L’affaire de Trans-en-Provence constitue pour certains ufologues le meilleur cas de rencontre rapprochée du deuxième type au monde, même si des critiques n’y voient qu’un simple canular. Le dossier conserve en tout cas sa particularité et son intérêt parce qu’il a mobilisé à l’époque de vrais moyens coordonnés par le GEPAN (Groupe d’étude des phénomènes aérospatiaux non identifiés),et impliqué plusieurs laboratoires scientifiques. Une rencontre rapprochée du deuxième type (ou RR2) se distingue de l’observation simple d’un ovni (RR1) et de l’observation d’occupants (RR3) en ce qu’elle laisse des traces matérielles, qui peuvent être des échos radar, des effets physiques sur l’environnement ou des traces au sol. Ces deux derniers éléments font partie du dossier de Trans-en-Provence et sont même au cœur de toute l’affaire puisque leur examen a conduit à conclure à la possibilité qu’un
« événement de grande ampleur » a pu se produire sur le site. L’effort scientifique s’est tout entier concentré sur l’analyse d’une trace au sol, attribuée à la présence d’un objet non identifié observé par un témoin sur son terrain. C’est ce qui fait la force de ce cas qui reste emblématique dans le domaine de l’étude des ovnis, parce que les analyses donnent des résultats extrêmement nets. Dès lors,
« le cas de Trans-en-Provence a provoqué des débats d'une violence inouïe entre ufologues, le GEPAN et les sceptiques, souligne l’ufologue Eric Zürcher.
Cet acharnement, véritable “guerre de religion”, était bien sûr induit par les enjeux : pour la première fois, des scientifiques avaient fait une enquête sérieuse, avec analyses, sur des traces d’atterrissage. »
« Deux assiettes renversées »
Le 8 janvier 1981, vers 17 heures, Renato Nicolaï, un maçon italien en préretraite, est en train de travailler sur son terrain à la construction d’un abri pour une pompe à eau. Son attention est soudain attirée par un sifflement en provenance de l’est. Au-dessus d’un pin, il aperçoit un objet en forme de
« deux assiettes renversées l’une contre l’autre », de couleur sombre. Puis l’objet semble tomber à grande vitesse quasiment à la verticale au-dessus d’une parcelle de ce terrain aménagé à flanc de colline, en contrebas de l’endroit où se trouve le témoin. Celui-ci se rapproche et se retrouve à une quarantaine de mètres de l’objet qui lui semble désormais posé, au sol ou immobile au-dessus du sol.
Presque aussitôt, l’objet s’élève à nouveau dans les airs très rapidement, sans bruit, puis disparaît derrière la forêt. Le témoin a juste le temps de relever qu’il est d’apparence métallique, qu’une
« nervure » se trouve sur sa circonférence et qu’on distingue en dessous quatre
« pieds » ou des
« réacteurs » qui ont la forme de seaux à l’envers. Deux autres cercles évoquent des
« trappes ». La taille de l’objet est estimée à 1,50 mètre de hauteur et 2,50 mètres de diamètre. L’observation a duré moins d’une minute. C’est la voisine de M. Nicolaï qui a prévenu les gendarmes car elle s’intéresse aux ovnis et sait la compétence des militaires sur ce point. Elle-même a été prévenue par l’épouse du témoin, d’abord sceptique, mais convaincue le lendemain de l’observation par les traces qu’elle et son mari découvrent au sol à l’endroit où il a vu l’objet. Il s’agit d’un cercle de deux mètres de diamètre tracé par une ligne de dix centimètres de largeur environ. Les deux marques les plus nettes, blanchies, évoquent un « ripage » de pneumatique, comme un pneu qui aurait dérapé, notent les gendarmes.
L’objet s’élève à nouveau dans les airs très rapidement, sans bruit.
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Découvrir notre odysséeHaute définition
En 2013, des enquêteurs du CRUN (Centre de recherche ufologique niçois) se sont procuré les fameuses photos de la trace prises par les gendarmes, mais pour la première fois en haute définition. Publiées par un magazine, elles montrent une trace bien visible et peu compatible avec l’hypothèse dite de « la bétonnière » avancée à l’époque. Comme l’écrit l’ufologue Fabrice Bonvin dans l’article qui accompagne la publication des images :
« La qualité des photographies originales permet d’attester catégoriquement de la masse imposante de l’objet, démolissant les arguments des sceptiques. » Pourquoi ces photos n’ont-elles jamais été rendues publiques ? :
« Manque de sérieux ou volonté de noyer le poisson ? »
À ce jour, Fabrice Bonvin estime que le cas reste solide :
« Quand on lit le rapport du Pr Bounias, qui parle de perturbations biochimiques, cela laisse très peu de place au doute sur le fait qu’il s’est passé quelque chose de grande ampleur, comme le dit le rapport du GEPAN. » Toutefois, de la part de l’organisme du CNES (Centre national d’études spatiales), n’avoir pas diffusé plus tôt, cette qualité d’image relève
« soit de la négligence », selon Fabrice Bonvin, soit d’une volonté de
« ne pas faire de bruit autour de cette affaire ». C’est pourquoi il faut se replonger dans le contexte de l’époque pour bien comprendre le dossier de Trans-en-Provence. En 1981, l’existence du GEPAN est menacée par l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand car son équipe n’y serait pas favorable. Il sera finalement remplacé en 1988 par le SEPRA (Service d’expertise des phénomènes de rentrée atmosphérique) qui héritera de la gestion du cas. Mais ce service a toujours été critiqué par les uns pour n’être qu’un guichet de relations publiques, alors que d’autres le fantasment en équipe du FBI sur les dents 24 heures sur 24. Quoi qu’il en soit, à l’époque, un contrat vient d’être signé avec des organismes scientifiques pour effectuer des recherches dans le cadre de l’investigation de cas d’observation, et le dossier Trans-en-Provence va mettre cet accord en pratique.
« Un événement de grande ampleur »
C’est surtout la façon dont les services ont fonctionné entre eux qui permettra de brandir Trans-en-Provence comme le cas le mieux enquêté de l’histoire de l’ufologie, probablement au niveau mondial. Même si le costume est un peu grand – une part d’amateurisme le dispute à une part d’improvisation –, il se trouve que l’objet d’étude n’est pas anodin. Le GEPAN a coordonné de gros efforts de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) et de plusieurs autres laboratoires pour analyser des échantillons de sol et de plantes, prélevés notamment par les gendarmes dès le lendemain de l’observation. Ceux-ci ont mené un travail exemplaire qui justifie en partie que le GEPAN n’ait pas envoyé d’enquêteur sur place avant un mois, ce qui lui a été reproché. Les analyses de l’INRA ont été menées par le Pr Michel Bounias, alors spécialiste de l’effet des rayonnements sur les plantes. Celui-ci a rendu un rapport manuscrit de soixante pages intitulé « Perturbations biochimiques observées en relation avec l’apparition d’un “phénomène aérospatial non identifié” chez une luzerne sauvage ». Toutes sortes d’analyses ont été réalisées sur les végétaux,
« sur l’ensemble des facteurs de la photosynthèse, les lipides, les sucres et les aminoacides », est-il dit dans le rapport du GEPAN. Les plantes semblent avoir subi
« un vieillissement accéléré ».
Les plantes semblent avoir subi « un vieillissement accéléré ».
L’analyse du sol à elle seule conduit à penser qu’il s’est produit
« un événement de grande ampleur ayant entraîné des déformations mécaniques, un échauffement, et peut-être certains apports de matériaux en trace ». Les analyses biochimiques confirment qu’il existe de nombreuses différences entre les échantillons prélevés près de la trace et ceux prélevés à distance. Michel Bounias parle de
« résultats étonnants » pour ce qui concerne l’échantillon prélevé au centre de la trace circulaire :
« Altération quantitative, [...] apparition de plusieurs composés, [...] augmentation du glucose », et le scientifique conclut en évoquant des « monstruosités biochimiques ».
Entre 300 et 600 °C
Jusqu’à son décès en 2003, Michel Bounias se tiendra à son interprétation des résultats. La thèse sceptique de la bétonnière et du ciment qui auraient pu abîmer les plantes avait aussi été testée à la suite des violentes critiques qu’il avait reçues. L’hypothèse de micro-ondes pulsées a été avancée, mais l’expérience proposée avec le physicien Jean-Pierre Petit pour la valider n’a pas pu être réalisée.
« Non seulement le Pr Bounias n’est jamais revenu sur les conclusions qui figurent dans son rapport mais il a même été plus éloquent, moins réservé, quand il a ensuite été approché par des journalistes ou des chercheurs, souligne Fabrice Bonvin.
Il était clair que quelque chose de vraiment anormal s’était produit sur place. » Au bout du compte, la solidité des observations, photographies, entretiens, prélèvements, analyses, etc., effectués dans le cadre de cette enquête est patente. Spectrométrie, diffractographie, cristallographie, microscopie électronique, biochimie et autres disciplines ont été convoquées. Le rapport final du GEPAN parle d’un phénomène ayant eu un effet mécanique (poids estimé à plusieurs tonnes), thermique (un échauffement entre 300 et 600 °C) et biochimique (altération des plantes). Une débauche de moyens qui constitue en réalité ce que l’on est en droit d’attendre d’un service public et, sauf à remettre en cause la crédibilité des scientifiques impliqués et à considérer qu’ils se sont tous fourvoyés, l’ensemble du travail réalisé sur le cas est tout à fait exemplaire.
La soucoupe typique des années 1950-1960
Un long article a été publié dans le
Journal of Scientific Exploration en 1990, signé par Jean-Jacques Velasco, alors directeur du SEPRA, et accompagné d’un autre article de l’ufologue Jacques Vallée qui s’était également rendu sur place pour rencontrer le témoin et effectuer des prélèvements. Jean-Jacques Velasco présentera le cas lors d’un congrès d’ufologie à Pocantico (État de New York) en 1996, ce qui contribuera à positionner le GEPAN/ SEPRA comme la structure idéale aux yeux de beaucoup à l’étranger.
Vu de France, il en va tout autrement car l’organisme du CNES est constamment pris entre deux feux : il n’en fait
« pas assez » pour les ufologues et
« déjà trop » pour les sceptiques.
« On peut dire que le cas a été pollué, estime Eric Zürcher.
Quelqu’un a même tenté de soudoyer le témoin pour qu’il revienne sur ses dires, mais sans succès. Certains points restent discutables. À quoi correspond la trace circulaire au sol si le témoin dit avoir vu des sortes de pieds sous l’objet ? Peut-être que la trace ne correspond finalement pas à l’objet. Chaque dossier comporte des points faibles et on a le sentiment que le phénomène ne se produit que dans ces conditions, c’est-à-dire qu’il y a au moins un aspect qui permet de le nier. » Dans ces cas-là, on se raccroche à ce qui est solide. Outre les analyses scientifiques très complètes, il faut souligner la constance du témoin qui s’en est toujours tenu à sa version des faits. Aujourd’hui âgé de 88 ans, Renato Nicolaï a récemment quitté la France pour retrouver son Italie natale. Une enquêtrice passionnée par le cas, Marilyne Helck, l’a rencontré chez lui l’an dernier.
« Il m’a accordé une heure d’entretien, se souvient-elle. Il était fatigué mais aussi ému, notamment quand je lui ai demandé s’il rêvait encore de son observation. Il a fait le même témoignage qu’autrefois et il m’a semblé toujours aussi affirmatif et sincère. » Qu’en était-il de la trace ?
« La trace est toujours restée, elle n’a jamais disparu, a confié l’octogénaire,
mais j’ai vendu le terrain et le nouveau propriétaire a fait des aménagements et maintenant elle n’y est plus. »
À l’époque, Renato Nicolaï avait évoqué la proximité du camp de Canjuers, et la possibilité d’un objet militaire. On avait aussi parlé du plateau d’Albion, site de lancement de missiles stratégiques, situé plus au nord-ouest… La forme de l’objet est à la fois banale et étonnante.
« C’est la soucoupe volante typique des années 1950-1960, note Fabrice Bonvin,
et c’est un des derniers cas d’atterrissage, dans une région réputée pour les observations. En même temps, c’est une période calme au plan ufologique et où régnait un grand scepticisme, avec des livres qui avaient socialisé les observations. » L’irruption de cette soucoupe « tôles et boulons » va donc rebattre les cartes.