Le contrôle des sociétés occidentales s’accroît de plus en plus. Une manière de vivre qui en dit long sur le déni d’une partie d’entre nous face au risque, à la mort, la maladie et la vieillesse, dont la peur est sous-jacente. Pourtant, cette dernière est aussi bien un frein qu’une opportunité.
Le besoin de contrôle masque-t-il non pas une force, mais une fragilité extrême ? Notre vie quotidienne, telle que nous l’avons connue, est en train de se modifier radicalement. Les réactions aux attentats, aux événements climatiques intenses et à la récente pandémie conduisent à la mise en œuvre de procédures sophistiquées et de restrictions, comme le plan Vigipirate et les mesures anti-Covid.
Notre rapport au temps laisse ainsi place à une culture militaire du choc, de la protection et du risque. Celle-ci est encouragée par les médias sociaux qui nourrissent cette culture de la réactivité. À l’école, en entreprise, les mesures de protection se superposent les unes aux autres, la société de surveillance se déploie à travers nos moindres déplacements. Cette culture de la protection concerne jusqu’à nos prises de parole et nos mots que nous craignons de plus en plus d’exprimer. Georges Orwell, avec son livre dystopique
1984 ou Aldous Huxley, l’auteur du
Meilleur des mondes, prédisaient l’instauration d’une société de surveillance.
Les chocs : des suspensions du temps
Ces chocs répétés marquent des ruptures dans le temps : un attentat ou une pandémie ne s’attaquent pas à ce que nous possédons, mais bien à ce que nous sommes. À cause du choc qu’ils produisent, ils nous tendent aussi une question : qui sommes-nous ? Que voulons-nous individuellement et collectivement ? Ces chocs réveillent la peur de disparaître, par là même, ils nous amènent à nous interroger ou à nous surprotéger. Le philosophe Emmanuel Levinas affirmait que la violence ne détruit pas seulement physiquement : «
La violence ne consiste pas tant à blesser ou anéantir qu’à interrompre la continuité des personnes, à leur faire jouer des rôles où elles ne se retrouvent plus, à leur faire trahir leur engagement et à se vider de leur substance. » Arthur Desnouveaux est un survivant des attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan, date depuis laquelle la France vit en état d’urgence permanent. Il partage son regard sur la société actuelle : «
L’état de choc amène une suspension du temps, qui coupe du passé, du présent et de l’avenir. À travers la pandémie, certains ont vu une invention maléfique des gouvernements pour se maintenir, d’autres ont vu une punition divine... Ils ont tous raison. Nous vivons le stade ultime du monde d’hier et un stade premier du monde de demain. » Est-ce que les chocs peuvent accélérer des prises de décision existentielles ? Le choc, voire le traumatisme, crée une suspension, une rupture dans le temps. Ils attaquent l’espoir, notre être profond est bouleversé, suspendu. Nous sommes alors plus perméables, soit à des formes d’abus, quitte à accepter l’inacceptable, soit à une transformation de nous-mêmes. Le bouleversement est tel qu’il fait naître un nouveau regard d’où jaillissent des solutions alternatives et de l’élan pour changer de vie. La crise devient opportunité.
C’est ça, notre avenir, des sociétés de contrôle et non des sociétés de discipline.
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