l’on emploie », écrivent Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz dans leur livre L’homme debout, essai sur la prière juive, paru chez Albin Michel. Cet acte requiert deux mouvements contradictoires : à la fois la reconnaissance de notre propre fragilité dans le monde, mais aussi la confiance dans notre capacité à exister, à être agissants, à exprimer nos intentions avec des mots justes. Car à mesure que le croyant développe sa foi, il existe, il crée et nourrit son jardin intérieur. C’est un dialogue ouvert, un lâcher-prise où l’on accepte que ce qui doit advenir advienne.
Croire en soi
L’étude menée sur les croyances et les religions par Marcel Mauss révèle encore qu’au fil des siècles, la prière s’est beaucoup individualisée. Pour dire et exprimer une intention à travers des mots, il faut finalement détenir suffisamment de conscience de soi, tout autant que de confiance en soi et en l’invisible. «
L’instant, le lieu, les conditions, les formes de tel ou tel acte dépendent de moins en moins de causes sociales. De même que chacun agit presque à sa guise, de même chacun est aussi, dans la mesure du possible, le créateur de sa foi. Même certaines sectes protestantes, les Remonstrants par exemple, reconnaissent à tout membre de l’Église une autorité dogmatique. Le “dieu intérieur” des religions les plus avancées est aussi le dieu des individus », dit-il dans son livre.
Clarifier son intention
En fin de compte, prier, c’est se relier, non seulement au divin, mais aussi à soi-même. Cet acte nous pousse à revenir à l’essentiel, à clarifier notre place dans l’Univers, et à nous rappeler que, même dans les moments de doute ou d’incertitude, nous ne sommes jamais complètement seuls. Ainsi, le travail de la prière consiste à identifier ce que l’on souhaite exprimer, à nourrir cette intention pour que les mots prennent un sens plus profond et puissent résonner au-delà de simples sons. En nommant nos émotions, en exprimant nos besoins ou notre gratitude, nous créons alors un espace de guérison.
Il y a de principe une force, une puissance de l’activité priante qui provoque des changements dans les différents mondes : le monde visible, on peut le comprendre, mais aussi les multiples mondes invisibles…
Trouver une figure spirituelle qui nous fait du bien
Pour favoriser le dialogue avec l’invisible, à travers les siècles, en Occident, les peuples se tournaient vers le culte de saints et de saintes dont la vie réconfortait des personnes très différentes. Ces figures spirituelles étaient perçues comme des intercesseurs entre le divin et les hommes. L’expérience de la vie terrestre, de ses aléas et ses difficultés, leur conférait une plus grande proximité de cœur avec le commun des mortels. En Asie, dans le bouddhisme et l’hindouisme, le rapport aux dieux, aux
dakinis et à des figures variées est très vivace. Chacun peut choisir sa préférence en fonction de ses affinités personnelles. Prier ses ancêtres est aussi une manière de faire jaillir de l’amour en soi.
La prière spontanée : une vibration authentique
La prière peut être une parole immédiate, jaillissant du cœur sans filtre. Cette prière spontanée permet de se libérer des formulations figées, offrant un espace où nos préoccupations, nos peines et nos espoirs peuvent s’exprimer en toute liberté. Le psychanalyste Yaacov Yeroushalmi, qui exerce à Jérusalem, décrit cette pratique comme une «
expression libre d’une personne humaine, parole tout droit issue du cœur ». C’est une forme de parole unique, authentique, qui épouse les émotions du moment et qui demeure, à chaque fois, inédite. La spontanéité permet de s’ancrer dans le présent, là où les mots trouvent toute leur puissance transformatrice. Yaacov Yeroushalmi, souligne également que les mots de la prière, surtout lorsqu’ils sont prononcés à voix haute, créent des vibrations dont l’impact est multiple et incertain. Pour appréhender la prière, dit-il, «
on doit aussi accepter que les mots prononcés, à voix haute notamment dans la prière, ont un effet, induisent des vibrations dont personne ne sait ni le chemin ni le point d’arrivée. Il y a de principe une force, une puissance de l’activité priante qui provoque des changements dans les différents mondes : le monde visible, on peut le comprendre, mais aussi les multiples mondes invisibles, ceux qui nous environnent ou nous surplombent et dont nous n’avons que peu la connaissance et encore moins la maîtrise. » Par cette dynamique vibratoire, la prière interagit avec notre environnement, opérant parfois comme un appel au calme, parfois comme un élan de gratitude, mais toujours avec la potentialité de toucher au mystère.
La bénédiction et la prière comme soutien spirituel
Dans de nombreuses traditions, la prière prend la forme de bénédictions ou d’invocations. Les psaumes, les liturgies et autres prières écrites nous relient aux croyants de toutes les époques, inscrivant l’acte de prier dans une lignée de foi partagée. Ces prières apportent une structure et un réconfort, encadrant notre spiritualité dans des mots choisis, souvent chargés de symbolisme et de sacré. Pour de nombreux croyants, elles sont un appui solide, un ancrage dans une pratique héritée qui, par la répétition et la mémoire, amplifie la connexion au divin. Répéter à l’infini les mêmes syllabes à travers des prières ou des mantras renforce aussi la puissance des formules, comme si les mots revêtaient l’intention et l’état d’être de chacun. Cela dit, Yaacov Yeroushalmi souligne aussi qu’«
il y a le risque de la passivité d’une lecture qui peut être fidèle et néanmoins “glisser sur la conscience” comme la pluie sur une vitre : sans que la spiritualité ne soit sollicitée et sans que la personnalité s’ouvre à l’initiation morale et symbolique ». La prière devient un chemin de transformation lorsqu’elle s’éveille à la grâce et à la bénédiction. C’est une ouverture, une disponibilité à la bienveillance de l’Univers, à l’amour ou à la protection qu’une entité supérieure peut accorder. Trouver les mots pour prier, c’est donc apprendre à écouter son cœur, à accueillir sa vulnérabilité et à se tourner vers plus grand que soi.
Les 7 étapes pour trouver sa prière
1. Demander avec humilité.
2. Clarifier son intention.
3. Lâcher prise et avoir confiance.
4. Exprimer des mots simples et sincères.
5. Se relier à une figure spirituelle ou à ses ancêtres.
6. Laisser résonner et vibrer les mots.
7. S’ouvrir à la grâce et au divin.