Parfois, les sagesses asiatiques nous inspirent. Que disent-elles sur les prédictions et les divinations ? Comment est-ce possible et sont-elles utiles ? Des spécialistes répondent à ces questions d’ordre philosophique et pratique.
Depuis des millénaires, les prophéties existent dans les sagesses asiatiques. Que cela soit les prédictions védiques ou bouddhiques, à très grande échelle – l’avènement du bouddha Maitreya prévu vers l’an 5 000 quand la sagesse aura disparu du cœur des humains, ou les âges du Kali Yuga (voir l’article de Catherine Maillard :
Kali Yuga, traverser l’âge sombre selon la sagesse védique) décrits en cycles évolutifs faits d’expansions et de résorptions dans le Védanta – ou à petite échelle, et ceci relève plutôt de la divination, quand un humain souhaite des éclaircissements sur son chemin. Le célèbre maître bouddhiste Padmasambhava (717-762) écrit : «
Lorsque l’oiseau de fer volera et que les chevaux de fer courront sur les routes, le peuple tibétain sera dispersé comme des fourmis à travers le monde, et le dharma arrivera au pays des hommes rouges [les pays occidentaux]. »
Plusieurs questions découlent de ces besoins de prédiction. Tout d’abord, le rapport au temps, qui est clairement décrit dans les sagesses indiennes et qui explique la relation entre l’éther et l’information, ou comment il est possible de « lire » les événements. Ensuite, la possibilité pour un humain « éveillé » de ressentir ces informations, de les transmettre ou même d’en avoir besoin engendre un véritable questionnement philosophique. Lire dans le temps, comprendre l’espace, c’est-à-dire le maillage des mémoires universelles et individuelles, cheminer avec le champ des possibles, toutes ces capacités de l’esprit ne font que refléter un rapport aux craintes et à l’espoir. Accepter les nombreux paradoxes que ces positions engendrent ne fait que confirmer à quel point nous avons besoin de nous inspirer des maîtres qui finalement s’en sont affranchis.
Avoir une appréciation exacte de ce que signifient les prophéties est indispensable pour ne pas céder à la fascination qu’elles pourraient engendrer, comme le rappelle le spécialiste Armin Risi : «
Les textes sanskrits ne sont pas des écrits prophétiques comme la Bible, car leur thème principal est la connaissance de soi et de Dieu, c’est-à-dire ce qui est toujours pertinent pour l’homme ici et maintenant. La prophétie védique la plus importante dit : nous vivons aujourd’hui dans un Kali Yuga, dans une “ère de la division”. Nous retrouvons ce mot-clé à travers les nombreux Purana
du sanskrit et également dans la grande épopée Mahabharata. » Car finalement, les prédictions permettent de mieux appréhender les événements, de les comprendre pour se préparer à ce qui advient.
Le bouddhisme et les prophéties
La tradition bouddhiste est totalement liée aux prophéties, et cela à plusieurs niveaux. Tout d’abord, des maîtres traditionnels tels Milarépa ou Padmasambhava sont connus pour en avoir énoncé de nombreuses. Ensuite, la tradition de la réincarnation et la reconnaissance des
tulkus (individus qui sont la réincarnation d’un maître précédent) nécessitent des prophéties. Lorsqu’un maître quitte son corps, il laisse des indications à ses disciples afin d’être retrouvé dans son incarnation suivante. «
Aujourd’hui, dans le monde tibétain, les prophéties ont encore une place extrêmement importante, justement parce que cela peut décider d’une réincarnation ou d’une autre, etc. Mais il y a des maîtres qui vont s’en servir davantage, et le problème des prophéties, c’est qu’elles doivent être interprétées avec justesse. Elles ne sont jamais limpides, même si elles sont extrêmement importantes, tout va dépendre de leur interprétation », explique Lama Jean-Marc Falcombello, qui dirige un centre bouddhiste Kagyu à Genève.
De ces interprétations vont parfois découler nombre de conflits et de tensions politiques qui sont très importantes pour des lignées entières de maîtres. C’est arrivé récemment avec la controverse autour de la reconnaissance de la réincarnation du XVII
e Karmapa. «
Les prophéties ont aussi une place déterminante dans la pratique spirituelle d’un individu dont la réalisation est déjà profonde. Dans sa pratique, il va recevoir des indications sur son activité future, sur la manière dont il la manifestera, l’endroit où il doit aller, etc. Il serait difficile de lire une hagiographie sans tomber sur une dimension prophétique », précise le lama. (...)