«
L’enfant, un cadeau, une opportunité d’un
monde plus sensible, pour vivre selon la
voie du coeur », affirme Saverio Tomasella,
docteur en psychologie, fondateur
d’un observatoire sur l’ultrasensibilité.
«
L’enfant nous dépouille de nos certitudes, celles
de l’ego, pour nous ouvrir à une profonde sagesse
», partage le Dr Serge Marquis, spécialiste
de la santé mentale, au Québec. «
Aidez-les à
grandir et vous allez grandir avec eux », assure
Armelle Six, enseignante dont le décès de son petit
garçon en 2001 a suscité chez elle un certain
éveil spirituel. Les spécialistes unissent leur voix
sur la capacité qu’a l’enfant de nous « élever », de
nous transformer, alors que nous cherchons sans
cesse de nouvelles méthodes d’éducation « positive
» pour lui donner toutes ses chances dans
la vie. Dans cette profonde mutation où les modèles
parentaux sont bousculés et la figure d’autorité
du père remise en question, où l’écoute
et le dialogue sont recommandés, il semblerait
que nous ayons à retrouver les fondamentaux de
la relation parent-enfant. Le monde doit changer
et nos enfants s’y emploient de l’intérieur,
nous poussant à nous réinventer, pour un retour à l’essentiel. C’est indéniable, les enfants
d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Et si la
nouvelle parentalité était en réalité une extraordinaire
aventure initiatique, à vivre ensemble ?
Enquête en toute innocence.
Être parent : guérir
son enfant blessé
En tant que parents, nous avons un rôle fondamental
dans l’évolution du monde. Accompagner
des enfants, les aider à être qui ils sont
vraiment, c’est avant tout s’autoriser à être
soi-même. Or la plupart d’entre nous se sont
perdus de vue. «
La priorité est de retrouver la
connexion avec soi, alors la relation authentique
avec l’enfant est possible », ajoute notre
spécialiste. Sur ce chemin, une étape est essentielle
: guérir l’enfant blessé en nous. Armelle
Six évoque tous les enfants blessés vivant dans
des corps d’adultes : «
Tant que nous ne le faisons
pas, nous sommes conditionnés à répéter les
schémas transmis par notre arbre généalogique. »
Tant que nous ne mettons pas de conscience
sur ce que l’on vit, nous ne sommes pas libres.
D’ailleurs, avons-nous vraiment le choix ? Véritable éponge, l’enfant n’a de cesse de
nous renvoyer en miroir les symptômes de nos blessures.
S’interroger sur ce « matériau » est un bon
début sur le chemin. Votre enfant est intenable, colérique,
effronté ? Posez-vous la question : qu’est-ce
que je vis, moi, quand je le vois comme ça ? Dès
l’enfance, nous devons bien nous tenir, ne pas faire
trop de bruit, à l’école aussi… Quand il déboule en
trombe dans le salon en faisant l’avion, souvent les
remarques fusent : «
Calme-toi, maman est fatiguée,
papa a eu une dure journée… » Changer de regard
sur la situation est profondément transformateur,
comme en témoigne Armelle Six : «
Aujourd’hui, je
reconnais cette enfant en moi telle qu’elle aurait pu être
vue, reçue, entendue et soutenue, en observant mon neveu,
ma filleule, et tous les enfants que je côtoie. »
Remettre en question
nos conditionnements
C’est un travail de retrouvailles avec soi que nous
propose l’enfant, sans relâche. Il nous amène à
nous poser des questions essentielles. Pour quoi
est-ce que je vibre ? Est-ce que je vis la vie dont
je rêvais, ou celle de mes parents, ou celle que
l’on attend de moi ? Nos enfants ont le pouvoir
de nous ramener à notre vraie nature. «
Quand
il tape des pieds, au lieu de lui crier dessus, excédés,
nous pouvons adopter une autre posture, nous
ouvrir à l’instant présent », propose Armelle Six.
Qu’est-ce que lui sent que je n’entends pas ? Il
va venir nous titiller dans tous les endroits où on
a besoin de conscience pour gagner en liberté.
«
Parce qu’on a envie de leur donner le meilleur,
on va être plus enclin à remettre en question nos
conditionnements », observe Armelle Six.
Au registre
des difficultés rencontrées dans le cadre de
l’éducation, le conflit en est une de taille. «
Nous
avons tendance à croire qu’il faut l’éviter, alors que
bien souvent l’exposer dans le calme et la présence
permet de voir qu’il n’y a rien de grave », soulève-t-
elle. Là où l’autorité, il y a peu, était encore de
mise, aujourd’hui se positionner dans un esprit
d’ouverture peut tout changer. Concrètement, il
s’agit d’ouvrir un espace de communication, dans
la présence, où chacun est écouté sans jugement ;
ce qui permet de ne pas prendre les choses personnellement.
«
Ainsi, ce n’est plus une crise planétaire,
ça fait partie du mouvement de la vie à ce
moment-là ! », conclut Armelle Six. Qu’on ne s’y
trompe pas : devenir parent est un puissant levier
de transformation qui, en réalité, demande
un immense saut dans l’inconnu, où l’expérience
tient lieu de gouvernail, pour garder son cap.
Devenir parent
est un puissant levier
de transformation.
Être parent :
s’ouvrir au monde sensible
«
L’enfant offre une profonde remise en question de
nos représentations du monde, dont on peut réévaluer
le bien-fondé. Il nous aide à regarder où on en
est », pose d’emblée Saverio Tomasella. Dans son
roman Comme un enfant, dédié aux parents d’enfants
hypersensibles, Lisa, maman d’Emma, a
l’impression de se retrouver dans cette petite fille
rêveuse, si sensible, qui écoute très attentivement
et ne parle qu’après avoir pris le temps de réfléchir.
Mais ne serait-ce pas ce que nous devrions tous
faire : rêver, écouter, parler sans précipitation ?
L’hypersensibilité des enfants questionne notre
société, où ils sont perçus comme inadaptés. Et si
c’était eux, la référence ? Qu’ont-ils à apprendre à
leurs parents ? «
D’après de récentes recherches, tous
les enfants naissent avec une sensibilité importante,
certains la développent, d’autres pas », expose Saverio
Tomasella. Une grande majorité d’entre eux
se suradaptent au monde, se ferment au registre
sensoriel, à celui du coeur, et abaissent leur niveau
de conscience. Alors que d’autres gardent intact leur potentiel, le plus souvent à leurs dépens.
«
Ces enfants nous ouvrent grand la porte du monde
sensible et de relations vraies. Il est devenu urgent de
réhabiliter ces valeurs », alerte notre auteur. Pour
les parents, les accompagner est à la fois une opportunité
extraordinaire et un défi.
Qui sont ces enfants hypersensibles ?
«
Ils sont
intuitifs, expressifs, créatifs, avec un registre émotionnel
très développé. Surtout, ils sont très empathiques
», répond Saverio Tomasella. Ainsi, ils
sont affectés par les malheurs du monde, les injustices
; ils posent beaucoup de questions sur la
différence, les migrants, la pauvreté, le racisme.
Ces enfants viennent rappeler aux parents la sensibilité
humaine et les invitent à se questionner à
leur tour.
Alors que ce monde nous pousse à nous
endurcir et à banaliser la violence, eux ne peuvent
s’y résoudre. «
Cet enfant hypersensible agit comme
une loupe, il nous extirpe du matérialisme pour un
mieux vivre ensemble», observe notre romancier.
Ils s’intéressent à la communion, la joie, la convivialité…
Pour Noël, ils vont demander à porter
des jouets dans des associations, ou ils donnent
spontanément leur goûter à un enfant dans la
rue. L’hypersensibilité est un rappel à la solidarité,
pour les parents de ces enfants.
Pour l’accompagner, mais aussi pour vivre avec
lui sa propre transformation, le parent va devoir
sortir de la relation hiérarchique du sachant :
«
L’enfant a besoin d’échanger ses réflexions et ses
états d’âme avec quelqu’un de confiance. » En clair :
inutile de chercher à tricher avec lui. On peut difficilement
le leurrer avec des discours flous ou erronés.
Sa présence, ses questions, sa tristesse exacerbée,
comme sa joie, résonnent en nous en tant
que parent, pour nous sortir de notre zone de
confort et poser des actes plus cohérents, face aux
désordres du monde. Saverio Tomasella pointe
avec espoir : «
Il nous invite à nous renouveler, à ne
pas nous laisser dévitaliser par la vie quotidienne. »
Ainsi, la voie qu’il ouvre est celle du coeur, qui
donne une immense confiance dans la vie.
Être parent : lâcher la
toute-puissance de l’ego
L’arrivée d’un enfant est une véritable révolution
! «
Être parent, c’est comme relâcher un potentiel
à l’intérieur de soi, c’est un parrainage, un
mentoring mutuel », expose le Dr Serge Marquis, spécialiste de la santé mentale au Québec. Dans À
son roman
Le jour où je me suis aimé pour de vrai,
Charlot, 9 ans, désarmant de vérité, confronte
sa mère, éminente neuropédiatre, à des questions
philosophiques, et va la dépouiller de ses
certitudes.
«
L’enfant devient un processeur, dans
le sens où il permet un puissant processus, celui
de l’apaisement de l’ego », ajoute le spécialiste.
Une fois ce décentrement accompli, alors il est
possible d’entrer dans cet espace où la relation
parent-enfant se construit. C’est une danse qui
émerge tout à coup. L’enfant nous permet de
découvrir qui nous sommes, au sens socratique
du terme « connais-toi, toi-même ». Il nous
offre l’opportunité de sortir de notre ego. Son
cadeau : l’art de la présence connectée, dans la
relation. L’ego est séparation, il cherche toujours
à ajouter des pelures identitaires qui vont
lui permettre de se distinguer… et de séparer.
«
Avec l’enfant, ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est la
connexion ! », s’émerveille notre spécialiste. L’enfant
est présence et c’est sa présence qui fait que
nous sommes reliés.
L’enfant nous
permet de découvrir
qui nous sommes.
Le piège avec notre société, c’est qu’elle mesure
notre réussite à l’aune du succès et de la performance.
«
Et si on misait davantage sur notre
capacité à une présence habitée ? », propose le
médecin. L’attention ne peut être à deux endroits
à la fois. Quand elle est accaparée par
l’ego – les peurs, avoir plus, faire plus – nous
ne sommes plus dans la présence à l’autre, ni
en relation. «
Quand je suis couché sur le sol à
écouter les histoires que mon petit-fils invente, je
ne perds ni ne manque quoi que ce soit. Je suis
à ma place, dans un don mutuel. Sans calcul ni
retenue », ajoute notre spécialiste. Alors s’ouvre
la magie de la relation.
Découvrir en nous ce qui ne
vieillit jamais
«
Il faut se libérer de nos croyances fausses sur
la prétendue immaturité des enfants. La question
du pourquoi on vit, pourquoi on meurt est
naturelle pour eux », poursuit Serge Marquis.
Leurs réponses sont empreintes de sagesse.
Une « leçon » qu’il a apprise auprès de Charlot,
cet enfant qu’il a eu le privilège de soigner –
qui a inspiré son roman – et de ses autres patients.
En conclusion, le spécialiste cite Marie
de Hennezel : «
Il nous faut découvrir en nous
ce qui ne vieillit jamais ! » C’est ce que nous
montre l’enfant, et c’est essentiel : ce qui ne
vieillit jamais, c’est la capacité d’être présent,
d’aimer, de s’émerveiller, de savourer, d’apprendre
et de créer.