Le charisme se vend mieux que la sagesse sur le marché français de la
spiritualité, un constat qui compromet l’authenticité des enseignants
spirituels que fabrique le monde moderne. Alors, à l’heure où les
gourous courent les rues, comment distinguer le porteur de sagesse de l’imposteur ?
Le charisme donne à
celui qui le possède un pouvoir
en plus, un
soft power pénétrant
qui séduit et enveloppe. Souvent
inoffensif, le charisme devient
pourtant un moyen redoutable
de faire accepter l’inacceptable auprès
d’un public fasciné.
Coach, néo-gourou, faux maître, enseignant
spirituel, la vitrine séduit
plus que le message, et quelques
manipulations savantes permettent
à un groupe entier de
tomber sous influence. Comment
se traduit cette dérégulation totale
de la spiritualité ? Quels sont les
enjeux d’un tel business ? L’appartenance
à une lignée spirituelle
encadrée est-elle encore garante
de la sagesse ?
Quand le mythe
du surhomme continue
de séduire
L’individu charismatique «
subjugue
par la toute-puissance de sa
pensée et de ses dons surnaturels et
extrasensoriels », détaille Delphine
Guérard, psychologue clinicienne
spécialisée dans le phénomène de l’emprise et experte auprès des tribunaux.
Si toutes les personnes
dotées de charisme n’en font pas
un usage pernicieux, certains cas,
encore trop nombreux à en croire
leurs victimes, usent d’une puissante
expression de leur identité de
surhumain à des fins illégales, ou
tout simplement immorales. C’est
ainsi que Delphine Guérard décrit
cet individu « réalisé » qui «
se positionne
comme un “surhomme” ; il
sait affirmer sa grandeur et sa supériorité. » Elle le précise, l’individu
«
se présente comme un véritable magicien : doté de dons psychiques, de
pouvoirs surhumains et surnaturels, il
est capable de faire des choses uniques
et prestigieuses. »
Une caractéristique
que l’on retrouve à des intensités
variables dans diverses situations
de fascination et d’emprise, comme
celles exercées par les néo-gourous
ou les faux maîtres. Les premiers
sont autoproclamés et sont protéiformes.
Ils peuvent tant prendre le
rôle de maître de secte que celui de
coach, de guide, de thérapeute ou
d’enseignant spirituel. Les seconds
ont cette particularité d’avoir été
légitimés par une transmission religieuse ;
ils sont généralement reconnus
par leurs pairs et par l’institution
qui les forme. Dans tous ces
cas, la fascination est réelle et l’élève
est séduit par cet élu qui se présente
à lui.
L’individu charismatique subjugue par la toute-puissance de sa pensée et de ses dons surnaturels et extrasensoriels.
Le néo-gourou,
appelez-le « coach »
Le gourou du XXI
e siècle se présente
en jean et baskets, il est familier,
chaleureux, prend la voiture, fait
ses courses, bref, c’est monsieur et
madame Tout-le-Monde, à cela
près qu’il utilise son charisme pour
créer un phénomène d’emprise. Il
n’est pas thérapeute, ne soigne pas
et ne fait pas de consultations individuelles,
non, il guide et dirige des
séminaires aux allures de messes.
«
Il ne prenait que des groupes de 30 à 50 personnes au moins, à 1 200 euros
le week-end d’immersion. Tout est
organisé au millimètre près par un
staff
hyperperformant, lui (le coach)
n’arrive que pour faire son show
. Parfois
il se disait coach, parfois enseignant,
parfois guide. Je me souviens
surtout de cette proximité déroutante et très agréable entre tous les participants,
mais aussi de la ferveur et de
l’admiration. C’était une ambiance
unique, tellement unique qu’on se
sent immédiatement perdu et déprimé
en reprenant le cours normal de
la vie », confie Évelyne (le prénom
a été modifié), 38 ans, responsable
communication dans l’automobile
et mère célibataire de deux enfants.
Cette période de sa vie était habitée
par un besoin de reconversion
professionnelle et de connexion
humaine profonde qui la fit adepte,
non pas d’une secte, mais d’un
coach en
mindset. «
Après 9 600 euros
dépensés et une psychothérapie
pour me sortir de ce cercle vicieux,
je me rends compte aujourd’hui que
tout est organisé pour qu’on se sente
enfin compris, enveloppé. C’est une
mise en scène sensorielle très étudiée
en amont. Tout est orchestré. Non, il
n’y a rien qui ressemble à de la sagesse
dans ce genre d’événement. De mon
côté et du côté de certains contacts que
j’ai gardés, rien n’a changé dans leur
vie ni dans la mienne, la promesse du
coach n’est pas tenue. Il me reste juste
une certaine culpabilité à n’être que ce
que je suis », conclut-elle.
Le périmètre professionnel du coaching
est nébuleux. La formation
est optionnelle et « l’école de la
vie » fait souvent office de certification
à l’exercice de la fonction.
En France, selon le dernier rapport
de l’OPIIEC (2022), le marché
du coaching est très dynamique,
avec une croissance annuelle de
10 % et un chiffre d’affaires, pour
la profession, estimé à 750 millions
d’euros pour l’année 2022. Une
bonne nouvelle pour les quelque
15 000 coachs professionnels en
activité sur le territoire. En effet, si
l’on peut se réjouir que la majorité
des coachs soit bien intentionnée,
derrière l’homme ou la femme qui
détient les clefs de la réussite se
cache parfois une organisation très
lucrative. En 2017, un reportage
d’une grande chaîne de télévision
française dénonçait les abus financiers
et les pratiques
borderline d’une
organisation de coaching ayant à sa
tête un très « charismatique » coach.
La parole s’est alors libérée autour de
ces dérives liées à l’activité. Ainsi, la
Miviludes, la Mission interministérielle
de vigilance et de lutte contre
les dérives sectaires, a reçu une trentaine
de signalements dus à l’activité
de ce personnage. Mais plus stupéfiant
encore, environ 20 % du total
des signalements effectués auprès de
la Miviludes sont liés à l’activité de
ces prétendus coachs ou néo-gourous.
Alors, quel public consomme
ces séminaires à sensations fortes et
prix exorbitant ?
L’individu « extrodéterminé » : le bon
consommateur de
spiritualité moderne
«
Il y a un public pour ces nouveaux
gourous, explique Delphine Guérard.
Les Occidentaux qui adhèrent
à ces discours ont un réel besoin de
développement personnel, mais il reste
frivole, superficiel, à coup d’outils et
de techniques. Ils ne sont pas dans
une véritable démarche spirituelle,
bien plus longue et profonde. » Souvent,
le client cherche à combler
un vide, une faille, à panser une
blessure. Mais la démarche doit
être rapide. Quiconque participe à
ces programmes de développement
personnel ou de coaching en ligne
en ressort doté des clefs du succès.
La promesse est alléchante pour ce
public fasciné par la réussite et le
bonheur.
(...)