Intégré au corpus des classiques chinois deux siècles avant Jésus-Christ, le Yi Jing est exposé dans un ouvrage devenu universel depuis que le psychiatre Carl Gustav Jung en a fait connaître la traduction de son ami sinologue allemand, Richard Wilhelm, en 1924. Il est davantage à aborder comme un instrument de connaissance de soi, même s’il est issu des pratiques divinatoires de l’Antiquité chinoise. « Ses origines datent de l’époque où les devins utilisaient des supports oraculaires, comme les os ou les carapaces de tortue, pour entrer en contact avec les ancêtres et les esprits. Sa pratique a ensuite évolué vers la description des lignes de force des situations que l’être humain est amené à rencontrer dans l’existence et, plus généralement, de l’organisation énergétique de l’Univers », explique le sinologue et consultant en Yi Jing Pierre Faure, qui vient d’offrir une nouvelle traduction du texte originel. Celui-ci insiste bien sur le fait que le but de la pratique n’est pas de prédire l’avenir : « Quand on parle de prémonition, on induit une sorte de fatalisme comme si le futur était déjà tout tracé, ce qui n’est pas une bonne approche du Yi Jing. Un tirage effectue une sorte de coupe dans le temps, dans laquelle se trouvent à la fois la sédimentation d’éléments passés et les prémices de ce qui peut advenir. Mais rien n’est figé et les possibles restent multiples. »

Lire les « mutations »

À l’aide de trois pièces de monnaie ou cinquante baguettes d’achillée, le tirage du Yi Jing va permettre de déterminer l’une des 64 figures composées de six traits continus ou discontinus, appelées hexagrammes. Les textes qui les accompagnent sous différents intitulés (« Mordre et unir », « S’accorder aux autres », « L’excès de grand »...), dans ce qu’on appelle en français le Livre des mutations ou des transformations, servent à éclairer les situations que l’on rencontre dans notre vie, tout en donnant des outils pour trouver l’attitude la plus juste face à elles. Et le Yi Jing, fondé sur les principes du yin et du yang, ces deux forces à la fois opposées et complémentaires présentes partout dans l’Univers (ombre/lumière, chaud/froid, féminin/masculin, etc.), permet d’en décrire pas moins de 4 096 ! Quand on perçoit bien comment les éléments sont articulés, un regard plus large se met en place. « C’est le grand paradoxe du Yi Jing. S’il fait référence à des situations qui se déroulent dans le temps, il ne se contente pas d’un temps linéaire, celui des horloges. C’est comme si on ouvrait l’instant présent pour élargir notre perception et entrer dans un temps plus qualitatif », souligne Pierre Faure qui s’adonne à cette pratique depuis près de cinquante ans.

Notre psychisme accepterait en quelque sorte de lâcher prise et de « déborder » du moment présent pour laisser affluer diverses informations élargissant notre vision des choses. Le Yi Jing apparaît ainsi comme une porte ouvrant sur une perception élargie. Le principe de synchronicité, selon lequel deux événements simultanés sont reliés par le sens et non par une cause, illustre d’ailleurs bien ce phénomène où l’on ne se limite plus au temps linéaire et à la loi de causalité. Inventeur du concept, Carl Gustav Jung avait d’ailleurs bien compris que le tirage du Yi Jing faisait apparaître l’intelligence du hasard. « Le hasard est ce grain de sable qui vient dérouter le contrôle de notre ego pour nous emmener ailleurs ! À force de pratiquer le Yi Jing, une éducation de l’intuition se fait », explique Pierre Faure en ajoutant : « Là où va l’esprit, l’énergie suit. »

Quand l’intuition prend le relais du mental

Un tirage du Yi Jing s’effectue en trois phases, selon le consultant. Tout d’abord, il demande à celui qui l’exécute de prendre un temps d’arrêt. Il s’agit de revenir à soi, de se mettre à l’écoute de son corps et de sa respiration, de calmer son esprit, comme pour entrer dans un état méditatif. Cet arrêt est bien décrit à l’hexagramme 52, « La stabilisation », constitué de deux fois le trigramme de la montagne, tels un passage, une porte indispensable pour se rendre disponible au message véhiculé par le Yi Jing. Au moment du tirage, on passe à la seconde étape qui nécessite de faire appel à l’intelligence rationnelle, au mental, afin d’analyser les figures obtenues et les textes qui leur sont associés. Ce n’est qu’une fois ces repères mis en place que l’on peut laisser parler l’intuition, qui représente la troisième étape. Un tirage doit permettre d’élargir sa perception d’une situation, en y intégrant soit des éléments qu’on ne voyait pas auparavant, soit des éléments auxquels on n’accordait pas assez d’importance. On va répondre à une question d’ordre relationnel, professionnel ou autre, en la mettant en relation avec le ou les hexagrammes obtenus. Ce qui va conforter notre attitude ou au contraire nous inciter à changer de cap.

Si on a besoin d’outils analytiques faisant appel à la raison pour effectuer un tirage du Yi Jing, l’intuition est tout aussi capitale. C’est grâce à elle que l’on va pouvoir faire remonter à la conscience certains éléments inconscients. « Tout d’abord, il faut se mettre humblement à l’écoute des descriptions que nous ont léguées les sages, puis laisser notre psychisme réorganiser ces matériaux de manière naturelle, intuitive », explique Pierre Faure. Et d’ajouter : « Sur un plan psychique, une fois qu’on a bien réarticulé les éléments du “paysage” de la manière la plus “juste” possible, on peut laisser le champ libre à des intuitions qui s’avèrent plus fortes. » Au début du premier millénaire avant Jésus-Christ, en Chine, on faisait appel aux esprits, puissances extérieures qui venaient se loger dans la personne pour lui apporter leur lumière. Aujourd’hui, on a compris qu’on pouvait trouver cette lumière en puisant en nous-mêmes via l’intelligence, la vigilance, l’écoute et l’attention. C’est ainsi que peu à peu, on arrive à éduquer son intuition et à aiguiser son discernement. Car le Yi Jing permet avant tout de répondre aux questions par soi-même. « Une fois replacée dans le courant naturel des choses, notre vision s’approfondit de manière extraordinaire ! », conclut Pierre Faure.

Le Qi Men Dun Jia, un outil qui gagne à être connu

La pratique du Qi Men Dun Jia, moins connue, fonctionne sensiblement sur le même principe puisqu’elle utilise dans certains cas les trigrammes et les hexagrammes. Sa principale différence est qu’elle se fonde sur la date et l’heure de naissance afin de réaliser ce qu’on appelle une charte. Ce que l’on pourrait comparer dans la culture occidentale à un thème astral. Aux origines, l’Empereur jaune (2711-2599 av. J.-C.) aurait utilisé le Qi Men Dun Jia principalement pour exercer l’art de la guerre. En permettant une vision claire de la situation, il aurait évité les doutes et facilité les prises de décisions pour aller vers la victoire. Sylvia Cordonnier, spécialiste dans le domaine, qui a étudié auprès d’un maître en Malaisie, Joey Yap, énonce quatre grands champs d’application de cette pratique. Le premier champ, prévisionnel, fonctionne sensiblement comme le Yi Jing. On pose une question à l’instant T (fondé sur l’année, le mois, le jour et l’heure), qui fait sortir une grille agissant selon le principe de la synchronicité. Si l’action n’est pas encore menée, elle peut être changée. Le but est de trouver comment modifier la situation pour obtenir le résultat souhaité.

Le deuxième Qi Men Dun Jia est stratégique. À partir de la charte obtenue, on va pouvoir évaluer les énergies les plus porteuses et donc savoir comment se positionner pour obtenir un résultat optimal. Par exemple, une négociation peut être plus favorable à telle date, à tel horaire, dans tel endroit, en adoptant telle position (comme se mettre dos au nord...). Le troisième, le Qi Men Dun Jia Feng Shui, va permettre, toujours à partir d’une charte, de faire le diagnostic d’un lieu à distance. Face à un projet d’achat immobilier, par exemple, est-ce que cette maison est adaptée pour moi à l’instant T ? Ou quels sont les éléments qui peuvent influencer ce lieu et ses habitants ? Enfin, quatrième sorte, le Qi Men Dun Jia Destinée part du principe que nous avons tous une déité de destinée (par exemple, le Chef, la Lune, le Serpent, le Phénix, etc.), liée à la date et à l’heure de notre naissance. Celle-ci représente un type d’intuition qu’on reçoit et qu’on doit comprendre dans notre vie. Tous les quinze ans, nous rencontrons une nouvelle déité nous permettant de vivre de nouvelles expériences de vie, comme pour mieux intégrer notre déité de naissance.

« Le Qi Men Dun Jia nous incite à l’utiliser pour être alignés avec ce qu’on est censé accomplir. Personnellement, ma déité est la Lune, ce qui impliquait des expériences d’enseignement et de sagesse. À partir du moment où je l’ai intégrée, tout est devenu plus fluide dans ma vie », témoigne la consultante et formatrice. Instrument de connaissance de soi, le Qi Men Dun Jia est aussi un outil d’aide quotidien très précieux qu’on peut utiliser dans de nombreuses situations. Il peut répondre à tous types de questions : professionnelles, relationnelles, de santé... Est-ce que mon projet est viable et peut aboutir ? Quelles sont mes chances de réussite dans ces études ? Quelle est la meilleure manière de régler telle problématique avec mon conjoint ? Dans quelle direction dois-je aller ? La prise de décision est grandement facilitée par cette pratique. Il suffit parfois de modifier quelques paramètres, dans le présent. Car comme le Yi Jing, le Qi Men Dun Jia agit sur le présent pour aller vers un futur qui nous convient davantage. « Mais attention, cette pratique ancestrale chinoise s’inscrit dans une vision du temps cyclique, et non linéaire. Il part du principe que nous devons faire des expériences et que celles-ci peuvent revenir. Il laisse les portes ouvertes et intègre le mouvement de la vie. En utilisant à la fois l’expertise et l’intuition, il dévoile vos différents potentiels pour élargir les possibles du futur. Ses champs d’application sont extrêmement riches et variés. Et comme le Qi Men Dun Jia permet d’être plus en phase avec ce qu’on doit accomplir dans notre vie, cette dernière n’en est que plus fluide ! », conclut Sylvia Cordonnier.