L’étymologie du mot chamane est aussi complexe que sa définition, l’origine même du mot n’étant pas certaine. Il existe plusieurs hypothèses, la plus répandue fait référence au çaman de la langue toungouse – parlée par quelques peuples de Sibérie – qui signifierait soit « celui qui sait » ou bien « celui qui s’agite », évoquant sans doute des danses rituelles. Une autre piste, moins connue, relie le mot au sanskrit shramana qui désigne un moine errant. Ce flou dans l’origine étymologique montre bien la difficulté d’appréhender une notion protéiforme, décrite à l’origine au XIX^e puis au XX^e siècles, dans des rapports d’observations d’ethnologues occidentaux.

Ainsi le chamanisme apparaît comme une notion au départ universitaire, aux côtés du totémisme et de l’animisme, qui est passée dans le langage courant suite à son essor dans les années 1970. Il n’en reste pas moins que le chamanisme est un assemblage, une tentative de catégorisation ou de description de faits disparates aux origines multiples, internationales et de multi-temporalité. Mais au-delà de ces particularités, il est forcément des points communs pour que le terme chamanisme ait fait son apparition, un chemin humain universel de soin en reliance avec la nature et le subtil que nous allons étudier tout au long de ce dossier.

Une notion d’anthropologue

Indéniablement, il y a autant de chamanismes que de régions sur terre, associés pourtant aux peuples dits « natifs » ou « premiers », ou encore « racines », autrefois injustement caractérisés « sans Histoire » ou « sans écriture ». Des populations qui seraient restées connectées à leur héritage ancestral (mais sans Histoire ?), en lien avec la nature et des méthodes de soins séculaires, transmis dans les familles de manière inchangée depuis des millénaires, or c’est un peu plus complexe que cela. Les sciences sociales peinent à définir les pratiques malgré tout spirituelles de ces peuples parce qu’elles échappent à la catégorisation tentante de religion (qui doit comporter doctrine, liturgie, clergé...). La spécialiste Roberte Hamayon rappelle aussi que pour brouiller encore plus les pistes « les chamanes entremêlent à leur pratique des éléments des religions universalistes » que sont le christianisme, l’islam ou le bouddhisme par exemple. En effet, de multiples régions ont subi le messianisme, pour ne pas dire une totale tentative de conversion. De manière habile et aussi par instinct de survie, le chamanisme dans de nombreux cas, n’a semblé éprouver aucune difficulté à adopter les saints importés et à les mêler aux esprits locaux. À noter également que partout ailleurs dans le monde, ceux que nous appelons « chamanes » ont en général une autre appellation, souvent plus proche de la traduction de « sorcier » ou « guérisseur » ou encore « devin », on reconnaît ainsi les mots curandero, ou medecine man (homme médecine) pour les plus connus.

Les premiers regards psychologiques

Les sciences sociales du XX^e siècle utiliseront les études des peuples dits « primitifs » pour élaborer toutes sortes de théories ayant trait à la psychologie humaine, croisant le savoir issu de ces sociétés – qui seraient les témoins de ce que l’humain aurait été autrefois – et les connaissances de ce que nous serions maintenant. Sans juger de l’exactitude de ce postulat quelques peu ethno centré et sans doute biaisé que la technologie et les avancées scientifiques feraient de nous des êtres plus « contemporains » que des sociétés restées « traditionnelles », de nombreuses théories ont fait jour. Ainsi, le célèbre psychanalyste Sigmund Freud a étudié les phénomènes chamaniques et en a conclu à l’époque, que le chamane était en proie à des symptômes névrotiques dont les manifestations « magiques » relevaient de l’hystérie, ou encore de délires psychotiques à tendance épileptoïdes. Pourtant ses premiers travaux ont été faits grâce à l’hypnose qui est de fait un état modifié de conscience, afin d’obtenir des réponses mais de l’inconscient et non pas d’un monde parallèle peuplé d’esprits. (...)