Après une exposition au quai Branly, un film documentaire en partenariat avec le musée parisien, Chamans, Les Maître du Désordre, nous emmène à la découverte d’un monde qui apaise, soigne et guérit. Un monde qui défie la mort pour rétablir l’ordre. Qu’est-ce que le désordre ? Comment expliquer l’efficacité thérapeutique des cures chamaniques ? Pourquoi, au XXIᵉ siècle, certains malades envisagent-ils la guérison en se tournant vers la transe ?
Savoirs ancestraux
Chamans, les maitres du désordres
Partout dans le monde et depuis des millénaires, le chamanisme figure parmi les médecines les plus ancestrales, mais aussi parmi les premiers moyens que l’être humain a su développer pour entrer en contact avec le sacré. Intermédiaires entre les mondes spirituels et le monde des hommes, les chamanes intervenant comme protecteurs, guérisseurs ou devins, auraient la capacité de négocier avec les esprits et de dialoguer avec les forces de l’ombre et du chaos pour soigner les personnes souffrant d’un désordre -la maladie, le désarroi, le malheur qui transforment chez tous les êtres humains leur rapport au monde. C’est ainsi que ces intercesseurs ont été surnommés « les maîtres du désordre », par l’anthropologue Bertrand Hell, spécialiste du chamanisme et de la possession, conseiller scientifique de l’exposition Les Maîtres du désordre au Musée du Quai Branly à Paris. Selon lui, « les chamanes incarnent la transgression et la source de leurs pouvoirs vient du fait qu’ils soient marqués par le désordre. » Quel que soit le continent, quelles que soient les couleurs que revêtent ces traditions selon les pays, leur vocation est la même : restaurer l’équilibre, rétablir l’ordre. Pour les chamanes, la notion de maladie n’existe pas telle que nous la concevons. Pour eux, ce sont des « forces extérieures » – esprits indésirables ou blocages énergétiques – qui viennent rompre cet équilibre, et qu’il faut évacuer pour parvenir à restaurer l’harmonie entre le corps et l’esprit du patient. Dans ce compromis permanent entre turbulence et raison, les rites sont le mode privilégié de négociation avec les figures du désordre. Au son du tambour, grâce à des danses ou à l’ingestion d’un breuvage psychoactif tel que l’ayahuasca, le chamane entraîne avec lui son patient dans une transe lui permettant d’accéder à un état modifié de conscience, de casser l’ego, et d’aller à la rencontre de son être profond. Après une exposition au quai Branly sur les chamanes, un film documentaire en partenariat avec le musée parisien, Chamans, Les Maîtres du Désordre réalisé par Jean-Michel Corillion, nous emmène au Maroc à la découverte d’un monde qui apaise, soigne et guérit. Un monde qui défie la mort pour rétablir l’ordre. Un voyage en compagnie d’Abdellah. Le vieux chamane soulage de nombreuses personnes en accomplissant, lors de cérémonies spectaculaires appelées « Lila », les rites nécessaires pour apaiser les djinns, ces esprits maléfiques qui investissent le corps des hommes et exercent sur eux leur pouvoir pernicieux. Ces patients entrent en transe, hurlent, se tordent sous les convulsions… avant de trouver l’apaisement.
« Cette cure chamanique est un principe de remise en ordre par des états censés décoller l’individu de la vie ordinaire pour lui faire redécouvrir ce qu’il est lui-même et le mettre en contact avec des forces cosmiques, susceptibles de le rétablir dans un ordre qui est celui de sa vie ordinaire, commente Vincent Delecroix, maître de conférence à l’EHESS, spécialiste des philosophies des religions, qui intervient dans le bonus du film. C’est un détour nécessaire, car l’organisation de l’individu est elle-même en connexion ou en harmonie avec le cosmos, un monde auquel l’individu est intégré. Tout type de maladie est un moment de désordre par rapport à cette intégration dans le cosmos. Il s’agit de rétablir cette connexion et cette intégration au cosmos. Il y a là un paradoxe, celui de combattre la perturbation ordinaire par une surperturbation, où on est obligé de passer à un niveau supérieur et parvenir à un état modifié de conscience, à un ordre supérieur qui est un désordre. On plonge dans l’abîme pour reproduire de l’ordre. »
Comment ces pratiques peuvent-elles avoir une efficacité thérapeutique ? La croyance est-elle la force du chamanisme ?
« Pour que ça fonctionne, Marcel Mauss avait posé dès 1920 une relation en triangle : il faut que le thérapeute soit convaincu de son pouvoir, que le patient le soit aussi, et qu’ils baignent tous deux dans l’assentiment de l’opinion collective, explique l’anthropologue Bertrand Hell. Dans les années 1960, Claude Lévi-Strauss a ensuite pensé que la relation entre patient et thérapeute se jouait autour des symboles, que la cure permettait de donner forme à l’innommé grâce à ses signifiants – ce qu’il a appelé “l’efficacité symbolique”. Aujourd’hui, les études d’imagerie cérébrale nous montrent que le système nerveux central et le système immunitaire sont connectés. Donc, si l’on agit directement sur le premier – même sans passer par le cortex ou le néocortex – on peut provoquer une réaction du second. Cela signifie que les chamanes peuvent agir en dehors du registre de la croyance. Ils peuvent être efficaces même avec d’invraisemblables bricolages : au Pérou, ils mêlent leur expérience de l’ayahuasca avec des symboles chrétiens, du chamanisme andin, des symboles pentecôtistes… Ce méli-mélo n’a aucune cohérence intellectuelle, mais il fonctionne ! Et ce n’est pas l’analyse structurale des mythes ou des croyances qui nous permettra de comprendre comment. C’est plutôt la nature de la relation entre thérapeute et patients qu’il nous faut observer, en méditant notamment sur le concept d’imagination active. La cure chamanique a la capacité d’activer chez le patient des perceptions émancipées de ses cadres logiques habituels. Pour l’aborder, la communication non verbale joue un rôle essentiel. À un certain niveau de conscience ou de présence au monde, l’ordre et le désordre entrent en mouvement dialectique. »
Pourquoi au XXIᵉ siècle, certains malades envisagent-ils la guérison en se tournant vers le chamanisme et la transe ?
« Au-delà des cultures et des époques, perdure pour l’Homo sapiens sapiens la quête de sens, répond Bertrand Hell. Dans notre organisation psychique, on pense le monde comme étant habité par quelque chose qui nous dépasse. L’évolution de nos sociétés nous montre que plus la biomédecine se développe, plus les gens décèlent des lacunes, car ils n’obtiennent pas toutes les réponses à leurs questions, concernant notamment sur la cause de leur mal-être ou de leur maladie. Poussés par la transcendance, ils cherchent alors des réponses ailleurs. Je dirais aussi que pour l’homo sapiens sapiens le lien à la terre reste essentiel. L’homme a besoin de se (re)connecter à la Nature. Or, le chamanisme opère des rituels avec les arbres, les plantes, les sources d’eau… la clé de voûte du chamanisme est que nous appartenons au règne du vivant. L’homme moderne s’est cru maître du monde, le chamanisme ramène l’homme à sa véritable échelle, et renverse cette perspective de la place de l’être humain dans la nature. »
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