La semaine a été dense. Pourtant, ce vendredi soir, au lieu de rentrer de chez moi, je prends le métro en direction de la butte Montmartre. C’est un soir d’équinoxe, et la lune est puissante. La fatigue aidant, déjà, l’émotion se fait jour. Je vais passer la nuit au sein du Sacré-Cœur. C’est une drôle de basilique, le Sacré-Cœur.

Perchée sur une colline, dominant la ville de sa rondeur et de sa blancheur, comme un phare dans la nuit parisienne. À ses pieds, l’agitation des quartiers populaires. Pigalle. Barbès-Rochechouart. Les peep shows, les bars à hôtesses, les vendeurs de cigarettes à la sauvette. Je rejoins deux amis, venus de Perpignan. Deux grands sensitifs, deux personnes de cœur. L’un est l’ostéopathe François Bonnal, auteur notamment d’un livre nommé Se reconnecter à son âme. L’autre est Catherine (Cathy) Martin, clairvoyante et auteure, entre autres, de Vivre au-delà de nos croyances.

Un relais de prière

Sur les marches de la Butte, comme toujours, il y a du monde. Quand je me sens seule, parfois, je viens là nourrir mon spleen des lumières de Paris et des rires des touristes. Mais ce soir, c’est de l’autre côté de la basilique que nous sommes attendus, rue du Chevalier de la Barre, en face du Carmel de Montmartre.

Sonnette. « Pour les nuits d’adoration, c’est ici ? » demandons-nous. « Absolument ! Je vous ouvre. » Dans l’entrée, deux sœurs hilares assurent l’accueil. « Vous êtes déjà venus ? » « Moi oui, il y a deux ans. Pour mes amis, c’est une première. » Le hall fourmille de monde. Des jeunes, des moins jeunes. Des femmes en solo, des groupes d’adolescents encadrés par un prêtre…

« La dernière fois, nous étions moins de dix participants », remarqué-je. « Désormais, nous accueillons une cinquantaine de personnes par nuit, répond la sœur. Un véritable revival de l’adoration ! » « C’est fou, dit François, on sent déjà beaucoup de bonté. » « Et de joie », ajoute Cathy. Est-ce cela que les gens viennent chercher ? La prière d’adoration existe dans de nombreuses églises, en France et dans le monde. Adorer : du latin ad orem, « à la bouche ». Référence étymologique à un geste de déférence et d’amour. Un hommage, en quelque sorte. Ou plus exactement, selon les sœurs de la basilique, « un cœur à cœur avec le Seigneur ».

« C’est un rendez-vous, explique l’une d’elles. Chaque participant, à son arrivée, s’engage à prier au moins une heure dans la nuit, entre 23 heures et 6 heures du matin, au créneau qu’il aura choisi – en veillant à ce que le relais de prière soit toujours honoré. » Prière au sens large : ici, personne n’est tenu de réciter une litanie de Notre Père ou de Je vous salue Marie. Là est peut-être le charme des nuits d’adoration : il ne s’agit pas d’appliquer un dogme, mais de prendre le temps d’une relation intime, sincère, avec les forces en présence… « Soyez à l’heure, sourit la sœur. Ce n’est pas un entretien d’embauche : c’est le Seigneur qui vous ouvre les bras. »

Cœur magnétique

Au Sacré-Cœur, la prière d’adoration est continue depuis le 1^er août 1885. « Elle a débuté avant même la fin de la construction de la basilique, dans la chapelle du chantier, précise une sœur. Depuis, elle n’a jamais été interrompue, pas même durant les deux guerres mondiales. » Une seule exception : le Vendredi saint – anniversaire de la crucifixion de Jésus.

Une fois les sacs posés dans les dortoirs de l’hôtellerie du Sacré-Cœur, filles d’un côté, garçons de l’autre, direction la basilique. Il est 21 h 30, les sœurs chantent les complies. Un prêtre arrive pour le dernier office. Son discours est sévère, austère. Et l’on se surprend à penser : « Mais où est la joie de tout à l’heure ? Pourquoi ne sont-ce pas les sœurs qui assurent la messe ? » À 22 h 45, le prêtre invite les derniers fidèles à rentrer chez eux. L’église se vide, les gens boutonnent leur manteau en jetant un regard au Christ peint sur la voûte. « La basilique ferme ses portes, mesdames et messieurs, les pressent les gardiens. S’il vous plaît. Nous habitons loin, nous aussi. »

(...)