Écoles, activités, matériel, livres, jeux...
Le nom Montessori est partout. Des grandes enseignes lui consacrent des rayons entiers, des applications éducatives et des agences de garde d’enfants l’affichent tel un « label de qualité »... Bien souvent, nous ne savons pas véritablement à quoi et surtout à qui il fait référence. Ni ne mesurons tous les contours de la révolution qu’il représente en matière d’éducation de l’enfant et de paix dans le monde... Derrière le phénomène de mode et les usages abusifs, il y a une pionnière dans la compréhension du développement de l’enfant dont l’ambition n’était certainement pas de lancer une entreprise lucrative ! Une chercheuse engagée, considérée comme une prophétesse par ses admirateurs, une opportuniste ambitieuse par ses détracteurs, mais qui n’avait pas protégé son nom, considérant que «
ses découvertes appartenaient au patrimoine de l’humanité ».
Éduquer et non soigner
À l’origine, Montessori est une Italienne prénommée Maria, née en 1870 dans la région des Marches au sein d’une famille bourgeoise. Brillante, cette fille unique se bat pour entreprendre des études de médecine, la faculté de Rome étant à l’époque réservée aux hommes, et devient
à 26 ans l’une des premières femmes médecins d’Italie ! Elle obtient par la suite une licence en philosophie, en psychologie et en biologie. Ses premières réflexions sur l’enfant naissent à la clinique psychiatrique de l’université de Rome où elle travaille auprès d’enfants malades mentaux, internés dans des salles communes, sans aucune activité. Elle les observe et en conclut que les solutions ne sont pas nécessairement médicales et chimiques, mais plutôt éducatives. Elle découvre très vite l’importance de l’action, du mouvement et du développement sensoriel pour la construction de l’intelligence de l’enfant et repère les différentes phases de son développement. Elle part en France étudier les méthodes éducatives de Jean Itard et d’Édouard Séguin, précurseurs d’une nouvelle approche de la maladie mentale, et entreprend l’élaboration d’un matériel pédagogique (lettres rugueuses, etc.) pour ces enfants considérés comme « sans espoir ». Ses résultats auprès d’eux sont remarquables...
L’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir.
La Casa dei Bambini
Quelques années plus tard, en 1907, la médecin, psychiatre et anthropologue crée la première
Casa dei Bambini (Maison des enfants) dans un quartier pauvre de Rome où sont accueillis des enfants de 3 à 6 ans dans le but de les sortir de la rue. C’est dans cette école que Maria construit et éprouve sa méthode pédagogique fondée sur l’accompagnement du développement naturel de l’enfant, en lui fournissant un environnement adapté à ses caractéristiques propres et à celles de son âge. C’est ainsi que naît la pédagogie Montessori, véritable philosophie de l’éducation, qui va s’affiner tout au long de la vie de sa créatrice, au gré de ses expériences, de ses voyages, de ses observations d’enfants du monde entier, issus de divers milieux socioculturels. C’est le début d’une reconnaissance mondiale, du travail d’étalonnage de son matériel scientifique et de la formation d’éducateurs Montessori. Par ailleurs, elle fonde en 1921 la Ligue internationale pour l’éducation nouvelle, et en 1929 l’Association Montessori Internationale.
Dans tous ses écrits, elle plaide pour une nouvelle compréhension des potentialités et des besoins des enfants, en particulier dans leurs premières années. «
L’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir », résume la pédagogue, pour qui l’école « classique », et plus généralement le monde de l’éducation, «
est une espèce d’île où les individus, déracinés du monde, se préparent à la vie en y restant étrangers ».
Un esprit absorbant
Concept fondamental de sa pédagogie, l’enfant est un esprit absorbant. Il a une capacité d’assimilation innée.
«
Nous les adultes acquérons nos connaissances avec notre intelligence, alors que l’enfant [de 0 à 6 ans, NDLR]
les absorbe avec la vie psychique », explique-t-elle
dans son œuvre définitive
L’esprit absorbant de l’enfant. Ainsi, sans
qu’il ait d’effort à fournir, il acquiert de nouvelles aptitudes et se construit
en absorbant sans interruption et sans discrimination ce qui se produit autour de
lui. Un peu comme une éponge... Il engramme les expressions, les émotions, les informations de son environnement, etc. De plus, l’enfant possède de grandes capacités que nous, adultes, avons perdues. D’après la médecin, il a un pouvoir que nous n’avons pas, celui de bâtir l’homme lui-même. En effet, le nouveau-né est comme «
un esprit enfermé dans la chair pour venir au monde ». «
Qu’est-ce que l’adulte doit donc faire face à cet embryon spirituel ?, interroge-t-elle.
Il doit simplement lui permettre de faire par lui-même ses propres conquêtes. » Car si l’enfant n’a pas la possibilité de faire usage de son intelligence, elle s’atrophie. Pour éviter cela, il a besoin d’avoir quelque chose à faire, d’évoluer dans un environnement lui permettant d’être actif, d’avoir à sa portée des objets sur lesquels il peut agir. «
L’éducation est un processus naturel chez l’enfant qui n’est pas acquis par les mots, mais par l’expérience de son environnement. » C’est pourquoi elle assure qu’«
il nous faut édifier tout un univers spécialement conçu pour les enfants et les jeunes ».
Concept fondamental de sa pédagogie, l’enfant est un esprit absorbant. Il a une capacité d’assimilation innée.
Le constructeur de l’adulte
Dans sa grande œuvre de référence,
L’enfant, la grande éducatrice confesse : «
Toucher à l’enfant, c’est toucher au point le plus délicat et vital où tout peut encore se décider et se rénover, où tout est plein de vie, où sont enfermés les secrets de l’âme, parce que c’est là que s’élabore l’éducation de l’homme. » Selon elle, l’enfant est un révélateur et contient en lui-même le secret de l’homme qui «
est aujourd’hui aussi méconnu qu’il l’était à l’aube de la civilisation ». Dans ce profond mystère qu’est l’humanité, «
s’il existe quelque lumière qui puisse nous éclairer, développe Maria Montessori,
elle doit nécessairement émaner de l’enfant ; il est le seul qui, avec sa simplicité initiale, puisse nous montrer les directives intimes que l’âme humaine suit au cours de son développement ». Ainsi, la question sociale de l’enfant s’enracine profondément dans la vie intérieure, elle se répand jusqu’à nous, les adultes, pour secouer notre conscience et pour nous régénérer. «
L’enfant n’est pas un être étranger que l’adulte peut considérer de l’extérieur, avec des critères objectifs. L’enfant est la partie la plus importante de la vie de l’adulte. Il est le constructeur de l’adulte », confie cette avant-gardiste qui n’a cessé de séduire par l’originalité et la modernité de ses idées.
Éduquer pour la paix
Maria Montessori traverse les deux guerres mondiales du XX
e siècle, qui lui font fuir l’Italie pour aller vivre aux États-Unis, en Espagne, en Angleterre, aux Pays-Bas, etc. «
En cette période particulière de l’histoire, [...] l’éducation est la meilleure arme pour la paix », proclame cette militante socialiste et féministe lors de la conférence de Copenhague en mai 1937. Elle plaide pour une éducation par l’autonomie et l’initiative, car l’enfant qui est libre d’agir se guérit de toutes ses déformations psychiques et devient le maître de ses propres dynamismes. «
Nos efforts doivent donc se consacrer à aider l’enfant à se perfectionner lui-même par le contact avec la réalité car nous ne pouvons pas élever le niveau de l’humanité seulement par la culture. » En 1947, elle est en Inde où elle écrit la déclaration
Le citoyen oublié, dans laquelle elle dénonce la condition de l’enfant «
réduit au glanage » de ce qu’il trouve autour de lui. «
Si ce qui est à sa disposition est pauvre, son œuvre sera pauvre. [...] Si les hommes d’État et les éducateurs réalisaient un jour la force vertigineuse que représente, en bien ou en mal, l’enfance, je crois qu’ils lui accorderaient la priorité sur toutes les autres questions. [...] S’il est négligé dans sa propre construction, aucun problème ne sera jamais résolu. Il n’existe pas d’enfants bolcheviques, fascistes ou démocrates ; ils deviennent ce que les circonstances ou leur entourage font d’eux. » Convaincue qu’une véritable réforme éducative doit être engagée, Maria Montessori propose de créer le Parti social de l’Enfant, car la grande mission consistant à assurer à l’enfant justice, harmonie et amour revient à l’éducation. La seule façon, d’après la visionnaire pacifiste, de bâtir un monde nouveau et de construire la paix. Proposée trois fois pour le prix Nobel de la paix, elle reçoit la Légion d’honneur en 1949 et meurt en 1952 à l’âge de 81 ans, aux Pays-Bas.
Les grands principes de la pédagogie Montessori
La pédagogie dite « Montessori » est indissociable de la personne et de son parcours. Elle ne se résume pas à un ensemble d’outils et de techniques, elle est avant tout une philosophie, une manière de percevoir l’enfant comme acteur de sa propre construction. Pour encourager sa curiosité naturelle, son autonomie et l’expression de son potentiel, quelques grands principes : le libre choix de l’activité, l’autodiscipline, le respect du rythme et de la personnalité, l’expérimentation, l’environnement préparé « sous le faisceau des périodes sensibles » (langage, mouvement, ordre, etc.). Spécifique et conçu pour explorer le monde, le matériel Montessori permet l’autocorrection sans avoir recours à l’appréciation de l’éducateur qui se doit d’être un guide bienveillant, un facilitateur, dans un climat de confiance. Une pédagogie universelle et intemporelle qui pourrait nous inspirer à créer des ponts avec les méthodes plus « classiques », afin d’atteindre un point d’équilibre entre liberté et autorité...